Périple à la découverte de soi-même. Cinq mois de Juillet à Octobre 2019 à travers l’Écosse et l’Islande.

Un pas après l’autre

Une semaine de randonnée sur le West Highland Way. Première partie à travers les Highlands, sous la pluie, la tête pleine de questions.
1 juillet 2019
Highlands, Écosse © Claire B. - Merci de ne pas utiliser sans autorisation

Le ciel n’a pas l’air dans son assiette aujourd’hui. Il fait gris et pluvieux et c’est mon premier jour sur le West Highland Way. J’ai quitté l’Italie et son soleil de plomb pour l’Écosse et sa météo capricieuse. Ce n’est pas grave, c’est ce que je cherchais. Des températures moins chaudes. C’est la mi-juin et après une semaine dans les 30° de l’Italie du Nord, j’accueille avec plaisir les 15° frisquets de l’Écosse. Je suis partie pour pour cinq semaines de randonnées à travers le pays. Cinq semaines d’effort et de retour au calme. En commençant par le West Highland Way, la randonnée Écossaise la plus connue, la plus fréquentée et aussi la plus marquée. C’est ma première longue randonnée, de plus de quatre jours, en solitaire. Environ 154km pour relier Milngavie, petite banlieue de Glasgow à Fort Williams au coeur des Highlands. Une semaine à traverser quelques uns de plus beaux paysages de l’Écosse.

J’ai laissé Milngavie derrière moi. Aujourd’hui c’est Samedi et il y a déjà pas mal de monde sur le chemin. Je traverse la campagne écossaise qui, pour l’instant n’a rien de très dépaysant. Des grands champs et prairies parsemés de bosquets de feuillus. Je marche sur des petites routes et chemins forestiers. Dans l’après-midi, les nuages se dispersent enfin et le paysage prends des couleurs. Le sac est lourd. Vraiment lourd. La ceinture du sac tout neuf est un peu rigide et me serre les hanches. Cela m’abime la peau me causant de grosses irritations, bleus et inflammations. La douleur augmente avec les heures qui passent et j’ai de plus en plus de mal à marcher. J’accueille avec soulagement l’apparition du  minuscule camping de Drymen en fin d’après-midi. Une vingtaine de tentes sont déjà installées dans ce qui ressemble au jardin d’une grosse ferme. J’installe la mienne sous un soleil magnifique clopinant tant bien que mal. Mes hanches sont toutes abimées et la plante de mes pieds a souffert. Une vingtaine de kilomètres effectués aujourd’hui. Avec un sac d’une bonne vingtaine de kilos. J’attaque fort et probablement un peu trop fort. Les nuages reviennent et je ne peux m’empêcher de me poser tout un tas de questions : comment va être le temps demain ? Vais-je être capable de faire l’intégralité de la randonnée ? Est-ce que le plaisir de la randonnée vaut-il vraiment le coup de s’imposer le mauvais temps et les douleurs physiques ? 

Le lendemain, mes hanches crient au supplice sous le poids du sac. Mais comme pour tout le reste, l’esprit humain s’habitue à tout. Alors au fil des heures qui passent, sous un ciel alternant nuages et soleil. Je m’habitue à la douleur. Les variations de luminosité rendent le paysage superbe. Et j’apprends à accepter la douleur, à marcher à ses cotés, à ne pas laisser mon esprit se concentrer dessus. C’est quand même foutrement dur. À la poste de Drymen, j’envoie 450g d’affaires à mes parents. Mon sac est trop lourd et il faut que je me débarrasse de mon barda inutile. Mais les 2kg en trop viennent de mon ordinateur et des divers chargeurs. Faut-il que je m’en débarrasse ? 

Beaucoup de monde me dépasse. D’autres marcheurs. Je ne suis pas toute seule à faire le West Highland Way. Loin de là. Je commence à repérer les visages croisés hier ou au camping. La plupart n’ont que de petits sacs. Ils doivent dormir en hotel ou utiliser le service de transfert de bagages. Devrais-je faire pareil ? Est ce que la fierté mal placée de vouloir absolument porter tout mon barda doit-elle l’emporter sur le plaisir de la randonnée ? Est-ce que la difficulté fait partie de l’expérience ? De mon choix d’expérience ? Toujours est-il que même les gens chargés de gros sacs ne semblent pas avoir autant de mal que moi. Je ne dois pas être en aussi bonne forme que ce que je le pensais. J’ai du mal à l’accepter. Moi qui me pensait une randonneuse accomplie… Je me dis que cette randonnée c’est comme la vie : toujours difficile au début. Et que la réussite tient au fait de savoir accepter les difficultés et se dépasser.

