Reykjavik est une petite ville. À peine la taille de Nîmes. Département du Gard, Sud de la France. Nîmes, située à même pas une heure de route du village où habitent mes parents. Reykjavik, centre, regroupe environ 130 000 habitants auxquels s’ajoutent les quelques 90 000 habitants de l’agglomération autour. Quasiment 70% des Islandais et Immigrés de l’Île vivent à Reykjavik. Et Reykjavik est plus petite que Nîmes. En marchant dans la capitale, le nombre m’a frappé et j’ai réalisé à quel point la communauté islandaise est petite. Et à quel point la présence humaine sur l’île est faible comparé aux kilomètres et kilomètres de paysages désertiques.
Pourtant en traversant l’Islande à vélo et à pied pendant plus de deux mois, je ne l’ai pas trouvé si désertique que cela, l’île. Petites fermes partout et touristes à chaque virage. Tout du moins le long des routes. Mais comme il n’y en a pas tant que cela, des routes, sorti du bitume, effectivement il n’y personne. Mais ces endroits étant donc difficiles d’accès, peu de gens s’y rendent. Le gros de la population islandaise et des touristes restent et suivent donc les mêmes chemins, donnant l’impression d’un pays peuplé voir sur-peuplé en période estivale alors que la réalité est toute autre.
J’ai presque fini mon voyage en Islande. Il me reste une semaine. J’ai quitté la ferme d’exploitation laitière où j’ai passé les deux dernières semaines pour me rendre quelques jours à Reykjavik. Je ne tenais pas tellement à m’y rendre. Entre les bruits de la ville, l’accès immédiat à la société de sur-consommation, les néons lumineux des enseignes publicitaires, les discussions superficielles et l’odeur des pots d’échappements, l’environnement urbain, ça n’est plus pour moi. Les grands espaces libres, le calme, le chant des oiseaux, la simplicité, la nature, ça oui. Tout y est tellement plus simple là-bas. Mais il ne me reste plus que quelques jours et l’hiver est arrivé. J’ai hésité sur quoi faire pendant ces derniers jours et j’ai décidé de me replonger dans les paysages si particuliers de l’île. Retourner sur mes pas et découvrir d’autres lieux. Alors il me faut une voiture. Je me sens un peu coupable de louer un moyen de locomotion motorisé. Me voilà en train de faire un road trip comme tout le monde. Trop simple, trop superficiel, trop polluant. Mais il n’y a pas tellement d’alternatives.
Me voilà donc sur la route N°1, la fameuse route qui fait le tour de l’Islande. Celle que j’ai tant décrié à vélo. Trop de monde et roulant trop vite pour pédaler tranquillement. Mais c’est début Octobre maintenant et le gros des touristes devrait être parti désormais. Ou en tout cas je l’espère. Snæfellsnes est baignée dans la lumière des Dieux. La péninsule se dévoile sous un ciel tempêtueux. Des paysages de grandes falaises-montagnes en bord de mer, de champs de lave couverts de mousse, ceux de la côte Sud que je n’avais pas réussi à faire à vélo il y a trois semaines. La luminosité est incroyable et je suis fascinée par les motifs dessinés par les coulées de lave solidifiées descendant du volcan Snaefellsjökull. Son sommet est dans les nuages. Comme la fois dernière.
Un groupe de Lagopèdes Alpins se protègent de la tempête sous les tables en bois de picnic désertes à coté de la cascade Goðafoss, non loin d’Akureyri. La « chute des Dieux » déverse sur 12 mètres de hauteur et 30 mètres de long les eaux de la rivière Skjálfandafljót, l’une des plus longue du pays. Une pluie torrentielle martèle le paysage et les lieux baignent dans une ambiance fantomatique. C’est à peine si j’ai vu les oiseaux immobiles entre les gouttelettes. Ils ont revêtu leur parure d’hiver et leurs pattes sont chaussées de jolies bottines à plumes blanches. Ces bottines leur seront essentielles en hiver dans un paysage recouvert de neige puisqu’elles feront office de raquettes les empêchant de s’enfoncer dans la neige. Pour l’instant ils ont l’air de gros ballons de plumes, tout gonflés qu’ils sont pour se tenir chaud.
