Périple à la découverte de soi-même. Cinq mois de Juillet à Octobre 2019 à travers l’Écosse et l’Islande.

À la découverte d’Harris et Lewis

Dernière partie sur l’Hébridean Way à travers Harris et Lewis. Une fin de randonnée pleine de découvertes et rencontres.
15 juillet 2019
Harris, Hébrides extérieures, Écosse © Claire B. - Merci de ne pas utiliser sans autorisation

Il pleut toujours quand je débute la randonnée en fin de matinée. Il faut bien que j’y aille sinon je vais prendre racine au Am Bothan Bunkhouse. Aujourd’hui c’est le début d’une nouvelle partie sur l’Hebridean Way. Je laisse derrière moi les petites îles pour traverser la montagnarde Harris. Moins de longues étendues plates et plus de collines vallonnées. Leverburgh semble triste dans la grisaille. Le chemin monte dans la tourbière entre les collines mais vu qu’il pleut depuis deux jours, je décide plutôt de suivre la route. Je n’ai pas envie de patauger pendant des heures au milieu de nul part. Des éclaircies sont sensées arrivées vers midi mais pour l’instant le temps n’en fait qu’à sa tête. Deux kilomètres plus tard, j’abandonne. La route se rétrécit et marcher à coté des voitures n’a rien de bien sympathique. Et puis je suis trempée. La journée commence bien.

Un infirmier à domicile me prend en stop quelques minutes plus tard. Il s’occupe de patients atteints de démence et fait le tour de l’île. Il vient de Stornoway, la grande ville des Hébrides et il lui reste un patient à voir dans le coin. Il me dépose un peu plus loin, à Northton où je me réfugie au Temple View Café, une toute petite chaumière ronde en grosses pierres, pour attendre que la pluie passe. Dans la brume je distingue les collines environnantes surplombant le lieu. Les prairies arrivent juste en bordure de la mer et malgré le temps gris c’est très beau.

Une heure plus tard, je quitte les lieux, la pluie s’étant un peu calmée. Me voila de retour sur la route pour quelques kilomètres de plus afin de rejoindre le chemin. Des plages de sable blanc apparaissent doucement à travers la brume. Une voiture s’arrête et me propose un lift ! Il ne me reste qu’un kilomètre à faire le long de la route mais j’accepte. À Scarista, de retour sur le chemin, j’entame une petite montée à travers les prairies pour prendre de la hauteur. Le sol est gorgé d’eau et mes chaussures qui ne doivent plus être tellement waterproof prennent doucement l’eau. Les poteaux indicatifs se font rares et je plisse les yeux observant le paysage toutes les dix minutes pour savoir où aller. Les lieux sont parsemés de gros cailloux blancs donnant un air un peu lunaire aux collines. Des ruisseaux coulent de toutes parts et j’ai rapidement les pieds gorgés d’eau. La Little Borve River m’oblige même à enlever mes chaussures afin de la traverser. La progression est un peu difficile à flanc de collines mais après m’être prise une dernière « douche » de la part d’un nuage mécontent, les éclaircies arrivent enfin ! J’ai le moral au plus haut m’amusant grandement au final à traverser cette moor détrempée.

Le soleil illumine par moments le paysage rendant les lieux superbes. Je distingue Horgabost et Sheileboist et la fameuse plage Luskentyre, apparemment la plus belle des Hébrides. Effectivement les lieux sont magnifiques. De grandes plages de sables blanc avec eaux turquoises entourées de petites montagnes. Cela me change pas mal des paysages traversés précédemment et j’en suis bien contente. En fin d’après-midi, je quitte le chemin pour rejoindre le camping à Horgabost en bordure de la plage. Le lieu a l’air paradisiaque si ce n’est pour la centaine de tentes et caravanes qui ont élu domicile au camping. Malgré tout, la soirée est tranquille. Mais moi qui pensait pouvoir peut-être assister à un coucher de soleil, eh bien non ce ne sera pas pour ce soir. Le ciel se couvre de nouveau et après un petit tour dans les dunes je bas en retraite dans ma tente.

La plage Horgabost. 

Malgré les prévisions annonçant nuages et soleil, le ciel des Hébrides à décidé de se concentrer sur nuages. Me voila donc à reprendre le chemin là où je l’ai laissé hier sous un ciel de nouveau menaçant. Deux sacs à dos marchent à travers la moor et je fais connaissance avec un couple de Suédois. Ce sont les « troisième » randonneurs que je croise sur le chemin après Julie et Venula. Un peu plus et on se croirait sur le West Highland Way !

