Dans le jardin de Louis de la ferme où je séjourne, il y a un foisonnement de plantes. Un mélange d’espèces plantées par la main humaine et semées naturellement par la force des vents. Au milieu des courgettes, pousse un plant de tomate. Poireaux, salades et bourraches se partagent une planche. Des roses trémières poussent un peu partout. Et sous les radis noirs se récoltent de petites patates qui ont poussé toutes seules. Tout cela pousse sous couvert de paillage et sans grand travail du sol. Le soleil et l’eau font la majorité du travail. La permaculture dit Louis, c’est s’assurer une production sans y travailler comme un fou. Mais la permaculture c’est avant tout, une philosophie de vie. C’est une recherche de bien-être, d’un mode de vie prenant soin des humains et de la nature et basée sur le partage. S’inspirant des modes de fonctionnement des écosystèmes et des savoirs-faire traditionnels. Le concept de permaculture date de 1978. Il a été posé sur papier par Bill Mollison et David Holmgren, deux australiens qui faisant face à la destruction de la biodiversité et de la fertilité des sols par l’agriculture industrielle, cherchèrent à développer des systèmes agricoles se basant sur des pratiques naturelles et résilientes. Mais la notion de permaculture s’applique à tous les domaines de notre vie et de notre société : l’habitat, l’enseignement, l’économie, les énergies… Alors comment qualifier de façon plus claire la permaculture appliquée à l’agriculture ?
Découverte de la notion d'écoculture
En feuilletant les livres de la bibliothèque de Louis, je suis tombée sur la notion d’écoculture dans le manuel de la très connue ferme du Bec-Hellouin, Vivre avec la Terre. Si les retours concernant le fonctionnement de la ferme normande génèrent parfois des critiques assez acerbes, j’ai trouvé que les idées développées dans le manuel étaient très pertinentes et notamment l’approche de la permaculture appliquée à l’agriculture qualifiée d’écoculture.
“L’écoculture est l’agriculture du vivant, elle cherche à imiter de manière fine les écosystèmes naturels, en se fondant notamment des dernières avancées des sciences du vivant. Son objectif est de produire une nourriture de qualité pour les êtres humains tout en restaurant la biosphère. L’écoculture intègre pleinement les outils conceptuels et le design permaculturel, et reprend le meilleur des techniques d’agriculture naturelle préexistantes, notamment l’agroécologie.” 1
La clarification proposée par le Bec-Bellouin me semble nécessaire, notamment auprès du grand public afin de ne pas écarter des esprits les applications multiples de la permaculture dans tous les domaines de la vie humaine. Contrairement à ce que beaucoup de personnes pensent, la permaculture est bien plus qu’une méthode de jardinage facile. La démarche de Louis applique donc ce que je qualifierais d’écoculture. Son terrain est agencé en différentes zones (potagers, mares, vergers, prairie, forêt) qui cherchent à mettre en place des écosystèmes productifs et respectueux de la nature.
Le potager du Bûcher dans la propriété de Louis. Les planches sont paillées et les cultures poussent en association. Les fleurs mellifères poussent de façon un peu archaïque entre les plants ce qui donne l’impression d’un jardin évoluant de façon libre. La profusion des plantes est agréable mais rend le travail d’entretien et de récolte un peu difficile.
Réflexions sur le fonctionnement de la ferme
Cependant il m’apparait, après avoir observé et participé pendant deux semaines au fonctionnement de la ferme, que certaines choses mériteraient d’être améliorées. Si la vocation d’un espace agricole est d’assurer une bonne production alimentaire, que ce soit simplement pour nourrir les habitants de la ferme ou dans un but de commercialisation, il me semble que la conception, le design et la practicalité de l’espace agricole doivent être des concepts essentiels à mettre en place. L’espace de production doit être pensé en amont, organisé, suivi et facile à travailler. Dans les potagers de la ferme, la profusion des plantes rendaient le suivi des différentes espèces difficiles (où se trouve le radis noir ?) ainsi que le travail d’entretien des planches et de repiquage des semis difficile (impossible de repiquer les poireaux sans écraser les pousses d’oignons). En effet, l’agencement des planches et leur organisation n’avait pas été assez pensé pour être fonctionnels, ce qui est quand même très important dans un potager où l’on passe beaucoup de temps. Si le travail au potager se fait avec difficultés, il y a de grandes chances que le lieu soit un peu laissé à l’abandon avec le temps.
Par ailleurs, Louis basait l’association des plantes en grande partie sur le hasard, ce qui me semble être un peu dommage alors que l’on sait que certaines plantes associées à d’autres font des merveilles. Je pense qu’il est important pour le bon entretien du sol, la bonne croissance des plantes et une bonne production de réfléchir en amont à l’association des plantes et de mettre en place un suivi précis des rotations afin de ne pas planter toujours les mêmes plantes au même endroit. Une autre remarque porte sur les outils dédiés à l’entretien du potager qui n’étaient pas assez affutés ou adaptés pour travailler réellement efficacement. Les outils sont la main du maraîcher et travailler avec des outils non adaptés provoque l’allongement du temps de travail. D’autant plus lorsque l’on travaille avec des outils low tech qui nécessitent d’être parfaitement adaptés à leur utilisation. Si l’idée d’écoculture était bien présente dans le domaine de Louis, elle n’était pas appliquée jusqu’au bout. Louis paraissait pour l’instant, par choix ou par manque de temps, planter un peu au hasard et ne pas avoir encore mis en place une conception réfléchie de sa production alimentaire. Si je comprends parfaitement la volonté de laisser la nature tranquille, il me semble quand même important de mettre en place un lieu organisé et suivi si on désire avoir une production alimentaire satisfaisante et surtout ne pas y passer trop de temps.
En lisant différents livres sur la permaculture, l’écoculture, l’agroécologie, le maraîchage bio et en observant les dysfonctionnement de la ferme, je me suis posée beaucoup de questions sur comment concevoir un espace agricole productif à petite échelle. Un potager ou espace de production alimentaire en maraîchage bio appliquant les principes de l’écoculture et n’utilisant que la traction animale ou humaine semble être la voie mise en avant par un grand nombre de micro-fermes au quatre coins du monde. À cet espace s’ajoute, un verger pour la production des fruits, un jardin-forêt pour la mise en place d’un espace comestible étagé, une production de plantes aromatiques et médicinales, des parterres de fleurs et prairies pour les insectes et un espace entièrement sauvage laissé à la biodiversité. L’ensemble devant être pensé, réfléchi et conçu en amont avec un suivi régulier. Nombre de ces concepts sont tout neufs pour moi, qui les découvre seulement depuis quelques mois et je me sens devenir passionnée par toutes ces approches bien plus respectueuses dans leur rapport à la terre.
Jeux de couleurs dans le jardin entre les fleurs de sédum spectabile (roses), de courgettes (jaunes), les potimarrons (oranges), les fleurs de camomille (en bas à gauche) et les orties (en bas à droite).
1. Programme de recherche 2019-2025 de la ferme du Bec-Hellouin
Note : Afin de respecter le droit à la vie privée et à l’anonymat sur le net, les noms des personnes ont été modifiés.