Errances dans l’outback. Quatorze mois en Australie de Juillet 2017 à Septembre 2018.

La terre d’Arkaroola

Poussière rouge, kangourous, lac salé et bush aride. Découvertes en terre particulière.
21 septembre 2017
Arkaroola Wilderness Sanctuary, Australie Méridionnale © Claire Blumenfeld
CARNET

La blancheur du lac m’éblouie. Des deux cotés de l’avion s’étale une vaste étendue blanche miroitante. Le lac Frome est un grand lac salé situé à l’Est des Northern Flinders Ranges. Comme il ne pleut que très rarement dans la région, le lac est généralement sec et recouvert d’une pellicule de sel. Parfois après de rares averses de pluie des marres d’eau saumâtre se forment et donnent au lac des teintes rosées. J’ai eu la chance de pouvoir embarquer dans le plus long des scenic flights proposés par le Resort. 1h30 de vol au dessus du Lac Frome et des montagnes qui constituent Arkaroola Wilderness Sanctuary. Les deux autres passagers (un couple très charmant) et moi nous émerveillons à chaque instant. Difficile de rester de marbre devant tant de beauté.

La voix de Doug, le pilote de l’avion et propriétaire d’Arkaroola, résonne dans mes oreilles. Malgré les écouteurs, le ronronnement de l’avion envahit l’espace sonore. Seulement trois places passagers dans le petit avion qui nous sert de transport. Entre moi et l’extérieur, seul un fin revêtement métallique nous sépare. Les paysages d’Arkaroola, situé au Nord des Flinders Ranges défilent sous mes yeux. Le lac à droite, les montagnes à gauche et au milieu une vaste plaine presque désertique. Quelques pistes marque la présence d’êtres humains dans la région. Depuis le ciel, le paysage est un ensemble de motifs fascinants. Avec la hauteur je prends toute la mesure du paysage semi-désertique au sein duquel j’ai mis les pieds depuis début Juillet. Deux couleurs se partagent la palette : le rouge et le vert. Le rouge du sol du désert et le vert de la végétation composée d’Eucalyptus et de Spinifex (plantes vivaces poussant dans les régions désertiques de l’Australie). Des petites vallées et gorges s’étirent le long des collines plus ou moins escarpées. Et un trou d’eau aux reflets verts fluorescent apparaît par moments. Le paysage pourrait paraitre monotone mais les jeux de lumière, le contraste et les textures me fascinent. De cette simplicité émane une sensation d’apaisement. En regardant Arkaroola depuis les airs, je sens mon attachement pour le pays se renforcer de secondes en secondes. 

De retour sur le plancher des vaches, tout le monde y met du sien pour ranger l’avion dans le minuscule hangar faisant office d’aéroport qui porte fièrement le nom d’Arkaroola International Airport Terminal. Je doute qu’il y ai beaucoup de vols internationaux qui atterrissent à Arkaroola mais l’idée me fait sourire. Dans le hangar à l’abri de la poussière se trouve un vieux Cessna qui fait la fierté de Doug. Le propriétaire d’Arkaroola est un pilote professionnel qui aimerait passer la majorité de son temps dans les airs plutôt que de s’occuper de la gestion assez difficile du sanctuaire. Maintenir un sanctuaire et resort de la taille d’Arkaroola en plein désert n’est pas une tâche facile notamment lors des années de sécheresse comme celle que nous sommes en train de vivre actuellement. Les ressources en eau sont limitées et les installations vieillissantes du resort tombent doucement l’une après l’autre en petits morceaux. Alors Doug doit se contenter des vols de découverte pour les clients pour donner lieu à sa passion. 

Kelsie s’est arrêtée, le regard planté sur une boule d’épis au pied d’un arbuste. Le chien de Jessica, une des cuistots de la cuisine d’Arkaroola a repéré un Echidné !! J’ai bien fait de l’emmener en balade avec moi. C’est la première fois que je vois, en chair et en os, la petite boule qui ressemble à un porc-épic ou à un gros hérisson. Elle semble se reposer à l’ombre, son petit museau allongé frémissant légèrement à mon approche. Les échidnés contrairement à une grande partie de la faune australienne ne sont absolument pas dangereux pour l’homme. Ils se contentent de fouiller la terre à la recherche de termites et insectes et se roulent en boule au moindre danger. 

Les Flinders Ranges, en Australie Méridionale abritent une faune variée faite d’oiseaux, de kangourous, d’émeus, de lézards, de serpents, d’échidné, etc. Autour d’Arkaroola, les oiseaux (perroquets, faucons, fairy-wren, wedge-tailed eagle, pigeons à crêtes, magpie et autres font entendre leur jolie mélodie en permanence. La grande attraction du moment, ce sont les émeus. Les femelles ont donné naissance il y a quelques mois aux petits et c’est désormais aux Papas de s’en occuper. Une dizaine d’émeus mâles avec plusieurs petits (pouvant aller de quatre à plus de dix) déambulent sur le terrain du caravan park et le long des criques aux alentours du village. Avec leur plumage rayé et une démarche un peu maladroite, les petits font fondre les coeur de touristes et des membres du staff, moi y compris.

Et puis il y a les Kangourous : Grey kangaroo, Wallabies, Yellow-footed Rock-wallabies, le lieu n’en manque pas. À l’abri dans les collines, il n’ont pas trop à craindre des voitures. Le Yellow-footed Rock-wallaby, de petite taille et avec ses pattes et queue à la fourrure jaune est le grand favori. Les gens viennent à Arkaroola en grande partie pour en voir. Il suffit de se balader le long des criques lors du crépuscule et vous en apercevrez un tout les cent mètres ! Apparemment il existerait même un wallaby blanc ! Une photo de l’animal est accroché derrière la réception d’Arkaroola. Mais son apparition est très rare. Il ne s’est pas montré pour moi. Ce sera pour une autre fois.

