Périple à la découverte de soi-même. Cinq mois de Juillet à Octobre 2019 à travers l’Écosse et l’Islande.

Monotonies venteuses

Première partie de ma randonnée sur l’Hebridean Way à travers l’archipel des Hébrides Extérieures.
9 juillet 2019
South Uist, Hébrides extérieures, Écosse © Claire B. - Merci de ne pas utiliser sans autorisation

Me voila en train de faire à l’envers le West Highland Way. J’ai pris le train ce matin depuis Fort Williams pour rejoindre Oban sur la côte. Je redécouvre les paysages vu il y a quelques jours mais sous un ciel un peu plus radieux. Le train roule sur les hauts plateaux des Highlands au milieu de la nature. Rien, à l’exception d’une gare sortie de nul part. Je change à Crianlarich, où je suis passée il y a sept jours. Oban, petite ville portuaire avec de jolies maison est le lieu de départ du ferry pour les Outer Hebrides ou Hébrides Extérieures. Chapelets d’îles à l’ouest de l’Écosse, au nom gaélique de Na h-Eileanan Siar, elles regroupent une vingtaine d’îles de tailles différentes. Les plus grandes et plus peuplées (bien que le total des habitants tournent autour de 27 000 personnes), sont, du sud au nord : Vatersay, Barra, Eriskay, South Uist, Benbecula, North Uist, Berneray, Harris et Lewis. Ce sont les îles que je vais traverser lors de ma randonnées sur l’Hebridean Way, un sentier de randonnée s’étirant sur 250 kilomètres traversant l’archipel.

J’embarque en début d’après-midi sur le ferry pour Castlebay sur l’île de Barra, où se trouve le début de la randonnée. Cinq heures un peu longues de bateau plus tard et me voila arrivée dans un tout petit bled sur une île aux airs paradisiaques. Mais venteux. Quelle différence ! L’air y est sec mais il fait très froid. Les bourrasques de vent me font presque vaciller. Une petite heure de marche sur la route pour rejoindre l’autre coté de l’île où je retrouve le chemin que suit l’Hebridean Way. Le départ officiel du trek se trouve sur l’île de Vatersay, une toute petite île au sud de Barra mais je n’ai pas le temps de m’y rendre. J’ai prévu de bivouaquer mais le lieu envisagé pour camper est très venteux. Il est déjà 9h du soir et j’hésite un peu. Je décide de me rendre au camping, un kilomètre plus loin en espérant qu’il sera un peu plus protégé. Alors que je suis presqu’arrivée, un monsieur bien gentil s’arrête pour me proposer de m’emmener en voiture. J’ai beau lui dire que je suis presque à ma destination, il insiste et j’accepte donc. Ce sera probablement mon auto-stop le plus court du séjour : seulement quelques mètres !

Le camping est encore plus venteux que le lieu du bivouac mais je n’ai pas la force d’y retourner. Il est déjà 9h30 et je m’installe donc pour la nuit. Personne pour m’encaisser. Un minuscule building fait office de bloc pour les douches / toilette / cuisine. Mais le lieu renferme un trésor : Les meilleurs douches que j’ai jamais vu et du wifi dont la connection vacille un peu. C’est bien plus que je n’en espérais. Ma tente se plie un peu sous les bourrasques de vent et j’assiste à un joli coucher de soleil avant de fermer l’oeil pour ma première nuit sur les Hébrides.

Je me réveille sous un joli soleil qui a vite fait de décamper. Une masse nuageuse arrive, poussée par le vent et s’installe au dessus de Barra pour toute la journée. Tout est gris. Même pas quelques rayons de soleil pour venir furtivement illuminer le paysage. Donald, le gérant du camping vient me voir alors que je range ma tente pour encaisser son dû. C’est 10£ la nuit. 10£ pour un emplacement au vent mais les meilleures douches que j’ai vu en Écosse depuis que je suis arrivée. Et bien c’est comme ça.

