Ce début d’Octobre diffuse dans l’air un sentiment de tristesse. Il fait gris. Gris et pluvieux. Cette année contrairement aux deux années précédentes, le mois d’Octobre ne sera pas beau. Le mauvais temps est arrivé en avance. Mon voyage à vélo entre chaque ferme ou chantier prend du plomb dans l’aile. J’ai du mal à pédaler. Je suis trop chargée, les routes sont vallonnées et le temps menaçant. Et l’hiver s’approche. Alors je prends beaucoup le train. Mais le train est cher, mal organisé pour le transport des vélos et je commence à m’interroger sur la meilleure marche à suivre pour me déplacer entre les lieux.
J’ai redescendu en train sous une pluie torrentielle presque la moitié de la France. J’ai quitté la Bretagne pour atterrir dans le Limousin. Une ferme familiale m’y attend. Au coeur du Parc naturel régional Périgord-Limousin, au milieu des châtaigniers, vit une petite famille. Un couple entre trente et quarante ans et un petit garçon de quatre ans. Ils vivent ici depuis deux ans sur une jolie propriété en cours d’aménagement. Quelques quatre hectares entre jardins dédiés aux plantes aromatiques et médicinales, potagers, grange, prairies pour les brebis, petit bois et espace camping. Après la permaculture et l’éco-construction, je voulais m’intéresser à l’herboristerie, la troisième des thématiques qui oriente mon voyage en cours. Dans ce domaine, les plantes aromatiques et médicinales sont regroupées sous le terme de “simples”.
La petite ferme se trouve dans un quartier excentré d’une petite bourgade au coeur du Limousin. Dans le creux d’un vallon, Marie et Paul ont racheté en 2018, un corps de ferme aménagé en parfait état. Depuis deux ans, ils travaillent à l’aménagement de leur terrain avec pour objectifs l’autonomie familiale, la production et la transformation des plantes médicinales et aromatiques et le partage de connaissances. Au centre du terrain, légèrement en pente, est venu s’installer les planches de culture dédiées à la production des plantes aromatiques et médicinales. Il y a une cinquantaine d’espèces qui servent à l’élaboration des différents produits vendus par la ferme sur les marchés : tisanes, sirops de fleurs, pestos, sels aux herbes… En dehors de la production des plantes qui occupe la grande majorité du temps, Marie et Paul font aussi chambres d’hôtes et animations. Ici la recherche de simplicité à travers une conscience écologique et le retour à la terre oriente le mode de vie.
Mais le temps gris semble infuser dans l’atmosphère une certaine mélancolie, une certaine tristesse. L’ambiance familiale n’est pas au beau fixe. Les mots se fâchent et les sourcils se froncent. C’est peut-être la saison. C’est peut-être la fatigue accumulée de la saison d’été très chargée. C’est peut-être le pointement d’une lassitude. Je n’ai pas l’impression de servir à grand chose et pourtant la ferme croule sous les projets à faire : la réfection des clôtures, l’entretien du potager, le rangement de la grange, la mise en place d’un labo pour la transformation des plantes, la cueillettes des fleurs, la récolte des châtaignes, la coupe du bois pour le feu, la construction d’un abri pour les brebis, la préparation des produits, l’entretien de la maison, la mise en place d’une nouvelle cuisine, la recherche des marchés, la communication avec les associations locales, l’éducation du petit, la récolte des champignons… Il y a beaucoup à faire, peut-être trop. Je participe bien aux activités journalières de la ferme mais pas assez pour que je me sente vraiment utile. Et la pratique de l’herboristerie qui m’intéresse tant n’est pas vraiment présente. J’hésite un petit peu, je ne me sens pas très à l’aise. Est-ce moi qui veuille trop en faire ? Ou est-ce autre chose ?
Il faut dire le couple a beaucoup de choses en tête. En premier lieu l’annonce quelques jours avant mon arrivée de notre président qui mélangeant lutte contre le terrorisme, problèmes religieux et obsession sécuritaire, annonçait que l’instruction à la maison allait être supprimée à partir de la rentrée 2021. Marie en a presque le crâne qui fume tant elle est remonté contre la décision. Émile, le petit garçon de quatre ans, dessine sur la fenêtre ignorant des problématiques qui se jouent autour de lui. Il ne va pas à l’école, ce sont ses parents qui font son éducation. Pas de télévision, ni de tablette. La nature pour terrain de jeu et l’apprentissage chaque jour au coté des adultes ou des enfants qui gravitent autour de lui. Son bac à sable est un grand refuge en reconstruction permanente pour les insectes qui passeraient par là. Des petits palets de bois lui servent à élaborer de superbes constructions issues de son imagination fertile. Le nom des plantes n’a pas de secrets pour lui ni les différentes techniques pour les cultiver. Chaque châtaigne ramassée avec une forme un peu bizarre se transforme en un bateau qui traverse à tout va le salon de la maison. Et les deux heures de la pièce de théâtre “Le chant des arbres” que nous sommes allez voir un samedi soir ne lui posent pas de problème d’attention. Une éducation au rythme de l’enfant, où curiosité et compréhension sont les maitres mots. Je regarde l’enfant et je regarde ses parents qui essaient tant bien que mal de cumuler éducation, travail sur la ferme, production professionnelle, travaux ménagers et communication mutuelle. Les choses ne sont pas simples.
La vue sur la ferme et ses hectares avec le potager en bas à droite.