Le chemin continue à travers les collines comme hier puis monte durement à travers jusqu’au sommet de Carran. De là, se dévoile enfin le plus bel endroit des Hébrides : le Traigh Sheileboist, le Traigh Losgaintir et la plage Luskentyre, grandes étendues de sables blancs et eaux turquoises. C’est superbe. J’attends en vain une éclaircie qui ne vient pas puis continue mon chemin. Coffin Route monte doucement jusqu’à un petit col où je jette un dernier regard sur le détroit. Avant de continuer de l’autre coté. Coffin Route, « la route des cercueils» fut ainsi nommée car le sentier était autrefois emprunté par les familles vivant sur la côte Est d’Harris (au sol inhospitalier et peu profond) transportant leurs morts pour les enterrer dans la terre plus profonde de la côte Ouest d’Harris. 

Le chemin se transforme en un sentier qui descend doucement. C’est un vrai sentier de randonnée. Ou en tout cas ce que j’attends d’un sentier de randonnée : petit, bien tracé, fait de terre et pierres et facile à suivre. Un vrai plaisir. Le deuxième seulement que je rencontre depuis que je suis arrivée en Écosse. Je descends tranquillement vers les Bays, la côte Est d’Harris aux minuscules villages isolés. Au 19ème siècle, les Hébrides furent victime des « Highland Clearances », des déplacements forcés de la population pour agrandir les terres d’élevage. Des villages entiers furent forcés de quitter leur maisons  pour laisser place à l’élevage de moutons. Sur Harris, les familles refusant de déménager furent déplacées dans les Bays. La vie y était rude et difficile. 

Le paysage est presque lunaire et il n’y a pas un bruit. J’atteins la petite route dont les bords sont couvertes de coquilles de moules. De petites éoliennes en ferraille tournent à toute vitesse. À Lackalee, je retrouve mes camarades Suédois devant un petit café fermé. Je réalise soudainement que demain c’est Dimanche et que mes plans de ravitaillement à Tarbert demain midi tombent à l’eau. Tout est fermé le Dimanche dans les Hébrides. C’est jour du seigneur et les habitants des îles sont très respectueux des coutumes. Je risque donc d’être un peu limite sur mes quantités de nourriture. 

L’hebridean Way rejoint le Harris Way, un ancien sentier superbe qui traverse les collines lunaires en bordure de mer. Le paysage est très beau et il y a des ruines un peu partout. Je m’arrête en permanence pour prendre des photos. C’est calme. Pas un bruit. Mais contrairement à la semaine dernière, je ne trouve pas les lieux vides et monotones. Je me délecte de cette atmosphère paisible marchant tranquillement malgré la fatigue qui commence à se faire sentir. J’ai les jambes qui flageollent un peu mais il me reste encore six kilomètres à faire avant d’atteindre le camping de Procrapool. Je parcours les collines puis descends sur Plocrapool et continue 600m avant de me rendre compte que j’ai dépassé le camping. Celui-ci se trouvait juste à la jonction du chemin avec la route. Je fais demi-tour et trouve enfin un minuscule campsite aux blocs très usagés mais fonctionnels et m’installe pour la soirée sous un soleil magnifique qui a enfin décidé de se montrer. La journée fut longue et difficile (20km ne faisant que monter et descendre) mais ce fut de loin la plus belle de la randonnée (pour l’instant). 

Borve.

À gauche, vue sur Skye depuis Harris et à droite le paysage typique des Bays.

À droite, Procrapol et le minuscule camping. 

Je quitte le minuscule camping et continue sur la route pendant quelques kilomètres avant d’emprunter un petit chemin longeant la mer à flanc de colline. La côte est très belle, parsemée de petits îlots. Il fait beau avec du vent et quelques nuages. Un temps parfait. À Caen Didig j’atteins la grande route et décide de faire du stop afin d’éviter les cinq prochains kilomètres sur le tarmac. Une voiture s’arrête quelques minutes plus tard. Christine et ses trois enfants sont en vacances dans le coin et vont visiter la baie de Scalpay. Ça tombe bien c’est sur ma route. Christine a un sourire contagieux et nous discutons joyeusement. Nous passons rapidement Tarbert, la deuxième plus grande ville des Hébrides et principal port maritime d’où part le ferry pour Uig sur l’île de Skye. J’y reviendrais dans quelques jours ayant décidé de me rendre sur Skye après les Hébrides. Le village reste de taille modeste avec des maisons colorées et une ambiance tranquille.

Christine me dépose là où le chemin reprend m’offrant un sandwich au jambon, une pêche et des biscuits ayant appris que mes plans de ravitaillements étaient tombés à l’eau du fait que l’on soit Dimanche. Je remercie sa gentillesse et m’engage dans une vallée superbe où s’étend Loch Lacasdail. À cet endroit il est possible de faire une diversion d’une dizaine de kilomètres pour rejoindre Rhenigidale, où se trouve le troisième Gatliff Youth Hostel (comme ceux de Howmore et Berneray, dans une ancienne bâtisse). Le chemin pour l’atteindre longe les falaises et est apparemment l’un des plus beau d’Harris. Je n’ai hélas pas le temps de m’y rendre. Ce sera pour une prochaine fois. 

