Dans les flocons de la désillusion. Neuf mois d’Octobre 2018 à Juin 2019 en France suivi d’un très court passage en Italie.

Randonnées enchantées

La vallée de Chamonix est propice à la randonnée et je profite du temps parfait pour aller à sa découverte.
15 novembre 2018
Lac Blanc, Massif des Aiguilles Rouges, Vallée de Chamonix, France © Claire Blumenfeld
CARNET

Il fait sacrément chaud sous le soleil qui brille dans le ciel parfaitement bleu. Pas un nuage à l’horizon. Je suis à flanc de montagne. J’ai dépassé le Chalet de la Flégère et je suis en route pour le Lac Blanc. Un des lieux les plus connus de la région. D’ailleurs malgré que ce soit la fin Octobre, le beau temps attire les visiteurs. Randonneurs et touristes se mélangent sur les petits sentiers. Mais je suis une des seules à porter un gros sac chargé. Je suis partie pour deux jours de randonnée à travers le massif des Aiguilles Rouges, le massif faisant face au Mont-Blanc. J’ai quitté Chamonix ce matin, bien décidée à profiter de mes deux jours de repos. C’est ma première randonnée avec bivouac dans la vallée. 

J’ai quitté le village ce matin et me suit enfoncée à flanc dans la forêt de sapins. Le chemin a rejoint le plateau de la montagne de Charlanoz à 1800 mètres et je me suis émerveillée du paysage. Avec l’automne, les arbres, herbes et plants de myrtilles sauvages varient du jaune au rouge foncé. C’est très beau. J’ai longé le plateau marchant dans ce qui sera bientôt des pistes de ski pour rejoindre le Chalet de la Flégère où le téléphérique déverse les touristes venus observer le paysage et notamment la Mer de Glace en face. Je laisse la foule et continue mon ascension le long du sentier. J’ai chaud et le poids du sac me tire sur les épaules. Au dessus de moi, c’est le massif des Aiguilles Rouges. En face, l’extraordinaire Aiguille Verte et son pic, Les Drus, très connu des alpinistes. J’ai du mal à détacher mes yeux de la contemplation du paysage. Ici, au calme, presque seule et en pleine nature, je me sens extrêmement bien. Une douce sensation de bien-être m’envahit et je m’assoie dans l’herbe pour profiter du soleil et de cet instant de plénitude. Je me sens si petite, si humble, dominée par ces immenses massifs si anciens et si beaux. Mon esprit semble saisir une vérité que je suis incapable de mettre en mots. Ici, à 2000 mètres, allongées dans l’herbe à flanc de montagne, se trouve les réponses à ce que vivre veut dire. Simplement, tranquillement, en contact avec la nature et avec respect. 

Le Lac Blanc se profile dans un creux et j’atteins l’étendue d’eau alors que le soleil commence déjà à disparaître derrière les montagnes. Le refuge est fermé et je pose ma tente un peu plus haut à l’écart du sentier. Sans le soleil la température descend rapidement et je m’emmitoufle dans mon sac de couchage pour profiter d’un des plus beau coucher de soleil que j’ai eu la chance de contempler. Juste en face de moi, se trouve le massif de l’Aiguille Verte, gros géant délimité d’un coté par la Mer de Glace et de l’autre par le glacier d’Argentière. L’ombre avale à vue d’oeil les parois du massif et son sommet se teinte de jaune, rose et rouge. À 2300 mètres d’altitude je commence à saisir la géographie de la chaine du Mont-Blanc et ses spécificités. C’est un très et impressionnant massif entrecoupé de larges crevasses où s’étirent les glaciers. Les étoiles apparaissent dans le ciel et je m’endors parfaitement heureuse.

Le ciel est toujours aussi bleu le lendemain et je me lève avec le soleil. Une autre tente s’est établie un peu plus bas mais à part nous deux personne d’autre ne semble avoir passé la nuit dans le coin. J’aime les matins en pleine nature, en solitaire où les lieux sont si calmes et pas encore dérangés par la foule des marcheurs. Ces instants si beaux où la nature et moi-même semblons ne faire qu’un. Ces instants où j’ai l’impression d’être seule dans une nature encore vierge de présence humaine. 

