Le chantier de Jules que j’ai quitté fin décembre n’a pas bougé lorsque j’y retourne mi Février. Rien n’a changé depuis que je suis partie. L’hiver et le mauvais temps ont empêché l’avancement des travaux. Nous avons à peine le temps de finir l’isolation en paille du deuxième pan de la toiture que la neige tombe à nouveau. Jules n’en peut plus du mauvais temps. C’est la première année depuis une éternité qu’il y a aussi peu de soleil. Les Gapençais ne sont pas habitués. Ils ont l’habitude des hivers froids mais ensoleillés. Pas du temps maussade qui s’éternise.
Je suis de retour pour deux semaines sur le chantier de rénovation d’une vieille ruine dans les hauteurs de Gap. Le lieu est toujours aussi beau. Retourner ici m’emplit de joie. C’est toujours aussi bien. C’est toujours aussi passionnant. Nous profitons d’une accalmie pour poser le pare-pluie et le liteaunage. De ce coté-ci, coté rue, l’inclinaison du toit paraît encore plus pentue. Dernière bande de pare-pluie fixée et ça y est, l’intégralité du toit est protégé.
- Finition de l’isolation en paille, pose du pare-pluie et des liteaux.
- Le magnifique village en contrebas.
Les jours suivants, le beau temps revient et le moral remonte en flèche. Le sourire est sur tous les visages. Nous attaquons la pose des tuiles. Jules aurait bien vu un revêtement en bardeaux (tuiles en bois) pour sa toiture mais le PLU de la commune (plan local d’urbanisme) a imposé les tuiles. Jules a donc opté pour des tuiles mécaniques en terre cuite. Apparue à la fin du XIXème siècle, la tuile mécanique est un produit industriel, très utilisée en rénovation. Les tuiles, plus grandes que les autres types de tuiles, s’emboîtent les unes aux autres et s’accrochent aux liteaux, ce qui permet une très bonne étanchéité à l’eau et une pose rapide de la couverture.
Les acheminer sur les pans de toit n’est pas une mince affaire pour un chantier se voulant frugal en ressources énergétiques. Chaque pack est composé de six tuiles d’environ 3kg. Et il faut monter autour d’une cinquantaine de packs pour couvrir un pan de toit. Heureusement un ami de Jules est venu prêter main forte, ce qui n’est pas de refus. Nous attaquons la pose par un angle du toit, du bas vers le haut. Les tuiles se posent facilement. Il faut jongler avec le velux pour gérer la reprise de l’autre coté. Assis sur les liteaux, nous assemblons nos lignes de tuiles. En une après-midi, la moitié du toit se couvre de rouge. Mais vers le faitage, les choses se compliquent. Les tuiles ne sont plus raccords, elles s’emboîtent mal. De retour au sol, l’ampleur du problème se dévoile. Une grande partie de tout ce qu’y a été monté n’est pas bien ajusté. Certaines tuiles ne sont pas bien posées, ce qui est problématique pour l’étanchéité à l’eau. L’erreur est tellement énorme que nous sommes sans voix. Comment est-il possible que nous ne nous en soyons pas rendu compte avant ?
- Montage des packs de tuiles sur le toit. Les tuiles s’emboîtent sur le liteau grâce à un petit « téton » ou ergot (accroche en surplomb).
- Jules en train de poser les tuiles.
- Assemblage de tuiles vue d’en dessous. Chaque rangée se pose en quinconce pour gérer l’écoulement de l’eau de la façon la plus optimale possible.
- Goutelette d’eau tombant d’une tuile.
- Rangées de tuiles avec vue sur les accroches face supérieure permettant de bien emboîter les tuiles.
Le problème vient du liteaunage. Le pureau, écartement entre deux liteaux, est faux par endroit. Ce qui fausse la pose des tuiles. Si le pureau est trop grand ou trop petit, les tuiles ne s’emboîtent pas correctement sur le liteau mais également entre elles. Il n’y a pas de solution miracle, il faut « déposer » (enlever) presque l’intégralité de ce qui a été monté. Le sentiment de gâchis est grand mais c’est le prix a payé pour un manque de précision auparavant. Le jour suivant nous déposons et remontons avec extrême précision nos rangées de tuiles. Certains espacements faux sont rattrapés relativement facilement. D’autres fois, il faut carrément démonter et repositionner le liteau.
Le montage des deux pans de toiture nous prends une petite semaine. Pour le dernier rang avant la tuile faitière, Jules a décidé d’utiliser les vieilles tuiles du toit. Un tas de tuiles plates recouvertes de lichen attend bien sagement sur un coté de la maison. Ce sont les tuiles que Jules a récupéré dans les décombres du toit écroulé lorsqu’il a commencé le chantier en novembre dernier. Elles doivent avoir plus de cinquante ans. Elles sont rectangulaires et plus petites que les tuiles mécaniques. J’en sélectionne deux cents en bon état, que je frotte à la brosse métallique pour enlever les traces du temps avant de les rincer à l’eau. De magnifiques couleurs rouge, jaune, rose se dévoilent. Pas une tuile n’est identique. Elles ont toutes de irrégularités, des bords non rectilignes, des creux. Elles semblent avoir été coupées à la main. Ce qui est probablement le cas. Les textures, les couleurs, les formes me fascinent. Chaque tuile est une note du passé. Elles ont du vécu, elles chuchotent une histoire. Rien à voir avec les tuiles parfaites d’aujourd’hui. Parfaites mais sans grand intérêt. Les petites tuiles plates sans prétention que je travaille ont tellement plus de charme.
Mes deux semaines de séjour sur le chantier sont déjà terminées. Je laisse Jules finir la pose des dernières tuiles et je mets le cap sur Forcalquier – Mane dans les Alpes de Haute-Provence. Je commence une formation professionnalisante de neuf mois dans l’éco-construction au centre du Gabion.
- En train de nettoyer les tuiles.
- Plusieurs tuiles en train de sécher au soleil.
- Tuiles plates nettoyées.
Note :
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