De mon coté j’ai froid. La grisaille, la pluie et le vent sont venus envelopper mon corps d’une sensation désagréable. Alors je mets le cap sur Myvatn, le grand lac au Nord où je suis déja venue il y a un mois. Aller faire trempette au Myvatn Nature Baths semble être une bonne idée. Des bains géothermiques en plein air aux eaux chaudes et volcaniques, quoi de mieux pour se réchauffer en fin de journée ? En tout cas d’après la grande majorité des touristes c’est l’attraction à ne pas rater. Moins cher et moins peuplé que le Blue Lagoon sur la côte Sud, c’est l’occasion d’essayer avant de quitter l’Islande. C’est la nuit noire quand je me plonge dans les eaux aux odeurs de sulfure. J’en ressors immédiatement. L’eau n’est pas chaude du tout. La pluie a cessé mais le vent est tellement fort que même l’eau a refroidi. Seul le sauna sera le refuge espéré mais la visite reste courte sous peine de se transformer en momie. Une bonne leçon pour finir de m’inscrire dans le crâne que les attractions touristiques ce n’est bon que pour les couillons.
Une grande dépression apparait dans le paysage et d’un seul coup le sol se couvre d’arbres. Une forêt en Islande dans un gigantesque cirque. Un cirque en forme de fer à cheval. Ásbyrgi. Apparemment le cheval d’Odin y est pour quelque chose. C’est lui qui aurait formé ce trou en forme de fer à cheval dans le paysage. Un trou aujourd’hui rempli de bouleaux. Mais l’Automne est sur sa fin et les feuilles jaunes qui illuminent le paysage ont disparu. Ne reste plus que le squelette grisâtre d’une forêt dont l’hiver est à sa porte. Et pourtant le lieu est splendide. Je ne sais pas si c’est la vue des arbres ou la forme si particulière du lieu bordé de grandes falaises mais je suis fascinée par le paysage. Il y a une sorte de vibration dans l’air. Peut-être les vestiges du passage de la monture divine.
Je parcours les kilomètres éblouie par la beauté des paysages. Ces petites montagnes-falaises, ces étendues de lave, ces espaces désertiques, ces fjords escarpés, ces paysages je les connais. Je les connais sans forcément les avoir déja vu. Mais le paysage me semble familier. J’ai l’impression d’être en terrain connu. Après deux mois de découverte, de méfiance et d’appréhension, j’ai aujourd’hui l’impression, de connaître le paysage. Et de l’apprécier encore plus. C’est une étrange sensation. Je me demande bien ce qui a fait basculer mon rapport à l’environnement. Serait-ce parce que je le traverse à l’abri dans le confort de la voiture ? Ou serait-ce la récompense de deux mois de périple difficile ? Suis-je en train de m’adapter à cette terre inhospitalière ? À être capable de voir le paysage comme un lieu aimé et chéri ? Souvent durant mon voyage je me suis demandée comment et pourquoi les Islandais semblaient si attachés à leur pays. Surement qu’après deux semaines de vacances en Europe, au Canada ou en Asie, ils devaient trouver leur île bien vide et inhospitalière. Comment étaient-ils capables de vivre sans arbres ? Et entourés de champs de lave, rappels permanents des forces destructrices de la nature ? Mais aujourd’hui alors que je parcours pour une dernière fois ces paysages si particuliers, je suis frappée par la beauté des lieux. Et à ce mélange de sensations de méfiance, difficulté, appréhension, différence, aliénation, s’ajoute familiarité et affection. Les paysages de l’Islande ont définitivement posé leurs valises dans mon coeur.
L’hiver est arrivé dans les fjords de l’Est et le plateau d’accès à Seyðisfjörður est couvert d’un joli manteau blanc. L’Islande à l’air encore plus belle en hiver. Cette partie de l’île je ne la connais pas du tout. C’est la partie qui a sauté de mon itinéraire lorsque j’ai décidé de changer mes plans au début du voyage et couper par le centre. Les lieux sont très beaux et il y a tant à voir. Mais avec à peine une journée au compteur, je ne risque pas de voir grand chose. Tans pis, c’est comme ça. C’est le même environnement que dans les fjords de l’Ouest et le paysage me fait penser à Ísafjörður et Hornstrandir. Je parcours l’Austurland, une des huit grandes régions de l’Islande composant la partie Est de l’île. Et vers le bas, je récupère la mer et la côte Sud.
