CARNET
Le lendemain de ma visite à Milford Sound, je me réveille sous un temps parfaitement opposé à hier matin. Il pleut des cordes et le ciel est entièrement couvert. J’avais en tête de profiter de mon deuxième jour à Te Anau pour aller me balader dans le village et faire le tour du lac mais il va falloir que je revoie mes plans. Je petit-déjeune tranquillement en regardant la pluie tomber lorsque Jill reçoit un coup de fil. C’est Alan, parti au travail plus tôt qui me propose de l’accompagner durant la journée. Alan travaille au Te Anau Lakeview Holiday Park au sein de la compagnie Tracknet (compagnie de transport du Fiordland). Aujourd’hui il doit s’occuper d’aller amener des draps/ustentiles/nourriture sur le bateau Southern Secret appartenant au camping et faisant des croisières sur le Doubtful Sound ! Le Doubtful Sound est un autre fjord de la région, beaucoup plus grand, sauvage et difficile d’accès que le Milford Sound. Avoir la possibilité de voir le fjord gratuitement est une occasion en or ! Alan passe me chercher une trentaine de minutes plus tard avec un minibus remplit d’affaires à amener sur le bateau. Nous passons au Lakeview Holiday Park récupérer Clint, le propriétaire du camping, de la société Tracknet et du bateau et nous mettons le cap sur Manapouri. Un petit village au sud de Te Anau en bordure du lac Manapouri, la porte d’entrée pour rejoindre Doubtful Sound. En chemin je discute avec Clint évoque que je travaille actuellement dans la ferme de la fille d’Alan jusqu’à fin Septembre et que je cherche du travail pour après. Clint m’informe que le camping et la société cherchent des employés et l’idée de travailler à Te Anau s’installe dans mon esprit.
Après avoir traversé collines et prairies, nous arrivons à Manapouri et j’aperçois le lac, lui aussi très grand, ainsi que les monts enneigés du Parc National. Nous atteignons un minuscule port où se trouve le Piopiotahi, un petit bateau servant à faire la traversée du lac. Piopiotahi est le nom maori de Milford Sound. Le nom maori de Doubtful Sound est Patea. Je fais la rencontre de deux autres employés, plus tout jeunes mais très sympathiques et nous chargeons, sous la pluie qui ne s’arrête pas, l’ensemble des affaires sur le bateau. Draps, duvets, oreillers, ustensiles de cuisine, nourriture, matériel de nettoyage et un petit canot. Je prends place dans le bateau et nous voila partis.
La traversée du lac est impressionnante surtout avec le temps couvert. Il fait très sombre et les montagnes et petites îles apparaissent fantomatiques dans le brouillard. L’atmosphère est froide et mouillée et les lieux dégagent quelque chose d’irréels. Je passe le début de la traversée sur le pont extérieur à faire des photos et apprécier le paysage mais le bateau accélère et je me réfugie au chaud dans la cabine. Mes quatre compagnons néo-zélandais discutent entre eux et j’écoute l’accent si caractéristique.
Il faut bien une heure pour traverser le lac et rejoindre le bout de West Arm, le bras ouest du lac. Sur un des cotés du bras se trouve une petite usine hydroélectrique. Les employés doivent traverser le lac chaque matin et soir pour rejoindre l’usine ou rentrer chez eux. Nous accostons à un petit ponton où se trouve d’autres bateaux appartenant à d’autres compagnies de croisières. Sur Doubtful Sound, il est possible de faire croisières à la journée, “overgnight cruise” (deux jours avec une nuit dans le fjord) et même plusieurs jours de croisière dans le sound. Il est également possible de faire du kayak (1 jour, 2 jours, 5 jours…). Un gros bateau est en train de se préparer à partir pour rejoindre Manapouri. Je vois les passagers monter à l’intérieur. Ils ont passé plusieurs jours dans le fjord. Ils ont l’air un peu fatigués. Ou déprimés par la pluie. Nous déchargeons nos affaires pour les charger de nouveau dans un minibus. Et nous continuons notre trajet.
Pour rejoindre Doubtful Sound depuis West Arm, il faut traverser Wilmot Pass. Quarante-cinq minutes de trajet sur une petite route de gravier, à escalader la montagne pour atteindre un col puis redescendre de l’autre coté afin d’arriver à Deep Cove, le début du Doubftul Sound. Durant la montée pour atteindre le col, il se met même à neiger ! Mes compagnons discutent de problèmes liés au tourisme. Une des grosses compagnies de tourisme, Real Journey, est en train d’avaler toutes les petites compagnies et de s’octroyer tous les droits de visites au sein du parc national du Fiordland. Real Journey a d’ailleurs racheté récemment les droits de maintenance de la route sur laquelle nous roulons, ce qui veut dire que très bientôt, les autres compagnies souhaitant utiliser la route devront payer des frais. Bien sur cela n’est pas au goût des autres compagnies, dont celle de Clint, qui jugent que la route devrait être gérée par le gouvernement ou le DOC (Département Of Conservation, qui s’occupe de l’héritage culturel et naturel de la Nouvelle-Zélande) et non par une compagnie de tourisme privée.
