Ouverture au monde. Neuf mois de Novembre 2019 à Août 2020 en France.

Vivre l’histoire à Chamonix

Retour à Chamonix pour une seconde saison dans la restauration et faire face au Coronavirus.
23 mars 2020
Chamonix, France © Claire B. - Merci de ne pas utiliser sans autorisation

Les montagnes apparaissent à peine dans le brouillard. Il fait un temps d’hiver à Chamonix, mélange de flocons, pluie, nuages et brume. L’hôtel Mercure se dessine à l’entrée de la ville, à coté de la gare et je descends de la voiture pour me lancer vers la prochaine étape de ma vie. Fin Janvier 2019, j’ai postulé au sein de la formation documentaire animalier de l’université de Bristol en Angleterre. La réponse ne se dévoilera qu’aux alentours d’Avril, Mai. Si celle-ci est positive, en Septembre prochain, j’irai m’installer coté British pour me lancer enfin sur la voie que je souhaite suivre. De Février à Septembre, cela me laisse sept mois de libre pour faire quelque chose. La formation étant payante et chère (très chère), j’ai décidé de chercher un travail dans le domaine que je connais bien : celui de la restauration. J’ai donc postulé à droite et à gauche et notamment à Chamonix où j’ai travaillé la saison dernière. Ma saison d’hiver 2018-2019 au sein de l’hotel Alpina Eclectic de Chamonix n’avait pas été de tout repos mais j’avais énormément appréciée vivre dans la vallée de Chamonix au pied du Mont-Blanc. Les lieux sont très beaux et je ne dirais pas non à l’idée d’y retourner pour pouvoir continuer d’explorer la région. Ou bien trouver du travail en Camargue et continuer d’étudier les Flamants roses. 

Plusieurs échanges et entretiens plus tard et l’hotel Mercure à Chamonix m’offre le poste de Maitre d’Hotel. C’est mieux que mon précédent poste (assistante maitre d’hotel) et un petit peu mieux payé mais l’hotel fait parti du même groupe que l’Alpina, le groupe Best Mont-Blanc et j’hésite un petit peu à l’idée de me retrouver dans la même situation que l’année dernière. Mais la perspective de retourner dans les Alpes m’emplit de joie et me voila de retour début février à Chamonix. L’hotel Mercure est un hotel au design un peu vieillissant et séparé en deux bâtiments mais qui me plait tout de suite. Rien à voir avec l’Alpina, grand immeuble rénové au centre de la ville. Le Mercure est plus petit, plus simple, moins impressionnant et plus chaleureux. Et puis surtout beaucoup mieux aménagé. Bar et restaurant sont situés au même endroit, le restaurant est séparé en deux salles avec un buffet au centre, la cuisine est relativement fonctionnelle, la cave à vin est située en salle et de nombreux placards ont été installés un peu partout. Et proportionnellement la taille du restaurant du Mercure fait la moitié de celui de l’Alpina. Cela peut sembler être des détails mais dans la pratique, cela fait toute la différence. Le restaurant du Mercure, La Cordée ne possède pas la vue magnifique sur la chaine du Mont-Blanc que possède le Vista à l’Alpina mais cela n’est pas grave. Parce qu’au final travailler au Mercure se révèle très rapidement être beaucoup plus plaisant.

L’équipe est elle aussi beaucoup plus sympathique avec une grande majorité d’italiens, quelques français et un thaïlandais. Ils sont là depuis au moins un an et plusieurs reviennent régulièrement depuis des années. Autant dire qu’ils savent comment ça marche. À la réception l’équipe est française et dans les étages, les femmes de ménages et valets se partagent entre l’Amérique du Sud, la Roumanie et l’Italie. Coté hébergement, j’emménage dans l’annexe du Chalet Brévent, le building en face du bâtiment principal, où se trouve plusieurs chambres individuelles pour le staff. Dont la mienne, au premier étage, petite chambre de 17m2 avec salle de bain et une jolie vue sur les montagnes. Cela n’est pas très grand mais une fois bien emménagé, cela se révèle très agréable. La grande majorité de l’équipe est logée à l’hotel, répartie entre les deux bâtiments. Les clients sont parfois un peu bruyants mais en général, l’ambiance est tranquille dans mon building. 