Me voila partie sur l’Hebridean Way. Deux semaines à traverser les Outer Hebrides. Le chemin suit la petite route à travers le bourg de Borve. Puis monte dans les collines environnantes. Le sentier disparait pour faire place à une « trace » laissée par quelques marcheurs avant moi. Quelques poteaux marqués « Hebridean Way » positionnés tout les 200m indiquent la direction. Personne. À part quelques moutons. Une femelle et deux petits. Ils décampent à mon passage. La lande est humide et j’ai les chaussures qui mouillent. Je monte vers Beinn Bhirisig, puis redescends au Loch an Duin avant de remonter vers Beinn Eireabhal. La vue sur le détroit de Barra est superbe avec une centaine de petites îles et des plages de sables blancs. Un petit avion atterrit sur la langue de sable faisant office d’aéroport. Malgré le temps gris et le vent fort, le paysage est impressionnant. Je rejoins, un peu pressée, le ferry au minuscule terminal d’Ardmhor afin de traverser pour rejoindre la petite île d’Eriskay. Le ciel se dégage enfin laissant apparaître des rayons de lumière suivis de ciel bleu. Sous un ciel un peu plus clément, je traverse Eriskay, profitant d’un passage au petit magasin local pour acheter mon repas du soir. Sur un banc regardant le soleil qui arrive, j’apprécie le calme des lieux et la sensation d’apaisement qui s’en dégage.

Le « causeway » sorte de pont construit reliant Eriskay à South Uist, se profile déjà et je m’engage sur la route pour atteindre ma troisième île de la journée. Trois kilomètres sur le causeway suivi de trois autres pour rejoindre le Kilbridge camping, tout ça sur la route. C’est long et douloureux pour mes pieds mais que le paysage est beau. La mer turquoise, le sable blanc, les dunes, quelques bicoques et les montagnes en fond. Sous une fin d’après-midi ensoleillé, je m’installe au camping. 

Barra et Eriskay. 

Pas un nuage dans le ciel ce matin, il va faire beau. Il va faire chaud. Petit-déjeuner eggs on toast au Kilbridge Café et me voilà partie. Une vingtaine de kilomètres le long de la côte de South Uist pour rejoindre la presqu’île de Loch Aid a Mhuile. D’un coté la mer et de l’autre les prairies tapissées de pâquerettes et boutons d’or. Le paysage semble être vide. Il n’y a personne. Pas un bruit. En fait ce n’est pas vrai, il y a le bruit des vagues, du vent qui me siffle dans les oreilles, le gazouilli des centaines d’oiseaux de mer qui s’alarment à mon passage. Mais pas un bruit de civilisation. C’est calme, c’est vide, c’est presque triste. Des carcasses de voitures abandonnées gisent dans les champs. Témoins d’une île à la prospérité difficile ? Les habitants semblent les abandonner là, au milieu des fleurs, pour qu’elles tombent doucement en morceaux.

Le paysage défile : la mer, les dunes, les fleurs et les montagnes au loin. Toujours le même. Cela pourrait être méditatif. Si seulement mon esprit arrêtait de vagabonder. Simplement apprécier de marcher, un pas après l’autre, en regardant le paysage. Le parterre de fleurs m’éblouit à chaque pas. C’est vert, blanc et jaune. Avec tout un tas de variations. Je suis la trace de ce qu’il reste du Machair Way. En Gaelic, « Machair » signifie « terres herbeuses basses et fertiles ». Cet environnement ne se trouve que sur les côtes ouest de l’Écosse et de l’Ireland.

Un grand parcours de golf apparait dans les dunes près d’Askernish. J’ai chaud puis j’ai froid à cause du vent qui forcit. Je ne sais pas ce que je veux. Je fais une petit pause dans les dunes contemplant la mer en avalant un sandwich acheté ce matin qui tombe en miettes. Je me sens un peu étrange. Mi-heureuse, mi-triste. Est-ce dû à la monotonie du paysage ? Au poids du sac, un peu trop lourd qui me fait mal aux épaules et me file des ampoules ? Au fait que je ne croise personne ? Pourtant c’est ce que je voulais. Un trek plus sauvage et moins touristique que le West Highland Way. Mes envies ont été entendues et me voila servie. Mais je me sens un peu seule. Malgré la beauté que peignent les fleurs et le chant des oiseaux, quelque chose semble vide.

Je passe au Clubhouse du Golf course pour me réapprovisionner en eau pour le bivouac de ce soir. Et je continue à travers les dunes, des pensées plein la tête. Le vent me souffle dans les oreilles et le soleil tourne doucement tapant toujours aussi fort. À Loch Aid a Mhuile, aucun endroit pour bivouaquer et me voila, le moral dans les chaussettes, passablement fatiguée en train de rebrousser chemin d’un kilomètre pour retourner derrière d’autres dunes, celles-ci plus accueillantes. Je monte ma tente au milieu des pâquerettes et boutons d’or et m’affale enfin le moral en point d’interrogation et les pieds douloureux. Au milieu des fleurs et dans le calme du soir, appréciant le soleil qui descend et les couleurs qui rougissent, je revoie mon itinéraire pour la suite, essayant de raccourcir les étapes pour rester autour de 16km par jour. La fin du jour est belle, le soleil rougeoyant à l’horizon et je m’endors un peu réconfortée.

