Par un beau jour d’une fin d’été qui n’en finissait pas, j’ai quitté la Provence. J’ai laissé mes parents et le soleil trop chaud pour enfourcher mon vélo et me lancer dans un nouveau voyage. À coups de pédales et de trains régionaux, j’ai remonté doucement le paysage en direction du nord de la France.
La traversée des grands champs désertiques où la terre se meurt de la région Poitou-Charente a renforcé ma certitude en la nécessité de mon entreprise. En pédalant parmi le paysage de terre à nue, craquelée par le soleil et lessivée par des années de labourage intensif, j’ai senti ma démarche se transformer en certitude.
Les yeux ouverts sur le paysage qui pleurait, mon imagination s’est mise à inventer une réalité différente. Des champs de fleurs de toutes les couleurs où céréales anciennes se mélangeaient aux fleurs de prairies s’étendaient devant mes yeux. Les immenses parcelles avaient disparues pour laisser la place à de petits champs verdoyants entourés de magnifiques haies où chantaient les oiseaux. Des ronces étaient chargées de mûres et un hérisson se baladait sur la route tranquillement colonisée par les adventices. Le brouhaha des voitures avait disparu et seul régnait le chant de la nature. Le cataclop d’un cheval ou le sifflement d’une roue de vélo se faisait entendre à intervalles réguliers. La vision a vacillé au passage d’un gros camion qui a manqué de me faire sortir de route. L’odeur de l’essence a envahit mes narines et je me suis secouée. Un bon coup de pédale pour me rappeler au présent et j’ai continué mon chemin le long de la route passante.
Je suis partie pour un an, voir plus en fonction des opportunités, à la découverte de lieux et de techniques liés à l’écologie et à un mode de vie différent. En bénévolat et en formation. En fonction des opportunités et de mes envies. Un retour à la terre, à la simplicité, à l’essentiel, à la résilience et à l’apprentissage.
La pandémie de coronavirus covid 19 qui a déferlé sur le monde en début d’année 2020 a bousculé mon avenir et mes certitudes. Le virus a eu un impact sur la population mondiale mais aussi sur ma façon d’envisager l’avenir. Confinée dans une petite chambre de l’hôtel de Chamonix où je travaillais alors en Mars 2020, je me suis intéressée à l’avenir qui m’attendait. Aux possibilités d’avenir. À toutes ses nuances. Du plus sombre au gris clair. À ce qui possiblement nous attend, nous, homo sapiens, face à la crise climatique, énergétique, alimentaire et sociale qui s’annonce.
Comment faire face à l’épuisement des énergies fossibles, à la fonte du permafrost, de la banquise et des glaciers, à la raréfaction de l’eau potable, au réchauffement climatique, à l’acidification des océans, à l’épuisement des sols, à la disparition des forêts primaires, à l’extinction des animaux et insectes, aux migrations massives, à la pollution par la chimie et le plastique, à la sur-consommation et au gaspillage, aux mouvements totalitaristes et dictatoriaux, aux vagues de violence terroristes, aux pandémies, à l’accentuation des inégalités sociales, à la privation des communs par les grands multinationales, à la fragilité des sociétés…? Comment faire face à toutes ces injustices et catastrophes sociales et environnementales que je découvrais au fur et à mesure des jours qui passaient et que la covid 19 s’étendait au monde entier ? Était-il possible de faire face à la schizophrénie qui s’était emparée des sociétés depuis une petite centaine d’années ? La pandémie de coronavirus qui pour cause de forte contagiosité avait réussi à mettre le monde à l’arrêt allait-elle changer les choses ?
Mon esprit a vacillé face à ces questions essentielles. Face aux changements immenses que la sauvegarde de notre espèce nécessite pour pouvoir continuer à vivre sur une planète aux ressources finies. Face à mon impuissance, moi, un seul individu, face aux multinationales, lobbies et ultra-riches. Un grand trou sombre, le trou du désespoir, le trou de la folie, s’est ouvert à mes pieds. J’ai eu envie de m’y plonger. De laisser de cotés ces questions trop grandes pour moi. Plonger dans l’obscurité. Ne plus penser à rien, être libérée de l’impuissance et de l’inquiétude, en finir avec tout ça avant que la réalité ne devienne trop pesante à supporter.
Mais des oasis qui se sont mis à fleurir un peu partout dans le monde ces dernières années m’ont fait découvrir leurs envies de changements, des villages en transition, des modes de vie plus respectueux, des approches agricoles écologiques et des techniques de constructions reprenant les pratiques ancestrales.
Serait-il donc possible d’imaginer un monde où respect, environnement, lien avec la terre, démocratie partagée, économie circulaire, local, services publics, maisons construites en matériaux naturels, résilience alimentaire et énergétique, technologies low tech, soins holistique, biomimétisme, plantes, minimalisme, entraide ne seraient plus des gros mots mais les moteurs de notre développement en tant qu’espèce ? Pourrait-on reconstruire nos imaginaires et changer notre avenir global ?
En Septembre 2020, la pandémie de coronavirus n’a toujours pas disparue. Mais poussées par la loi de l’économie et du marché, les populations ont dues apprendre à vivre avec. Deux mois de répit, pas plus, sous risque de flanquer par terre le système économique et sociétal actuel. Et ça, les chacals qui tiennent entre leurs mains l’avenir de notre humanité n’y tiennent pas du tout. Alors je suis partie. Partie pour découvrir par moi-même des initiatives de vies différentes. Pour apprendre des connaissances liées à la permaculture, à l’éco-construction, à l’herboristerie et aux low tech. Pour réaccorder ma vie à mes valeurs. Et pour développer mon imaginaire et insuffler dans la réalité mes plus beaux rêves d’avenirs.