CARNET
Profitant du fait que le lundi 21 Mars soit un jour férié au Japon, je suis partie pour un weekend de trois jours visiter les régions de Shirakawa-gô et Gokayama. S’étirant le long de la rivière Shogawa dans les montagnes reculées allant du nord de la préfecture de Gifu à la préfecture de Toyama, le lieu fut déclaré patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 1995. Sa particularité vient du fait que ces régions abritent des villages possédant de nombreuses Gasshô-zukuri, habitations traditionnelles des environnements montagneux dont certaines ont plus de 250 ans. Ces maisons sont construites en bois sans aucun clou, avec un toit très pentu fait de paille permettant de supporter les chutes de neige. Leur nom “gasshô-zukuri” signifie “construction en forme de mains en prière”.
Après trois heures de train vers le nord, me voila arrivée à Takayama, où j’ai réservé une auberge de jeunesse pour samedi soir. Je saute dans le bus qui m’emmène en une heure au premier village inscrit au patrimoine mondial : Shirakawa-gô. Shiragawa-gô est le plus gros des trois villages inscrits au patrimoine mondial de l’UNESCO. C’est aussi le plus accessible et donc le plus touristique. Il possède une cinquantaine de Gasshô-zukuri.
Je débarque vers 14h dans le village avec une cohorte de touristes et un temps gris. Heureusement les montagnes couvertes de brume confèrent au lieu une atmosphère particulière. Je passe l’après-midi à me balader dans le village et à m’extasier devant l’architecture particulière des Gasshô-zukuri. L’épaisseur du toit de paille est impressionnante : presque un mètre d’épaisseur ! Les fenêtre faites de papier blanc ajoutent à la particularité de l’architecture. Quelques rayons de soleil illuminent la fin d’après-midi puis je m’en retourne à Takayama, passer la nuit.
Concert à domicile
Dimanche matin, je quitte de bonne heure Takayama. Mon passage dans la ville fut une visite éclair mais cela n’est pas grave puisque je vais y revenir les 14 et 15 Avril, pour le Takayama Matsuri (festival de printemps de Takayama), considéré comme l’un des plus beaux festivals du Japon. Je quitte donc la ville sans regrets. De nouveau le bus qui m’emmène cette fois en deux heures au village de Suganuma. Plus reculé dans la vallée et situé dans la préfecture de Toyama, Suganuma abrite une quinzaine de Gasshô-zukuri. Je fais le tour du village et assiste à une opération de renouvellement de la paille du toit d’une des maisons. Effectuée par la Coopérative Forestière de Propriétaires de Gokayama, l’opération se fait tout les 15 à 20 ans. Une dizaine d’hommes perchés sur le toit, font des ballots de paille usagée qu’ils lancent en bas pour être entassés dans un camion. Le travail n’est pas de tout repos puisqu’il faut de bons muscles et un bon équilibre.
Je reprends le bus qui m’amène en trente minutes à ma dernière destination du weekend où je vais passer la nuit : Ainokura. Le village se situe loin dans la vallée dans un très joli écrin montagneux et est presque exclusivement composé de Gasshô-zukuri (une vingtaine d’habitations). C’est le plus beau des trois villages classés au patrimoine mondial. La neige tapisse encore les rizières et champs rendant le lieu assez féérique. Je me balade dans le village mais les quelques rayons de soleil disparaissent rapidement pour laisser la place à un temps de plus en plus gris qui se change en grosse pluie qui ne s’arrête plus. À 15h de l’après-midi on se croirait presque le soir et il fait un froid de canard.
Pour échapper au déluge, je vais visiter le Musée du Folklore et des Arts Traditionnels se trouvant dans une Gasshô-zukuri. Le musée est très intéressant, permettant de voir l’intérieur d’une habitation ainsi que les objets utilisés et habits portés par les habitants à l’époque. Le rez de chaussée d’une Gasshô-zukuri est composé du “Maya” : entrée de la maison utilisée aussi pour stocker les outils et le bois pour le feu, “Niwa” : la cuisine servant aussi de salle de bain, “Oe” : la pièce à vivre avec l’âtre au centre où sont cuits les repas, “Dee” : la salle pour les cérémonies où sont situés les autels bouddhiste et shintô, “Chouda” : la chambre familiale avec une petite fenêtre et “Benjo” : les toilettes originellement situés à coté de l’entrée à l’extérieur. Le premier étage “Ama” et le deuxième étage “Sorama”, sont utilisés pour le stockage, l’élevage des vers à soie servant à produire le papier “washi” ou la création de poudre à canon. La visite du premier étage est particulièrement impressionnante puisque l’on peut voir l’intérieur de la structure du toit entièrement faite de façon naturelle avec comme seul élément maintenant l’ensemble, des cordres tressées.