Un nouveau jour se lève sur l’annonce d’un autre marché annulé. Le virus SARS-CoV-2 apparu en début d’année n’a toujours pas disparu et continu de déstabiliser la société et l’économie à l’échelle mondiale. Les médias nous assomment depuis presque huit mois maintenant d’annonces catastrophiques à n’en plus finir instaurant la paranoia et la peur dans l’esprit des gens. Loin des grandes villes, au contact des petits villages et de la nature, les conséquences de l’épidémie et de la crise qu’elle génère se font moins sentir. Mais même ici, au fin fond du Limousin, les bras tentaculaires de l’obsession du risque zéro finissent par s’immiscer. Pour la famille, chaque annonce de marché annulé rime avec inquiétude. Comment vont ils vendre leurs produits si leurs principaux endroits de vente habituels s’évanouissent ? Heureusement la récolte des châtaignes ouvre une porte de secours. Pour l’instant.
Mais l’inquiétude ne se limite pas aux marchés. Un champ de panneaux photovoltaïques et une armée d’éoliennes sont en projet d’installation sur la commune. Les éoliennes devraient être montées sur la crête juste devant la Ferme. Adieu la tranquillité, le son des oiseaux et la jolie vue. Bonjour les constructions grises, l’effet stroboscopique et le sifflement des pâles. Le couple se bat depuis l’annonce des projets avec une association locale pour essayer de faire refuser leurs installations par la commune. Je ne comprends pas bien pourquoi ? Ne sont ils pas pour la transition verte ? Pour la mise en place des énergies renouvelables à la place des énergies fossiles ? Mais ce n’est pas ça le problème. Ce n’est pas le développement de ces énergies soi-disant “propres” qui provoque la levée des boucliers. C’est tout le greenwashing et leur mise en place qui est au coeur du débat. Car l’industrialisation des campagnes par des compagnies privées est en train de s’accélérer. Et la fuite en avant vers plus de production énergétique pour éviter de réaliser que le problème de notre mode de vie actuel n’est pas technique mais politique et social est ce que dénonce l’opposition dont font partie le couple et les membres de l’association. Mais même ici dans une association défendant des valeurs écologiques, la discussion n’est pas simple. Elle n’existe pas du tout d’ailleurs d’après mes hôtes. Les valeurs démocratiques, les prises de décisions ensemble, l’écoute et l’échange semblent avoir désertés l’esprit des dirigeants de l’association qui ont l’air d’agir d’après ce que j’entends comme de parfaits petits dictateurs. Marie, Paul et d’autres couples de la région étalent leurs incompréhensions au coin du feu cherchant les solutions à mettre en place. Ils ne veulent pas suivre le dirigeant aveuglé préférant jouer sur la diffusion de tracts alarmistes plutôt que sur la mise en place de groupes de réflexion et de sensibilisation. Ils prônent la discussion et la nécessité de l’évocation de tous les enjeux plutôt que la propagation de la peur et la simplification du propos. La sécession semble être la seule issue possible. Plutôt que de se battre contre des moulins, ne vaut-il pas mieux mettre son énergie ailleurs ? Avec d’autres personnes dans le même état d’esprit pour se battre efficacement de toute la force de nos petites ailes de colibris ?
On pourrait penser qu’au coeur de la campagne, au milieu des plantes et des oiseaux, retiré dans son petit cocon d’autonomie, la vie serait plus simple. Mais non. Tous ces néo-ruraux, ces nouveau paysans, ces éco-lieux, ces gens en questionnements font face aux problématiques du monde actuel avec autant d’impact si ce n’est plus que le reste de la population. C’est précisément parce qu’ils ont choisi de changer de vie, de sortir du moule, que la gifle en est d’autant plus grande. Chaque geste, parole, comportement, décision est à repenser, à redéfinir, à reconstruire. Comment communiquer autrement ? Comment habiter le monde ? Comment repenser notre rapport au vivant ? Comment changer les choses ? Comment inventer demain ? Ces deux semaines à la Ferme ont été une expérience différente de celle à laquelle je m’attendais. Ce n’était pas ce que je voulais mais c’est ce que j’ai eu. Un certain nombre de constations teintées du souffle de désespoir se sont logées dans mon esprit : comment allons vivre ensemble si nous ne sommes pas capables de nous comprendre ? Peut-on repenser notre façon de communiquer ? Sommes nous seulement capable de nous écouter réellement ? Nos actions ont elles le moindre impact sur la marche du monde ? Comment éviter que les problèmes personnels envahissent le quotidien ? Pourquoi la désorganisation semble t’elle toujours s’immiscer dans nos projets ? En haut dans le ciel, un groupe de grues cancanent en nous survolant. Nous levons la tête et observons le vol à la forme gracile. Les oiseaux semblent si paisibles, si ordonnés, si sûrs. Ils suivent un chemin aérien qui ne se dévoile qu’à leurs yeux. Ils vont vers l’Afrique et les climats chauds de l’hiver. Un autre groupe les suit quelques minutes plus tard. Alors je me dis que l’inspiration pour faire face à tous ces questionnements, ces problématiques abyssales, ces catastrophes qui se profilent à l’horizon se trouve dans le monde vivant tout autour de nous. Dans la simplicité naturelle, dénuée de toutes connotations négatives mais évoquant plutôt une forme d’efficacité respectueuse, de l’immensité des autres peuples vivants habitant cette planète.
Détails de la ferme entre le fronton, les dessins d’Émile sur les fenêtres, une meule à aiguiser les outils, une colonie de champignons et la récolte des tomates et des pommes de terre.
Note :
Afin de respecter le droit à la vie privée et à l’anonymat sur le net, les noms des personnes ont été modifiés.