Je me réveille, le soleil déjà haut dans le ciel. Même ciel bleu sans nuages. Même parterre de pâquerettes. Même calme absolu. Me voila repartie le long de la côte pour une dizaine de kilomètres. À Caisteal Ormacleit, un chateau en ruine, je fais une petite pause. À peine assise qu’un étrange monsieur un peu chiffoné vient me parler. En l’espace de quelques minutes, Roddy me raconte sa vie, ses parents et sa soeur décédés récemment, l’époque où il s’occupait de 400 moutons, les cultures se récoltant désormais en Septembre plutôt qu’en Juillet et du chateau à coté duquel il habite ayant été détruit par le feu en 1715. Mais un grand marriage se prépare un peu plus loin sur la côte, les tentes sont en train d’être installées et il veut aller jeter un coup d’oeil. Toute cette agitation à l’air de le rendre heureux. J’y sens la marque d’un homme profondemment seul. Nous nous séparons sur une poignée de main et je continue mon chemin.

À Howmore, je m’arrête pour le déjeuner dans les jardins du tout petit Gatliff Youth Hostel. Personne mais les lieux sont ouverts me permettant de me ravitailler en eau. J’ai mal aux pieds et il fait chaud. Il fait chaud et un vent d’enfer. Une combinaison démoniaque qui a le don de me foutre à plat rapidement. Le sentier quitte enfin la côte et s’enfonce parmi les nombreux lacs et tourbières aux pieds des collines. Les mêmes pensées habituelles tournent en boucle à la lisière de ma conscience : pourquoi je me pousse à faire cela ? Est-ce que le plaisir de la randonnée tient-il à porter un sac lourd et à parcourir le sentier dans son intégralité malgré la difficulté ? Ou bien le plaisir de la balade devrait il être plus important ? Suis-je en train d’oublier que je suis « en vacances » et que le plaisir et la simplicité devraient guider mes pas ? Suis-je réellement faite pour faire de grandes randonnées ou est-ce une illusion que je me pousse à suivre? 

De retour sur une petite route et alors que je me motive pour les trois derniers kilomètres à faire, un camping-car s’arrête et me propose un lift. J’accepte avec bonheur. Il me dépose quelques minutes plus loin au pied de Our Lady of the Isles, une statue de 9m à l’effigie de la madone et son fils posés là au milieu de nul part. Quelques mètres plus haut sur une petite colline se trouve un relais de télécommunication. Je cherche un endroit pour camper mais le sol est penteux et le vent souffle toujours aussi fort. Je continue un peu le chemin et finis par poser mon barda dans une petite carrière en bordure de la route. C’est moins bien qu’y hier soir mais il n’y a pas trop le choix.

Bivouac dans le « Machair » de South Uist. 

À gauche, un menhir. 

Réveil sous les nuages. Il fait gris et humide. Je remballe mon barda me battant avec une centaine d’araignées des champs ayant élu domicile dans les recoins du sur-toit de ma tente. Ce matin je continue à travers la plaine remplie de lacs et tourbières. Le sentier disparait pour faire place à une petite trace qui navigue à travers les tourbières en suivant les poteaux indicatifs. À chaque pas, la terre semble vouloir avaler mes chaussures. L’eau est reine ici et il faut faire attention où poser ses pieds. Le soleil apparait un peu à travers les nuages et j’apprécie les variations de couleurs. La progression n’étant pas aisée, c’est avec soulagement que j’atteins les trois éoliennes du Lochcarnan Community Wind Farm où je retrouve un chemin de pierres. De loin les éoliennes me font toujours l’impression de fragiles et légers moulins à vent. De près, elles m’évoquent des monstres de puissance technologique. Je les dépasse écoutant le bruit caractéristique des pâles fendant le vent. 

Un nuée de taons a décidé de vouloir ma peau et je ne m’attarde pas. Au moins cela a le don de me distraire un peu de la monotonie du chemin à travers la plaine. Le sac est un peu moins lourd (beaucoup moins d’eau désormais) mais je claudique un peu à cause de mes ampoules. Certains endroits de la tourbière semblent avoir été retournés par la main de l’homme. Des carrés de tourbe sont posés dans un agencement particulier et je me demande bien ce que cela peut être. Il s’agit en fait de « peat » comme les gens d’ici appellent la tourbe, coupée et mise à sécher au soleil afin de pouvoir être ensuite utilisée comme combustible pour le feu. Les habitants des Hébrides utilisent la tourbe depuis bien longtemps pour alimenter leurs feux. Bien que moins puissant que le bois, la tourbe dégage un odeur agréable en se consumant. 