La première semaine de travail se déroule tranquillement. Je prends mes marques et sympathise avec l’équipe. Je travaille en coupure, avec un service de 9 à 13h suivi du service du soir de 18h30 à 22h. La carte est simple et facile à servir. Le système informatique d’enregistrement des commandes est le même que celui de l’Alpina, ce qui me permet de le maitriser rapidement. Seul le service du vin me fait défaut et demande de la pratique. Je partage mon temps libre entre travail sur mon site, préparation de l’IELTS, concours d’anglais, nécessaire pour être accepter à Bristol et la pratique du vélo. Les quatre semaines suivantes jusqu’à debut Mars voient les vacances scolaires arriver et le rythme s’accélère brutalement. Groupes, familles, individuels, séminaires défilent toute la journée et les horaires s’allongent. Avec le changement de rythme et la fatigue accumulée de l’équipe dont la grande majorité sont là depuis l’été dernier, les tensions et petits problèmes apparaissent. Une certaine similitude avec l’Alpina se profile à l’horizon. Bien que le Mercure soit plus agréable à travailler, il fait face aux mêmes problèmes que l’Alpina. La cuisine est trop vieille et pas assez équipée, le matériel est usagé, les mauvaises habitudes se dévoilent et les rancoeurs provoquent quelques situations difficiles. Je fais de mon mieux pour garder le sourire et la motivation et ne pas me laisser avaler par la mauvaise ambiance. Malgré quelques jours difficiles, la situation n’a rien à voir avec l’Alpina et les jours passent rapidement. À l’extérieur, dans le reste du monde, se profile la menace du coronavirus, un nouveau virus, apparu en Chine en Décembre 2019. D’abord confiné à la Chine, le virus semble se propager rapidement au reste du monde. Les déplacements à l’étranger se font plus rares et les réservations à l’hotel diminuent fortement en l’espace de quelques jours. 

L’hôtel Mercure où je travaille suivi des rues vides du centre de Chamonix. Les oiseaux, eux, chantent gaiement. Loin du brouhaha habituel, c’est une ambiance tranquille qui émane du centre-ville.

Début mars, la crise sanitaire entourant le virus se fait de plus en plus pressante. La chine a placé plusieurs de ses régions en quarantaine et le nombre de personnes atteintes et de personnes décédées augmente brutalement en Europe. L’Italie est de loin la plus touchée et le virus commence à se manifester en France. La situation qui semblait alors si loin de nous se transforme soudainement en réalité. Les médias diffusent l’inquiétude en tenant un décompte en direct du nombre de morts et en l’espace d’une dizaine de jours, l’hotel se vide presque intégralement. Inquiétés par la situations, groupes, séminaires et individuels préfèrent annuler leur voyage.  L’inquiétude grandit également parmi l’équipe. Sans clients, comment allons-nous continuer à travailler ?

Le coronavirus ou COVID-19 est un nouveau virus faisant parti de la famille des coronavirus qui provoquent des maladies allant du simple rhume à des pathologies beaucoup plus graves. Le COVID-19 est apparu en Chine en décembre 2019 dans la province de Hubei. D’après les informations actuelles il aurait été transmis à l’homme lors d’un contact avec un animal sauvage, possiblement un Pangolin ou une chauve-souris, vendus au marché de Wuhan. Le COVID-19 provoque dans la grande majorité des cas, des symptômes similaires à ceux de la grippe (fièvre, mal de crâne, fatigue, courbatures nez bouché, perte de l’odorat et du goût) mais peut entraîner chez certaines personnes des complications (difficultés respiratoires, insuffisance rénale) pouvant conduire au décès. Il touche toute les catégories de population mais les cas les plus graves sont généralement observés chez les personnes âgées ou les personnes ayant des pathologies cardiovasculaires ou respiratoires. Le virus n’est pour la grande partie de la population pas très dangereux. Mais l’inquiétude qu’il génère vient du fait, d’une part qu’il est très contagieux et provoque de nombreux cas asymptomatiques. Ce qui veut dire qu’il peut contaminer une personnes sans provoquer de symptômes et que cette personne peut sans le savoir contaminer de nombreuses personnes autour d’elle. Et de l’autre part que le nombre de lits en réanimation et d’appareils respiratoires est limité en France dû aux restrictions budgétaires et qu’en cas d’affluence trop élevée de malades, tous ne pourront pas être traités.