La montée de Conic Hill n’est pas si difficile. C’est le point d’intérêt de la journée. 300 mètres de montée pour apprécier la vue sur Loch Lomond. En haut, le grand lac se dévoile parsemé de petites îles. Avec les rayons du soleil c’est très beau. Mais très touristique. Un fermier crie sur ses chiens qui essaient vainement de rassembler un groupe de moutons éparpillés. La descente de l’autre coté est parsemée d’escaliers rendant la progression difficile. Arrivée à Balmaha, j’ai l’impression de débarquer pendant un instant au sein d’une station touristique d’une ile paradisiaque. Mais non je suis bien en Écosse, en plein coeur de l’Écosse. Je rejoins le rivage du grand lac et le chemin longe le bord pendant encore six kilomètres. J’ai mal partout mais l’atmosphère paisible diffuse un sentiment de bien-être dans mon esprit. La petite aire de bivouac presque vide de Sallochy Bay apparait en début de soirée dans une nuée de midges. J’installe mes affaires à toute vitesse essayant tant bien que mal d’échapper à la piqûre douloureuse des minuscules insectes. Une deuxième journée d’effectuée sur le West Highland way. 

La campagne Écossaise.

La montée à Conic Hill. 

Loch Lomond.

La pluie m’accueille à mon réveil et la perspective de faire les 27km prévus me paraît soudainement impossible. Hier, je me sentais optimiste mais aujourd’hui c’est différent. Première étape, rejoindre Inversnaid Hotel, à une quinzaine de kilomètres d’ici. Pour la suite, on verra. Le temps est maussade toute la matinée. Heureusement le portage du sac se fait moins douloureux. Je longe le lac dont la couleur varie du gris clair au gris sombre en fonction des nuages. Après 6km j’atteinds Rowardennan. Presque deux heures de marche déjà. Je discute un peu avec un français qui a campé là. Curieusement la discussion me remonte le moral. Le chemin se transforme rapidement en un raidillon longeant le bord du lac avec cailloux et racines et ne faisant que monter et descendre. Dieu que c’est difficile. Pourtant, la partie difficile du trek est sensée être la suivante (comme ça mais en pire) de Inversnaid à Inverarnan. Si j’ai déjà du mal là je n’imagine pas après. La pluie s’abat de plus en plus fort et je fonce. Curieusement, sous la pluie, le poids du sac ne se fait presque plus sentir, mon esprit étant concentrée sur autre chose.

À midi, il me reste encore cinq bons kilomètres à faire pour rejoindre Inversnaid. Il est temps de changer mes plans, il me sera impossible de faire les 27km prévus. Tans pis. Avec un sac d’une quinzaine de kilos, je ne peux apparement faire qu’une quinzaine de kilomètres par jour. Je ne veux pas me tuer à la tache, je préfère essayer d’apprécier la marche. Je vais prendre le ferry de Invesnaid à Tarbet de l’autre coté du lac puis un bus jusqu’à Inverarnan. 

J’arrive à 14h05 à Inversnaid, 10min avant le ferry. J’ai fait 16.5 km quasiment sans m’arrêter, je suis sur les rotules. Le ferry nous emmène à Tarbet sous une pluie torrentielle et je m’écroule dans le seul petit café du coin. Une délivrance. Il est 15h, je n’ai pas encore mangé. J’achète une soupe maison, un panini bacon-brie, un chocolat chaud au lait de soja avec marshmallow et une part de gâteau au chocolat. Tout ça. C’est beaucoup trop pour mon estomac mais juste assez pour mon esprit fatigué. Je discute avec un couple de jeunes anglais qui ont campé à Sallochy Bay comme moi hier soir. Eux aussi ont décidé de prendre le ferry et le bus. L’autocar arrive, quasiment plein et je laisse le ronronnement du moteur me plonger dans une torpeur douce alors que nous longeons le lac. Inverarnan apparaît et je débarque devant un camping à la ferme sous un soleil radieux. Le lac a fait place au début des collines des Highlands. C’est très beau mais de nouveau rempli de midges. 