Je remballe mes affaires profitant de la fraicheur du matin pour avancer. Le sentier descend brutalement en suivant quelques passages un peu raides et longeant les Lacs de Chéserys. Quelques bouquetins broutent non loin de moi et ne semblent pas dérangés par ma présence. Plusieurs ont de jolies cornes longues. Des mâles je suppose. Plus loin je croise les premiers marcheurs en sens inverse, venant du bas de la vallée. Le chemin traverse un long plateau à 2000 mètres et j’observe les myrtilles aux feuilles toutes rouges. Quelques baies toutes rabougries sont encore présentes sur les branches mais la grande majorité des plants sont déjà prêts pour l’hiver à venir. La pente se fait plus raide et le chemin descend fortement pendant 600 mètres avant d’atteindre le fond de la vallée et le petit hameau de Tré le Champ. Je retrouve la civilisation avec regret, il m’en faut retourner à Chamonix. Mon « weekend » touche à sa fin. Mais mon coeur est heureux et assise dans le train qui me ramène vers Chamonix je réfléchie déjà à ma prochaine excursion. 

Quelques jours plus tard, lors de mes jours de repos, je prends le téléphérique de l’Aiguille du Midi pour retourner au Plan de l’Aiguille, là où j’ai effectué mon saut en parapente une dizaine de jours auparavant. Je suis accompagné de Hongfei, un jeune chinois stagiaire réceptionniste à l’Alpina. Il n’a jamais fait de randonnées mais a tenu à m’accompagner aujourd’hui pour cette randonnée à la journée. Nous laissons la foule de touristes au pied du téléphérique et suivons un petit sentier pour aller voir le Lac Bleu, un tout petit lac glaciaire non loin d’ici. Encore une fois il fait très beau. Le soleil diffuse sa chaleur dans toute la vallée. Nous sommes à 2000 mètres d’altitude et il fait chaud comme en plein été. Tout autour les sommets miroitent dans la chaleur du soleil et la vallée en contrebas diffuse un brouhaha de civilisation lointain. 

Le chemin disparait et je me demande bien où peut se trouver le petit lac. Nous gravissons des éboulis espérant qu’il se trouve un peu plus haut mais rien. Cela commence bien pour Hongfei. Moi qui lui avait assuré qu’en ma compagnie il ne risquait pas de se perdre ! J’espère qu’il n’est pas en train de se poser des questions. Je laisse Hongfei en contrebas et gravis sur une petite crête pour observer le paysage. Le petit lac se trouve juste à coté de la station du téléphérique légèrement caché dans un creux. Nous l’avons raté de peu. Nous retournons sur nos pas et passons voir le lac avant de continuer sur le sentier longeant le plateau à flanc. Pendant trois bonnes heures nous longeons la montagne, juste au dessus de la forêt. Des rangées de sapins jaunissent au soleil peignant le paysage de longues trainées jaunes. C’est si beau que j’ai un peu de mal à écouter Hongfei me parler de ses interrogations face à l’avenir. Je suis contente d’être en sa compagnie, moi qui suit généralement toujours seule, mais je regrette un peu de ne pas pouvoir m’immerger pleinement dans le paysage, dans l’écoute du chant des oiseaux, dans cette méditation active que j’aime tant faire quand je suis toute seule en pleine nature. Au Signal des Forbes, le chemin se transforme sur une centaine de mètres en un superbe sentier pavé de longues dalles de pierres. De l’autre coté de la crête, nous surplombons la Mer de Glace, gigantesque glacier descendant des hauts plateaux. 

Nous rejoignons le Chalet du Montenvers, un peu plus bas et entamons la longue descente dans la forêt pour retourner à Chamonix. Hongfei à l’air d’être au bout du rouleau mais m’assure que tout va bien. Ses grosses chaussures non adaptées à la marche doivent probablement lui faire mal aux pieds. Pour une première randonnée, il aurait peut-être dû commencer par quelque chose de plus simple… Le soleil se couche alors que nous atteignons Les Planards, une clairière / piste de ski pour débutants en bordure du village. La lumière baigne les arbres d’une couleur orangée et le Mont-Blanc en arrière-plan se pare d’une nuance rosée. Nous atteignons l’Alpina à la tombée de la nuit et je remercie Hongfei pour sa compagnie en lui souhaitant de ne pas trop avoir de courbatures le lendemain.