Et les touristes. Adieu la tranquillité. D’un seul coup, comme si j’avais traversé une frontière invisible, me voilà de nouveau dans un flux presque ininterrompu de voitures. Apparemment l’arrivée de la « basse saison » n’a rien changé. Désormais même en Octobre, Novembre, l’Islande est remplie de touristes. En fait l’année entière semble attirer les hordes de visiteurs. Peu importe les saisons. La côte Sud est officiellement le Disneyland Islandais ouvert 24/24. Heureusement que le reste du pays est encore un petit peu épargné en période hivernale par la folie touristique.
Des Icebergs flottent sur un grand lac en bordure de la route. J’essaye d’effacer de mon esprit le cirque qui se déroule sur un coté et les gens manipulant des drones malgré les multiples panneaux d’interdiction. Il y a quelques années, il n’y avait rien, si ce n’est peut-être un parking. Aujourd’hui, il y en a trois, un restaurant, un magasin de souvenirs, des hordes de bus de tours organisés et des bateaux et zodiacs sillonant le lac pour « voir les Icebergs de plus près ». Parce qu’ils ne sont pas déja assez près au naturel… Je file de l’autre coté du lac pour apprécier le paysage loin de toute cette folie humaine. C’est le Jökulsárlón, l’une des plus grande lagune glaciaire d’islande. Dans le fond, le glacier Breiðamerkurjökull forme une barrière blanche s’effritant petit à petit dans les eaux du lac. Au dessus, invisible se trouve le Vatnajökull, la plus grande calotte de l’île. Le paysage est spectaculaire. Jusqu’à ce que le silence soit brisé par le vrombissement d’un drone passant au dessus. Je bats en retraite et continue ma route.
C’est ma dernière journée en Islande et il pleut. Au canyon Fjaðrárgljúfur, deux asiatiques enjambent les barrières sous les yeux de tout le monde pour prendre des photos d’eux mêmes devant le paysage. Un gros signe « interdiction de franchir – zone protégée » au premier plan. Personne ne dit rien et cela me dégoûte. Je les apostrophe et ils me regardent d’un air stupide. J’ai envie de les pousser dans le vide. Hop, débarrassé de la stupidité humaine. Mais je continue vers la fin de mon voyage. Skógafoss est toujours là. La cascade la plus connue d’Islande. Toujours autant remplie de monde. Pourtant le camping juste devant est vide et les parking à moitié remplis. Oui il y a moins de monde qu’en Août dernier mais il en reste quand même bien trop à mon goût. Un groupe de Taiwanais mitraillent des tonnes de selfies en cosplay. La nuit tombe déjà et j’atteins l’aéroport de Keflavik sous la tempête. Un drôle de sentiment amer dans la bouche. Partagé entre le dégoût de l’espèce humaine et l’admiration absolue des paysages traversés pendant la semaine.
Je n’ai pas vu d’aurores boréales cette dernière semaine. Le ciel n’était pas au rendez-vous. Et il est encore un peu tôt dans la saison pour en voir. Je me contenterais donc du souvenir furtif de celle aperçue comme un mirage fin Octobre lors de mon séjour au sein de la ferme laitière. Pas d’aurores boréales. Pas de Macareux Moines. Pas d’Askja. Pas de Lakagigar. Pas de rennes sauvages. Pas de fjords de l’Est. Et pas d’Islandais. La liste de mes ratés. Cela sera t’il suffisant pour justifier d’un second voyage ? Malgré les touristes ? Malgré la folie humaine ? Malgré cet aspect Disneyland de l’Islande qui me dégoute et me désespère ? Probablement que oui. Parce que les paysages sont iconiques et grandioses. Parce que l’île mérite d’être découverte à pied et à vélo. Parce que l’Islande me manque déjà. Mais pas tout de suite. Une fois que l’intérêt superficiel des touristes mondiaux pour l’île aura enfin faibli alors je ferais mon retour.