Je me lève sous un ciel orageux mais pas encore pluvieux. Mais la pluie est traitre et me surprend alors que je reviens des toilettes. C’est le déluge. Une bonne leçon à retenir : toujours ranger la tente lorsqu’il ne pleut pas, le plus vite possible, le reste (soins, petit-déjeuner) peut attendre. Ma tente est trempée. Je remballe tout vite fait et essaye de faire sécher mes affaires dans la « cuisine » du camping mais c’est peine perdue.

Apparemment il va pleuvoir toute la journée et même la nuit. J’ai attrapé froid en arrivant en Écosse et avec le mauvais temps cela ne s’arrange pas. Je n’ai plus de voix. Elle a disparue. Je cède à l’appel du confort et réserve une petite cabane au prochain camping. Il ne reste plus que des grandes à 45£. Ça fait cher mais c’est le prix pour être au sec.

Malgré la pluie, la randonnée est belle et tranquille. Le poids du sac est supportable et la pluie ne mouille pas trop. Autour de moi, les collines vertes des Highlands commencent à apparaître. Les mêmes questions qu’il y a quelques jours me tournent dans l’esprit. Pourquoi marcher ? Pourquoi s’imposer la douleur physique et mentale ? Est ce que la réponse, c’est qu’il n’y a pas de réponse et qu’il faut l’accepter ? Les choses arrivent-elles parce qu’elles arrivent, sans forcément avoir de sens ? 

Avec la pluie la nature semble vraiment inhospitalière. Et très vivante. C’est le royaume de l’herbe et des fougères. À moins d’avoir de la fourrure, l’être humain ne peut survivre longtemps en pleine nature avec toute cette eau. Je passe à Crianlarich pour le déjeuner puis continue sous la pluie pour rejoindre enfin Tyndrum et ma petite cabane. Un tout petit chalet en bois avec juste des banquettes, un chauffage et une bouilloire. Le paradis. Je sèche mes affaires qui commencent à sentir et m’aventure jusqu’à un petit restaurant pour un repas bien mérité.

Une chèvre sauvage et la forêt dans la brume. 

Le ciel est gris et humide ce matin. Cela commence à être redondant. Au moins j’ai bien dormi et mes affaires sont sèches. Je quitte Tyndrum sous la pluie m’enfonçant dans les vallées. Des montagnes verdoyants aux formes extraordinaires m’entourent. Malgré le bruit du traffic de l’A82, qui n’est jamais bien loin, j’ai l’impression de commencer à m’enfoncer dans la nature sauvage des Highlands. Les nuages s’effilochent sur le haut de Beinn Dorain. Sa forme pointue me fascine. Quelques éclaircies tombent à pic apportant une dimension merveilleuse au paysage. Suivies par une averse bien sentie qui écourtera mon repas de midi. Je trace la route, longeant les flancs de la montagne. Rien à part l’herbe verte. L’eau me dégouline sur le visage. Comme d’habitude, des pensées inquiètes me viennent rapidement à l’esprit. J’essaye de les calmer en réalisant que malgré tout je me sens bien Je n’ai pas froid, je ne mouille pas trop. Tout va bien. Et puis, la perspective de pouvoir en dernier recours prendre une chambre en hôtel plane de façon rassurante à la lisière de mon esprit.

En regardant les paysages dont les couleurs sont principalement centrées sur le vert et le gris, je me dit que c’est dommage que le temps soit si maussade. Et que cela m’empêche de prendre plaisir à la randonnée. Mais la réalité, elle, elle s’en fout de tout ça. Il pleut, il pleut. Point barre. Elle s’en fout que je soit en dessous en train de faire le West Highland Way. La bonne leçon à retenir de tout cela, c’est qu’il faut accepter la réalité telle qu’elle vient. À Bridge of Orchy, les éclaircies reviennent. Je repars de plus belle, le moral au plus haut. Qu’est ce que c’est beau ce ciel aux variations de gris, ces nuages s’accrochant aux montagnes et ces rayons de soleil donnant du contraste au paysage. Je monte sur le sommet de la petite colline dominant Loch Tulla. Un petit plateau et des chaînes de montagnes apparaissent. C’est magnifique. La partie un peu plus sauvage du sentier commence. Des nuages menaçant défilent et j’observe le paysage changeant constamment. 