Début Novembre, le temps change doucement et je profite de mes jours de repos pour aller faire une nouvelle randonnée avec bivouac avant qu’il ne fasse trop froid la nuit. Le petit train de la sncf m’emmène jusqu’aux Tines où je traverse l’Arve, la rivière qui coule dans la vallée et me lance à l’assaut des 800 mètres de montée me séparant du Chalet de la Flégère. Je grimpe doucement dans la forêt à l’abri du soleil et atteins le chalet en fin de matinée. Le chemin que j’ai choisi continue de monter pendant encore 300 mètres le long du téléphérique de l’Index. Les arbres ont disparu et le soleil tape dur. Les 1100 mètres de montée d’un coup se font sentir et j’ai bien du mal à atteindre le col où le sentier part à flanc. Je déjeune en bordure du chemin observant des gens qui semblent faire de l’escalade sur les parois de l’Aiguille de la Glière. 

Je longe les massifs, traversant les alpages et éboulis, surplombant la vallée avant de puiser dans mes dernières forces pour atteindre le col de la Glière à 2461 mètres. Les derniers mètres sont un peu difficiles, le sentier ayant fait place à des gros rochers à enjamber et longer à l’aide de cordes. Au col, l’autre coté du massif des Aiguilles Rouges se dévoile. Dernière moi le Mont-Blanc. De l’autre coté, les pics du massif et la chaine des Fiz au loin.  

Le Lac Cornu où j’ai décidé de bivouaquer se trouve en contrebas mais je profite de la fin d’après-midi pour faire une petit détour et aller voir les Lacs Noirs. En chemin je rencontre un jeune homme d’origine slave que j’ai déjà croisé lors de ma pause repas. Nous discutons quelques instants et il m’offre des biscuits au chocolats qu’il a fait lui-même ! Plus loin en atteignant les lacs, un groupe de bouquetins s’enfuient à mon approche. Dans une flaque d’eau, le gel a emprisonné des bulles d’air et dessine des motifs fascinants. Je passe un long moment à les photographier, perdue dans un espace où le temps n’a pas d’importance. 

Mais le soir arrive et la fraicheur de l’air me sort de mon hypnotisme. Les bouquetins sont réapparus et je les immortalise face au Mont-Blanc. Je repars ensuite en sens inverse pour retrouver le chemin principal et descends dans les éboulis pour atteindre le Lac Cornu. J’installe ma tente juste en bordure du lac dans la lumière d’un coucher de soleil parfait et m’endors sous un ciel rempli d’étoiles.

Mais à 2200 mètres, mi-Novembre, le froid de la nuit se fait sentir et j’ai bien du mal à  dormir. Malgré mon sac de couchage et mon sac de soie, j’ai froid. La nuit est longue et ce n’est qu’au petit matin que j’arrive à m’endormir, l’atmosphère se réchauffant doucement avec l’arrivée du soleil. C’est probablement ma dernière randonnée avec bivouac de la saison. En altitude, les nuits deviennent difficiles à supporter.

Un gros cairn m’attend fièrement au Col du Lac Cornu. Je jette un dernier regard au lac en contrebas et redescend de l’autre coté du massif en direction de la gare de téléphérique de Planpraz à 1800 mètres d’altitude. Il n’y a pas grand monde sur le sentier et je profite de ces moments privilégiés pour graver dans mon esprit la beauté, le calme et l’immensité des paysages. J’atteins le plateau où des employés sont en train de travailler sur les téléphériques. La saison d’hiver se rapproche. Je contourne la gare et continue ma descente tranquille dans la combe du Brévent et rejoins Chamonix, les jambes fatiguées par la longue descente de 1500 mètres mais le coeur heureux.

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