Le chemin que je suis longe le lac et monte à un petit col pour redescendre dans la vallée de l’autre coté. An Cliseam, 799m, la montagne la plus haute des Hébrides se dévoile sous mes yeux. Il fait un temps superbe et j’ai presque trop chaud. Je rejoins la petite route à Maraig et monte dans les collines contournant Cleit Ard, avant de redescendre sur Ardvourlie. Le grand Loch Seaforth s’étend devant mes yeux. 

Ayant envisagé de bivouaquer, je cherche un endroit où planter ma tente mais pas de chance tout est mouillé ou trop venteux. Je me rabats sur Scaladale Centre, un dortoir en bordure de la route mais celui-ci est fermé. En fait pas tout à fait, la porte de devant est fermée mais pas celle de derrière. Mais c’est désert, il n’y a personne. Comme c’est Dimanche, j’ai l’impression que personne ne travaille. Le lieu ressemble plus à un centre de vacances qu’à une auberge de jeunesse. Il y a bien une tente, posée derrière le bâtiment dans le seul endroit plat et un peu près sans vent mais personne dedans. L’endroit ne m’inspire pas et comme il commence à se faire tard et que je suis fatiguée, je décide de faire du stop pour rejoindre Ravenspoint à une trentaine de kilomètres de là, où se trouve une auberge où j’ai réservé précédemment un lit pour demain soir. 

Deux stops plus tard, me voila arrivée à Ravenspoint en bordure du Loch Eireasort. L’auberge est ouvert mais de nouveau personne. Mais les lieux semblent beaucoup plus accueillants et un message sur un tableau m’informe du numéro de téléphone à joindre pour s’enquérir des disponibilités. J’appelle et explique à la dame mon histoire. Pas de problème, l’auberge est quasiment vide ce soir, elle me verra demain pour le paiement. Je m’installe dans le dortoir rien que pour moi, me sentant beaucoup mieux ici. 

Malgré tout je me sens déçue de me pas réussir à faire plus de bivouac. Depuis que je suis arrivée en Écosse, j’ai du en faire trois fois ! C’est vraiment peu. Mais contrairement aux apparences, je trouve qu’il est difficile de trouver un espace convenable pour poser ma tente. C’est toujours soit trop mouillé, soit trop venteux. Et puis comme je suis toute seule, je préfère me sentir bien dans l’endroit où je campe. Alors voilà, au final, je ne fais quasiment pas de camping sauvage. Je me demande un peu si je ne devrais pas m’endurcir et moins hésiter, cela me reviendrais moins cher… Mais la soirée tranquille, l’auberge très agréable (une grande maison très cosy), seulement moi et un couple d’anglais et surtout un coucher de soleil absolument magnifique sur Loch Eireasort me font oublier mes doutes et je me dis que j’ai fait le bon choix en me rendant ici ce soir.

À gauche, An Cliseam, la plus haute montagne des Hébrides.

À gauche, Seaforth Loch et à droite, Coucher de soleil sur Ravenspoint. 

Coucher de soleil sur Ravenspoint. 

Je laisse mon gros sac à l’auberge de Ravenspoint et fais du stop pour rejoindre Ardvourlie afin de continuer l’Hebridean Way jusqu’à Balallan (le morceau du chemin que j’ai sauté hier soir). Mais il est 8h du matin et la route de Ravespoint est toute petite. Il n’y a pas grand monde. Heureusement, dix minutes plus tard, un gentleman anglais en vacances m’embarque. Il vient régulièrement passer ces vacances dans le coin et me raconte ses excursions en vélo à travers l’Écosse et l’Angleterre. Se dirigant vers Stornoway, il me dépose à Balallan. Je marche un peu le long de la route pour passer voir le mémorial des Pairc Raiders commémorant le courage de plusieurs bergers s’étant rebellés contre la restrictions de leurs terres en 1887. De là il me faut une bonne vingtaine de minutes avant qu’une voiture s’arrête enfin pour m’amener à Ardvourlie. C’est le chauffeur du bus Tarbert – Stornoway ! Il est en retard pour son boulot et conduit un peu vite à mon goût. 