La descente vers Inveroran Hotel est plus courte que prévue et me voila arrivée au niveau d’un petit espace pour bivouaquer à coté d’une rivière et d’un petit pont en pierre. Rien à part les montagnes, quelques vaches et l’auberge quelques mètres auparavant. Et une dizaine de marcheurs qui camperont au même endroit. « Sauvage » sans l’être vraiment. Il pleut plus ou moins fort toute la soirée et je profite d’un répit pour apprécier le paysage. C’est calme et malgré la pluie rendant l’aventure compliquée et moins sereine, je suis contente d’être là. J’assiste même à mon premier « coucher de soleil » avec quelques nuages roses. Malgré la pluie, ce fut la plus belle journée depuis le début de la randonnée.

Rien n’est prévisible ici. Le climat écossais change en permanence avec une furieuse fixation sur pluvieux. Jouant grandement avec mes limites. Je me réveille à 6h, ma tente encore sèche. Leçon apprise, je remballe tout rapidement. De gros nuages noirs se profilent à l’horizon et j’ai à peine le temps de manger un petit-déjeuner froid qu’il se met à pleuvoir de nouveau. 7h45, je commence donc à marcher. C’est la traversée de la « moor » montagnarde. Il pleut et le vent me siffle dans les oreilles. Les créateurs du chemin autrefois, ont eu la bonne idée d’en faire un chemin rempli de cailloux. La marche est douloureuse et mon ampoule au petit doigt de pied accentue la difficulté. À peine une heure de marche et je suis à plat. Je ne sais pas si c’est la fatigue, le vent, la pluie ou le chemin caillouteux qui monte doucement mais surement mais je n’en peux plus. Le poids du sac me lamine de nouveau les épaules. 

Je parcours la moor, désertique, verte, montagnarde, magnifique. Mais aussi très inhospitalière. Il pleut. Beaucoup. Et je marche comme un robot puisant dans mes dernières volontés. Cela fait quatre jours qu’il pleut désormais presque en permanence. Je traverse avec un seul but. Atteindre l’autre coté. Le Glencoe Mountain Resort. Mon corps avance tout seul. Mon esprit lui s’est retranché. Il plasmodie un appel au soleil, une lamentation pendant des heures sous mon crâne. Mais le soleil qui perce bien par quelques instants n’est pas de taille face à la masse de nuages gorgés d’eau qui défile sur la région depuis des jours. C’est apparemment une des zones de l’Écosse où il pleut le plus. Je veux bien le croire.

Une pluie torrentielle finit par s’abattre pendant ma dernière heure de marche. Je suis dans un état un peu second, partagée entre un état de désespoir accentué par une douleur lancinante dans mon crane et mon dos et une volonté de ne pas se laisser abattre et de relativiser. Le Glencoe Mountain Resort apparait enfin et j’ai du mal à me dire que je vais encore payer 60£ pour une petit hutte (pour 4 personnes, toute seule, je me fait toujours avoir sur les prix) mais je refuse de rester dehors. Mon budget file à vitesse grand V mais encore une bonne leçon, il faut savoir faire face aux imprévus et accepter les décisions que l’on prend. Je m’abrite avec bonheur dans une sorte de petit trou de hobbit recouvert de fausse herbe et sombre dans le sommeil, le corps un peu malade. En me réveillant plus tard je m’aperçois que plusieurs personnes ont décidé de camper malgré la pluie dans le petit camping à coté et je me pends à regretter mon choix d’avoir payer pour le confort. J’aurais certainement pu camper moi-aussi. Mais pas aujourd’hui. Aujourd’hui sur le flanc de la montagne désolée, je me sens malade et abandonnée. Je me sens profondément seule. 

Beinn Dorain à gauche et Loch Tulla à droite. 

Bivouac sous la pluie. 

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