Les villages de la région de Gokayama dont fait partie Ainokura, étaient réputés durant la période d’Edo (1603 à 1867) pour leur production de poudre à canon. Ils sont aussi réputés pour la production de papier “washi” toujours en activité. Fabriqué depuis 7ème siècle de façon artisanale à partir de soie, la technique aurait été introduite dans la région de Gokayama à la fin de la période Heian (alentours de 1185) par les survivants du clan Taira réfugiés dans la région après leur défaite face au clan Minamoto.
La visite du musée permet aussi de voir et d’écouter des musiques et danses traditionnelles toujours effectuées lors des festivals, aujourd’hui. Des nombreux instruments utilisés ne se trouvent que dans cette région comme le “sasara” un instrument fait d’une centaine de claquettes de bois enfilées sur une corde et produisant un son particulier.
Musique traditionnelle
Je ressors du musée satisfaite de ma visite. Hélas le temps est toujours aussi mauvais. Je me rends donc à mon auberge Chôyomon, une Gasshô-zukuri se trouvant dans les premières maisons du village. Devant l’auberge se trouve une pierre avec une trace de pied dont la légende raconte quelle aurait été laissé par un “tengu” (créature légendaire populaire à la fois homme et oiseau et possédant un très long nez).
L’auberge et sa gérante sont très sympathiques. Mais comme l’intérieur est aménagé cela ressemble plus à une auberge traditionnelle japonaise qu’à une véritable Gasshô-zukuri. Je me console en observant les sardines pour le dîner en train de cuire dans l’âtre et en discutant avec Zee, une nigérienne en vacances au Japon pendant un mois. L’air sent le feu de bois et on entend la pluie tomber sur le toit de paille. Les dîners et petits-déjeuners sont très bons (le meilleur tofu que j’ai mangé depuis que je suis au Japon) mais presque trop gros pour mon petit estomac.
Après le dîner je vais faire un tour dans le village. De nuit l’ambiance est vraiment tranquille et la lumière émanant des Gasshô-zukuri me donne l’impression d’être revenue dans le passé. Des sons de tambours émanent d’une petite construction à coté du sanctuaire au centre du village. Des habitants doivent être en train de répéter des musiques traditionnelles pour le prochain festival. J’écoute un petit moment mais la pluie et le froid écourtent ma ballade et je rentre au pas de course à l’auberge.
Lundi matin, je quitte Ainokura vers 9h pour reprendre le bus qui me ramène en deux heures à Takayama d’où je prends le train pour rentrer à Tajimi. Où un soleil magnifique m’attend. J’ai presque trop chaud sur le chemin pour rejoindre le dortoir. Si seulement il avait fait ce temps là pour mes balades parmi les Gasshô-zukuri cela aurait été parfait. Mais malgré le mauvais temps, le weekend fut quand même très sympathique et intéressant.
Note : Au Japon, les bus, trains et métros diffusent régulièrement des annonces pour avertir les passagers du noms de l’arrêt, des informations sur le trajet, du fait qu’il faut mettre sa ceinture, qu’il ne faut pas se déplacer lorsque le véhicule est en marche, que le transport peut avoir du retard, que le transport va s’arrêter, etc et même des publicités ! Le bus que j’ai pris pour retourner à Takayama a diffusé des annonces quasiment en permanence pendant les deux heures de trajet ! Difficile d’être au calme. Comparé en France, où il y a presque aucune information délivrée, au Japon c’est la situation inverse. Les passagers sont en permanence avertis de ce qu’il se passe. C’est bien d’être au courant mais des fois je trouve que c’est vraiment trop.