Une jolie chaumière traditionnelle au toit de chaume apparait en bordure d’un loch mais c’est marée basse et l’eau a disparu. Ne subsiste que la vase et des masses d’algues brunes. Et trois moutons perchés sur des rochers en train de grignoter les derniers restes d’herbes vertes. Je traverse le « causeway » reliant South Uist à Benbecula et me voilà sur une nouvelle île. Pause repas et ravitaillement au supermarché du coin. Et je prends le bus pour les trois derniers kilomètres me séparant du camping. Après trois jours et deux nuits « en pleine nature », j’accueille avec bonheur une douche chaude et une fin d’après-midi tranquille.

Trois heures du matin. Un vent à décorner les vaches me réveille. La tempête annoncée est enfin arrivée. Vent et pluie ont décidé de s’abattre violemment sur le rivage. Ma tente est ballottée dans tous les sens et même si je ne doute (pas trop) de sa résistance, il m’est impossible de fermer l’oeil. Je bas en retraite dans les douches emmenant toutes mes affaires avec moi et repliant rapidement ma tente. Pas vraiment d’endroit confortable pour dormir mais au moins je suis à l’abri. Je somnole pour le reste de la nuit en attendant l’arrivée du jour. Lorsque j’émerge de ma demie-torpeur, il fait orageux et le vent a encore forci. Les prévisions météo ne s’annoncent pas bonnes pour la journée ni pour la nuit prochaine et je décide de revoir mes plans. Il faut que je trouve une auberge ou un hotel afin de pouvoir dormir à l’abri et surtout dormir. Bien dormir pour me reposer car cela fait trois nuits que je ne dors pas très bien.  Environ six kilomètres plus loin se trouve le petit hameau de Baile nan Cailleach, où se trouve une auberge de jeunesse. Ce sera donc ma destination pour la journée.

Le chemin longe le rivage et je suis ballotée de tous les cotés par le vent et la pluie. En milieu de matinée me voila arrivée à l’auberge où je dépose mon gros sac et décide de continuer le chemin pour monter à Ruabhal. L’île de Benbecula est plate comme une pièce de monnaie. Si ce n’est pour la petite colline de Ruabhal, 124 mètres de haut, posée quasiment au centre de l’île. L’Hebridean Way gravit son sommet pour apprécier la vue des alentours puis redescend de l’autre coté avant de retrouver la route et rejoindre l’île de North Uist. Vu le temps, je vais simplement faire l’ascension et revenir à l’auberge. Tans pis pour la fin du trajet. La pluie s’est un peu calmée et je pars sur la route. Sept kilomètres en ligne droite pour rejoindre Ruabhal. La colline semble mettre une éternité à se rapprocher. Au sommet, des rafales de 70km/h me font vaciller. Je distingue à travers la couverture nuageuse et les bourrasques de pluie, l’infinité des petits lacs qui composent l’île. Un nuage impatient me déverse soudainement dessus des trombes d’eau et je décide de redescendre. Mais la pluie disparait aussi vite qu’elle est arrivée et le paysage se dévoile alors un peu plus. J’aperçois au loin les collines de North Uist dans les nuages. 

Sept kilomètres longs et monotones dans l’autre sens et me voila de retour à l’auberge passablement fatiguée. Quatre cyclistes sont arrivés entre temps et nous passons la soirée à discuter tranquillement. Aujourd’hui en marchant sous la pluie, vacillant sous les bourrasques, les questions qui m’occupent l’esprit depuis plusieurs semaines sont revenues en force. Pourquoi je marche ? Et pourquoi marcher dans ces conditions difficiles ? Le paysage est morne, l’atmosphère est triste, le poids du sac me tire sur les épaules, je suis fatiguée, et je ne prends pas plaisir à marcher. Alors pourquoi continuer ? Est-ce justement lorsque les conditions sont difficiles, lorsque l’esprit pousse à abandonner qu’il faut continuer ? Est-ce qu’une des grandes leçons à en tirer est qu’il faut laisser tomber ses attentes et accepter sereinement ce que l’on reçoit, même si cela ne nous convient pas ? 

En direction de Benbecula.

Lochcarnan Community Wind Farm.

À gauche, un cottage traditionnel et à droite, la vue depuis le sommet de Ruabhal.

Copyright content.