En chemin, nous croisons quelques Wekas. De gros oiseaux natifs ne pouvant pas voler et assez curieux. Ils sont en voie de disparition. La descente est impressionnante (d’autant plus que la route est pas large) avec une jolie vue aérienne sur le début du fjord. Nous atteignons Deep Cove où se trouve un petit port et une auberge de jeunesse. Quasiment l’intégralité des enfants de Te Anau viennent durant la scolarité passer un camp de vacances au sein de l’auberge de jeunesse afin de découvrir la nature, faune et flore. Quelle chance. Nous garons notre véhicule à proximité du Southern Secret, le petit bateau de croisière de Clint, amarré dans la crique. D’autres petits bateaux sont présents (de pêche et de croisière) ainsi qu’un gros bateau à trois mâts, le Fiordland Navigator appartenant à la compagnie Real Journey. Un tout petit sentier descend dans la crique pour atteindre le ponton où se trouve amarré le Southern Secret. Malgré la pluie, la crique est grandiose. La brume, l’eau parfaitement immobile, les multiples cascades, les montagnes pentues et le calme absolu. L’atmosphère est incroyable. Si Milford Sound pourrait être qualifié de “beau”, je donnerais le qualificatif de “puissant” à Doubtful Sound.
Nous déchargeons notre véhicule, faisant de petits pas pour éviter de glisser sur le sentier mouillé. Les sacs étant lourds, la tâche est un peu ardue. Un weka apparaît le temps d’une seconde sur le sentier. Une fois l’intégralité des sacs chargés sur le bateau, mes compagnons se dispersent pour commencer quelques réparations du moteur ou pour nettoyer la cuisine. C’est la première fois en plusieurs mois que l’équipe retourne sur le bateau (pas de croisières pendant l’hiver) et il faut remettre à neuf pour la saison touristique qui arrive. Alan me fait le tour du propriétaire. Les six chambres sont en dessous du pont, spacieuses, avec salle de bain. Sur le pont se trouve la cabine de pilotage, la cuisine du chef et le salon. Le bateau possède également un pont supérieur extérieur. Alan commence à ranger la cuisine qu’il connaît bien puisqu’il a passé plusieurs années à être chef-cuisinier sur le bateau.
J’en profite pour aller faire des photos du fjord. Après quelques secondes à l’extérieur, une petite piqure sur ma main se fait sentir. Première rencontre avec les sandflies ! Petit insecte mi-mouche, mi-moustique, le sandfly est un être assoiffé de sang qui vit à proximité des cours d’eau. Doubtufl Sound est le lieu parfait pour ces monstres minuscules. N’attaquant que les personnes immobiles, les sandflies fondent en groupe, s’amassant comme une nuée de vampires sur l’intégralité du corps de leur proie. Les piqures ne transmettent aucune maladie mais provoquent de sacrées démangeaisons. Je me dépêche de faire mes photos en faisant des allers et retours sur le pont du bateau pour essayer de semer les sandflies, ce qui ne marche pas tellement. Une fois, la cuisine un peu près rangée, nous nous asseyons autour d’une table pour déguster le repas du midi composé de tartes fourrées et tartines. Mes compagnons kiwis discutent à propos de la croisière et des rotations d’équipe et j’apprécie cette chance incroyable que j’ai de pouvoir être ici. J’aimerais tellement découvrir l’intégralité de Doubtful Sound.
Mais hélas, je dois rentrer. Alan et les deux autres membres de l’équipe restent sur le bateau pour y passer la nuit et finir de ranger. Clint et moi repartons en sens inverse pour retourner à Te Anau. Le trajet du retour se passe tranquillement. Nous discutons de tout un tas de choses. Passage de Wilmot Pass puis embarquement de nouveau sur le bateau pour traverser le lac. C’est la fin d’après-midi et miracle, les nuages s’éclaircissent enfin ! De retour à Manapouri, nous changeons de nouveau de moyen de transport pour rentrer à Te Anau. Clint me dépose dans le centre et je le remercie chaleureusement de m’avoir permis de l’accompagner lui, Alan et les autres durant cette journée. Je marche un petit peu dans le centre-ville (minuscule allée bordée de magasins), l’esprit rêveur. Il fait un temps magnifique maintenant. Je retrouve Julie et Isla et j’en profite pour aller voir au cinéma du village, (la salle ne fait qu’une trentaine de places) accompagnée de Isla, le petit documentaire Ata Whenua qui présente le parc national du Fiordland filmé depuis un hélicoptère. C’est l’occasion d’apercevoir un paysage que je n’aurais probablement jamais la possibilité de voir autrement. Isla semble apprécier le film, bien que trente minutes soit un peu long pour elle et me murmure plein de commentaires à l’oreilles. Le film est très sympathique, accompagné seulement de musique mais trop court. Certaines images des fjords vus du ciel sont absolument magnifiques.
Retour à la maison où nous dégustons tous ensemble de très bonnes pizzas (à l’exception d’Alan resté sur le bateau). Il est temps de quitter Te Anau et le Fiordland puisqu’il faut rentrer à la ferme laitière pour reprendre le travail demain matin tôt de bonne heure. Le retour se fait de nuit et je somnole, des souvenirs plein les yeux, en me disant que la suite de mon voyage se fera dans le Fiordland.