Durant mon séjour dans une éco-ferme normande, nous avons commencé la construction d’un Temazcal, une hutte de sudation traditionnellement faite en terre ou pierre. L’idée de Louis, le propriétaire de la ferme était de concevoir une petite hutte en matériaux naturels sous le couvert des arbres de sa forêt qui puisse servir de hutte de sudation ou bien de petite salle de réunion. À coté de l’emplacement choisi pour la hutte, se trouvait déjà une Kerterre en cours de construction. La Kerterre est une construction originaire de Bretagne se présentant comme une sorte de dôme d’habitation aux formes organiques construite sans coffrages ni armatures. Des boudins de chanvre mélangés à de la chaux sont empilés, à même le sol, les uns sur les autres afin de former la structure. Le chanvre utilisé depuis très longtemps dans l’architecture traditionnelle à l’avantage d’être une fibre solide, imputrescible, isolante et n’attirant pas les rongeurs. La Kerterre inventée par Evelyne Adam propose de nouvelles façon d’habiter l’environnement en repensant notre rapport au confort et à la nature.
Construire en terre-chanvre
Pour construire la hutte de sudation, Louis a proposé de ne pas appliquer la technique de la Kerterre mais plutôt de reprendre les techniques traditionnelles de construction des maisons normandes avec une armature en bois sur laquelle viendrait se monter un mur de torchis en terre-chanvre. L’idée était d’utiliser des branches de bois et de la terre argileuse de son jardin ainsi qu’un reste de botte de chanvre achetée précédemment lors de la construction de la Kerterre. L’armature en bois viendrait guider le montage du mur et le torchis en se solidifiant formerait une structure solide.
Bien que l’idée était de concevoir une structure entièrement en matériaux naturels, Louis a choisi pour des questions de rapidité et de solidité d’utiliser des blocs de parpaings et ciment au sol pour délimiter la structure ainsi que des tiges de fer pour rigidifier l’armature. Ces choix m’ont déçue car je pense qu’en prenant le temps de bien réfléchir et concevoir la hutte, nous aurions pu (les autres volontaires et moi) trouver des alternatives naturelles : isolation en liège pour les fondations et armature construite en utilisant des branches de bois plus grosses et plus solides.
Lors des quelques jours où nous avons travaillé à la construction de la hutte, nous avons nettoyé et légèrement aplati le sol, installer les fondations ainsi que l’armature et commencer à monter le mur. Le mélange de terre est constituée de terre argileuse bien tamisée, d’eau et de quelques poignées d’herbe fraiche. Une fois que le mélange est bien mélangé (la texture ne doit pas être trop liquide ou trop solide, un peu comme de la boue), on vient y tremper une poignée de fibres de chanvre jusqu’à former un boudin de terre-chanvre. Le boudin est ensuite fixé et entrelacé sur l’armature en appuyant bien avec les mains. La texture un peu gluante permet de moduler la forme du mur et de bien tenir les boudins entre eux. Une fois le mur entièrement monté, un enduit de finition sera appliqué afin de protéger le mur et finaliser son aspect.
Travailler avec la terre fut une expérience intéressante. La texture un peu boueuse du mélange est agréable à manipuler à la main mais les fibres de chanvre étant assez rugueuses, l’application des boudins m’a laissé quelques égratignures. Par ailleurs, creuser le sol à la pelle et pioche pour extraire l’argile n’est pas une tâche très facile et cela m’a permis de me rendre compte de l’implication physique nécessaire qu’une construction faite à mains nues demande. Cependant, le plaisir de construire une structure soi-même à l’aide de matériaux naturels à porté de main fut un récompense gratifiante.
La Kerterre en cours de construction en haut à gauche avec les murs blancs typiques des constructions faites à base de chaux. L’armature des fenêtres tient grâce à l’empilement des boudins de chaux-chanvre qui se solidifient en séchant. Louis en train d’assembler l’armature de la hutte à l’aide de fines branches coupées dans son jardin. Le début de la construction du mur avec l’empilement des boudins de terre-chanvre.
L'architecture Normande
Une des caractéristiques si remarquable de la région Normandie est sa très belle architecture traditionnelle. Chaumières et granges s’insèrent parfaitement dans le paysage en appuyant leur construction sur des matériaux naturels locaux : silex, torchis, chaume et bois.
Traditionnellement les anciens, après avoir observé climat, vent, ensoleillement et végétation et limités par leur outillage, se contentaient de construire avec les matériaux du coin. Mais dans le respect de la nature et la compréhension de l’environnement et des matériaux. En Normandie, les fondations des maisons étaient construites en moellons de silex, une roche très répandue sur les terres Normandes. Cela permettait d’éviter les remontées de températures et de servir d’assise à la charpente en bois. Le squelette du mur était conçu en charpente à colombages, une ossature de poutres en bois de chêne. Entre les poutres venait se caler le torchis de terre argileuse des jardins mélangée à diverses fibres végétales (paille, orge ou foin). Le torchis en séchant devenait alors très solide et permettait une très bonne isolation thermique et une forte absorption de l’humidité. Un enduit de finition à la chaux (calcaire chauffé très fortement) obtenue dans les marnières (cavités) très répandues dans la région était appliqué sur le torchis afin de le protéger des intempéries tout en laissant les murs respirer. Et les roseaux des marais servaient à la confection de la couverture du toit.
En me promenant dans les petits villages de la région, j’ai été fasciné par la beauté qui se dégage de ces anciennes bâtisses et par l’élégance de leur construction. L’ondulation des murs, les poutres, les différentes couleurs des enduits, le torchis apparent, les tuiles couvertes de mousse, tout dans leur apparence semble ancrer ces maisons dans l’environnement naturel. J’ai également beaucoup aimé les différents jeux de design conçus à l’aide de la charpente, des couleurs ou des lamelles de briques qui donne une apparence presque parfois organique aux bâtisses et un charme bien particulier. Un charme que les maisons d’aujourd’hui construites en béton et ciment ne possèdent plus du tout. Il m’apparait également que construire en lien avec la nature et ses caractéristiques (conception vernaculaire, propre à un lieu ou à une époque) me semble être le type d’architecture à privilégier. Plutôt que de concevoir des maisons “hors-sol”, sans aucun lien avec la terre sur laquelle elles s’incrustent et mal adaptées aux conditions climatiques régionales, je pense que remettre en avant les techniques traditionnelles de construction (et de mode de vie) est une évidente dans la recherche d’une architecture et d’une société plus respectueuses de la nature et de l’humain.
Les superbes murs des maisons de la petite ville d’Orbec dans le département du Calvados. En bas à droite, une maison traditionnelle avec murs en pierres et toit de chaume enrubanné d’iris.
Plus d’information sur l’architecture Normande traditionnelle ici.
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