Mes premiers pas de la journée me font traverser la bordure fictive entre Harris et Lewis. Les deux ne sont en fait qu’une grosse île mais la différence géographique (Harris est montagneuse, Lewis est beaucoup plus plate) et une simplification au niveau de la gestion des régions sur les Hébrides ont conduit à une séparation fictive. Je longe Loch Seaforth puis la plantation d’Aline Community Woodland. Les arbres sont à moitié morts. Depuis le sommet de Griamacleit (155m) je distingue ce qui m’attends ensuite : un retour dans les tourbières. Après deux jours et demi dans les montagnes, c’est fini. J’ai le moral qui déchante un peu et malgré le fait que je n’ai pas mon gros sac sur les épaules, je me sens fatiguée et bizarre. Il fait chaud et humide et le soleil m’aveugle un peu. Je redescends dans les sapins et traverse la petite forêt en marchant sur un « boardwalk » (sentier surélevé en bois) bienvenu. En dessous, c’est les bruyères gorgées d’eau. Le chemin s’engage dans le moor sur un « raised turf path » en mauvais état. (Les raised turf path sont des chemins tracés dans la plaine tourbeuse écossaise. Deux tranchées de chaque coté d’un petit sentier surélevé sont sensées garder la zone centrale un peu près sèche. C’est rarement le cas). La traversée jusqu’à Balallan est longue, difficile et ennuyeuse. Je n’ai qu’une envie : en finir. J’atteins enfin le village où m’attends l’intersection pour rejoindre Ravenspoint à plus de dix kilomètres de là. Mais comme le matin, pas grand monde. Et personne ne s’arrête. Je commence à m’inquiéter, me disant que je vais devoir faire la trajet à pied mais heureusement une dame bien gentille finit par me ramener vers mon auberge tant espérée. 

Contrairement à hier, l’auberge est presque pleine ce soir mais je discute avec les gens et profite d’une soirée finalement tranquille. Un trentenaire anglais m’apprend qu’il allait passer régulièrement ses vacances au camping de Beaucaire, une vingtaine d’années auparavant !! C’est fou de croiser à l’autre bout de l’Écosse, quelqu’un ayant visité Beaucaire (là où habitent mes parents), le monde est petit !

Je quitte Ravenspoint vers 10h sous la pluie pour rejoindre, en bus, Laxay d’où je continue le chemin. Ce sont les derniers kilomètres de l’Hebridean Way. Comme lors de mon dernier jour sur le West Highland Way je me sens heureuse. Heureuse d’en finir. Après deux semaines de marche, je suis contente d’arriver. Dix kilomètres tranquilles dans la plaine mouillée pour atteindre Achamore. La pluie diminuant et malgré la monotonie et la difficulté du chemin, j’apprécie ces derniers kilomètres. Depuis Achamore, une vingtaine de kilomètres me sépare de Stornoway, la grande ville des Hébrides et lieu d’arrivée du chemin. Mais ceux-ci se font le long de la route et je refuse de les faire. C’est bien trop long, dangereux et monotone. Je fais du stop et un monsieur et son chien Pip me prennent avec eux. Le monsieur s’occupe d’un Bed&Breakfast tout neuf, isolé sur la côte Ouest de Lewis. Il me raconte son quotidien, sa clientèle multiculturelle et je lui parle de mon voyage. Alors que je lui évoque le fait que je n’ai pas marché l’intégralité du chemin il me répond qu’il existe deux types de voyageurs : ceux qui veulent absolument aller du point A au point B et ceux qui se concentrent sur le voyage plutôt que la destination. Oui je n’ai pas marché l’intégralité des 247km de l’Hebridean Way mais cela n’a pas d’importance au final. Car les diversions, les détours, les trajets en stops ou en bus font parti du voyage. Ils m’ont offert des rencontres, des échanges, des découvertes bien plus importantes que simplement marcher du point A au point B. Une révélation s’ouvre à moi, effaçant par la même occasion pas mal de doutes et interrogations que j’avais sur mon voyage et sur ma randonnée. 

À Stornoway, je rejoins le Web Hostel, une superbe auberge dans une grande maison où je retrouve Julie, la randonneuse Américaine rencontrée plusieurs jours auparavant. La gérante vient me voir et me donne une lettre écrite en français de la part de Marie, la cycliste française rencontrée sur Berneray avec qui j’avais eu un bon contact ! Elle était à l’auberge hier soir et est partie pour deux jours de vélo sur Lewis. Elle m’a écrit son email et m’invite à la contacter. Ce que je fais directement, étant très contente d’avoir de ses nouvelles. Sa réponse ne se fait pas attendre et elle m’informe qu’elle revient demain soir à Stornoway et m’invite à lui réserver un lit à l’auberge. Aussitôt dit aussitôt fait. Je suis bien contente de tout ça et de pouvoir revoir Julie et Marie ! Je dîne avec Julie dans un restaurant indien et m’endors le coeur heureux et l’esprit satisfait. 

À gauche, Ardvoulie et à gauche, le port de Stornoway. 

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