Je marche sous le soleil le long du Bararanna Trail. Le sentier m’emmène à travers un paysage de roches rouges. Cela parait sec et désertique mais ce n’est pas le cas. Mon regard vagabonde à travers les roches pour s’attarder sur les tâches de couleurs présentent un peu partout. Les plantes sont en fleurs. Vert, rouge, blanc, violet, jaune, rouge. Un festival de couleur. Aujourd’hui c’est jour de repos et je profite de mon temps libre pour aller explorer le bush. Malgré le fait que nous sommes en hiver, la température est déjà chaude et le soleil tape fort. Je marche tranquillement à travers les petites vallées et gorges étroites délimitées par de superbes falaises de roches rouges.

Le bush australien est un environnement fascinant où l’on trouve des plantes natives aux noms intéressants : bush-banana, bush-tomatoes, native curry, Sturt’s Desert Pea, etc… Mais elles ont peu de choses en commun avec les plantes dont elles tirent le nom. Les fruits ressemblent vaguement à la forme d’une banane ou d’une tomate mais le goût n’a rien à voir. Pour les non-initiés, le bush est un lieu effrayant, rempli d’animaux dangereux, sans eau et nourriture. Pour les spécialistes, Aborigènes ou bushman, le bush est un lieu plein de ressources. La plupart des espèces natives sont comestibles et l’eau se cache souvent non loin de la surface. 

Dans les Flinders Ranges il n’y a pas de rivières permanentes. Sauf lorsque les criques se remplissent brutalement suite à de grosses pluies, coupant les routes et rendant les déplacement difficiles. Mais la grande majorité du temps l’eau est absente du paysage. Ou c’est ce que l’on croît. À la place de rivières, le bush australien abrite des Waterholes. Ce sont des trous d’eau permanents dont le niveau varie en fonction des saisons. Stubbs Waterhole et Bararanna Gorge sont probablement les plus beaux de la dizaine de waterholes présents à Arkaroola. Oasis au milieu du désert, les trous d’eau attirent toute la faune du coin. La couleur verte opale de l’eau contraste magnifiquement avec le rouge des rochers.

En marchant à travers le bush silencieux, je pense aux Aborigènes. Les autochtones australiens ont largement disparu du paysage et la grande majorité de leur culture, traditions et connaissances du pays ont été éradiqué par la présence de l’homme blanc. Il reste encore quelques communautés vivant dans le désert, dont notamment ici à Arkaroola mais les descendants d’aujourd’hui ne sont plus que l’ombre de l’incroyable peuple qu’était les Aborigènes avant le débarquement des Européens. Nomades par nature, les Aborigènes connaissaient parfaitement leur pays et se servaient des « songlines » pour se déplacer à travers leur territoire et s’alimenter. 

« Dans le système de croyance animiste des Aborigènes, une songline, également appelée « piste rêvée » ou « piste chantée », est l’un des chemins à travers le pays (ou parfois le ciel) qui marquent la route suivie par les « êtres-créateurs » (ou Grands Ancêtres) locaux pendant le Temps du Rêve. Les itinéraires des songlines sont consignés dans les chansons, histoires, danses et peintures traditionnelles. Une personne initiée est capable de se déplacer à travers le territoire en répétant les paroles de la chanson, qui décrivent l’emplacement des points de repère, les points d’eau, et d’autres phénomènes naturels. On dit que, dans certains cas, les chemins des Grands Ancêtres sont identifiables aux traces qu’ils ont laissées sur le sol, telles que les grandes dépressions dans la terre censées être leurs empreintes de pas.

En chantant les chansons dans l’ordre approprié, les peuples autochtones pouvaient s’orienter sur de longues distances, voyageant souvent à travers les déserts de l’intérieur de l’Australie. Le continent australien recèle un vaste système de songlines, dont certaines ne font que quelques kilomètres, tandis que d’autres traversent des centaines de kilomètres à travers les terres de nombreux peuples autochtones – des peuples qui peuvent parler des langues nettement différentes et qui ont des traditions culturelles distinctes. Puisqu’une songline peut s’étendre sur les terres de plusieurs groupes linguistiques différents, les diverses parties de la chanson sont dans ces différentes langues. Les langues ne sont pas un obstacle parce que le contour mélodique de la chanson décrit la nature du terrain sur lequel la chanson passe. Le rythme est ce qui est crucial pour comprendre la chanson ». – Glossaire sur l’art aborigène

Alors que je traverse le paysage, l’idée de se déplacer à travers le pays en utilisant des chansons me paraît d’un seul coup parfaitement évident. Une carte sonore comme guide de mes pas. Comme ce que font les oiseaux dont les chants tracent les contours de leurs territoires et l’emplacement des ressources. Moi, avec mes yeux d’européenne et mon esprit si limité, je suis incapable d’appréhender l’environnement dans lequel je me déplace autrement que comme un simple paysage, un décor. Et pourtant le bush australien (comme tous les environnements du monde) est bien plus que cela. Mais il ne se révèle qu’aux initiés. Et alors que je contemple ce paysage si différent, j’ai la conviction qu’il me faut m’initier à cela si je veux un jour être capable de saisir la nature dans son intégralité. 

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