Le 10 mars face à une explosion de cas en Lombardie, l’Italie impose le confinement à l’ensemble du pays. Arrêt du travail, distanciation sociale et restriction des déplacements. La nouvelle est accueillie avec difficulté par les Italiens de l’équipe. Les voilà incapable de rentrer chez eux. En France, les médias et le gouvernement martèlent que tout va bien et que le pays est prêt à faire face à la situation. À l’hotel, la directrice commence a évoquer la possibilité des ruptures des contrats pour cas de force majeure, ce qui ajoute encore à l’inquiétude planant dans l’atmosphère. Tout le monde s’interroge sur la suite des évènements et nous vivons au jour le jour. Le 15 mars, face à la propagation rapide de la maladie dans le pays, le président de la république dépassé par la situation déclenche le confinement de la France effectif à partir de minuit. Je suis en plein service, en train de servir la dizaine de clients encore présents dans l’hotel lorsque j’apprends la décision. La nouvelle tombe comme un couperet et j’ai un peu de mal à réaliser ce qu’il se passe. Le COVID-19, virus faisant largement moins de morts que le tabac, les accidents de voiture ou les suicides mais capable de propager la peur rapidement, vient de mettre la France à l’arrêt. Tous les restaurants, bars, commerces non essentiels, écoles, etc sont fermés. L’économie est à l’arrêt et me voila sans travail. Le mot d’ordre est de rester chez soi et d’éviter les contacts. 

Les heures qui suivent sont un mélange de situations confuses. Les médias diffusent en boucle les restrictions, les gens profitent des dernières heures de liberté pour se rassembler en masse dans les bars de Chamonix (un comportement parfaitement illogique face à la demande de distanciation sociale), les touristes restants quittent rapidement le pays et les déclarations absurdes des ministres et officiels se multiplient à la télévision. Je suis un peu sonnée par la situation et par la folie qui semble repidement s’emparer de la société. Le lendemain à l’hotel la directrice nous rassemble pour nous informer qu’elle attend la décision des supérieurs concernant la fermeture ou non de l’hotel mais qu’il est fort probable que ce soit rupture de contrat pour tous les CDD. Je fulmine, ne comprenant pas ses déclarations, alors que le gouvernement vient d’annoncer mettre en place un plan de chômage partiel pour l’ensemble des employés touchés par l’arrêt du travail. Heureusement une heure plus tard, la directrice nous annonce la fermeture de l’hotel, la mise en place du chômage partiel pour toute l’équipe et la possibilité de rester dans nos chambres respectives pendant toute la durée du confinement. Il semblerait que les responsables du groupe Best Mont-Blanc aient été assez intelligents pour comprendre, à l’inverse de la directrice, qu’ils allaient se retrouver sans staff lors de la réouverture de l’hotel si les employés étaient virés comme des malpropres. 

Depuis la fenêtre de ma chambre, je regarde le paysage. Les montagnes à l’arrière-plan, les bâtiments de la ville et les arbres encore nus du jardin de l’hotel. C’est calme et j’écoute les oiseaux chanter dans le silence. Je les entends bien mieux que d’habitude d’ailleurs. Mes parents et mon frère sont tranquilles dans le sud, eux aussi un peu sonnés par le changement brutal de situation et par le vent de panique qui se propage rapidement. À Chamonix, il fait beau, la ville est tranquille et je me prépare mentalement à affronter les prochaines semaines de confinement.

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