Errances dans l’outback. Quatorze mois en Australie de Juillet 2017 à Septembre 2018.

Pourquoi je voyage ?

Interrogations sur mon rapport au voyage et pourquoi j’ai tant de mal à y prendre plaisir.
29 novembre 2017
Great Ocean Road, Australie © Claire Blumenfeld
APARTÉ

« I think when you are truly stuck, when you have stood still in the same spot for too long, you throw a grenade in exactly the spot you were standing in, and jump, and pray. It is the momentum of last resort. »

― Robyn Davidson, Tracks : One Woman’s Journey Across 1,700 Miles of Australian Outback

Cinq jours sur la route et le moins que l’on puisse dire c’est que je n’y prends pas vraiment plaisir. Pourtant je pense que j’étais prête pour faire le road trip que font la plupart des backpackers : partir en voiture pendant une semaine, un mois, découvrir le pays. C’est le voyage par excellence, selon la grande majorité des jeunes adultes en voyage. Se contenter de rouler et d’aller explorer une bonne partie du pays. La vie sur la route, libre, sans attaches, au rythme du soleil. Mais je ne sais pas si j’aime cette façon de voyager. Trop de kilomètres à faire, trop d’arrêts touristiques. Deux heures de voiture. Stop d’une trentaine de minutes pour aller mitrailler une plage / lac / national park qu’il ne faut apparemment absolument pas rater. Le lac est supposé être d’une impressionnante couleur rose. La plage d’un sable blanc jamais vu. Et le national park proposerait des vues à couper le souffle. Sauf que lorsque j’y suis, le lac est sec, il fait tout nuageux sur la plage et le national park est rempli de jeunes touristes qui détruisent l’écosystème et la tranquillité. 200 km de plus et arrêt de nouveau pour aller faire une balade de deux heures dans un autre endroit à ne pas rater. La balade me prends plus de temps que prévu et me voila à courir après le temps pour trouver un free camp avant qu’il ne fasse nuit. Je n’ai pas eu le temps ni de travailler sur mon blog, ni de faire de la méditation ou du Tai-Chi et les photos de la journée sont banales dû à un manque de créativité.

Depuis que j’ai démissionné d’Arkaroola (l’Outback Resort où j’ai travaillé dans les Flinders Ranges en Australie méridionale) il y a presque deux mois, je ne me sens pas bien. Oui j’avais des problèmes avec la manager et c’est pourquoi j’ai démissionné mais au moins j’avais la sensation d’avoir un but, de suivre un fil conducteur. Depuis que je suis partie, je me sens dissociée, sans objectifs et dépressive. Ohlala, pas vraiment ce que l’on a envie d’entendre de la part de quelqu’un en voyage à l’autre bout du monde. C’est pas sensé être expériences fantastiques, éclates entre potes et soirées sur la plage ? Et bien non. Il n’y a rien à faire, les choses qui ne vont pas, on les traîne avec nous peut-importe où l’on va. Et puis, je ne suis pas en voyage. Ou en tout cas pas en voyage comme la plupart des gens en ont l’idée, avec une date de fin bien définie et le retour au boulot pour économiser pour la retraite. Non, cela fait deux ans que je voyage et au delà des deux-trois semaines devant moi je n’ai aucune idée de ce que l’avenir me réserve. Ma vie pour l’instant c’est une vie de nomade. Pas d’adresse précise. Pas de sécurité. Je suis les boulots et opportunités de pays en pays. Mais cela me plaît. Et puis ces derniers mois j’essaye de me concentrer sur reprendre mes projets, mon blog, sur changer mon régime alimentaire, vivre de façon plus écologique et plus simple et me sentir mieux (méditation, tai-chi et mode de pensées). J’essaye de me concentrer sur mes objectifs qui me tiennent à coeur et qui me définissent.

Mais malgré cette recherche de tranquillité j’ai toujours envie d’aller explorer tous les moindres recoins de l’Australie. Et c’est notamment ce qui se passe durant ce road trip. Une partie de moi est concentrée sur accomplir mes objectifs, ma routine, travailler sur mes projets pendant la journée. Et l’autre est concentrée sur aller voir tous les endroits supposés immanquables. Sans oublier le temps de conduite au milieu. Et forcément, ça ne marche pas. Les endroits que je visite n’ont rien de spécial et me laissent de marbre et je n’ai pas le temps de suivre mes objectifs proprement. Chaque matin, milieu de journée et soir ne s’articulent qu’autour d’une seule chose : courir après le temps. Et je me sens vide et sans moteur. Alors voila. Il faut que je me rende à l’évidence. Ça. ne. marche. pas. Il faut que j’écoute mon subconscient qui me dit que l’expérience et la satisfaction ne résultent pas du nombre d’endroits que l’on visite. Que l’on peut passer un an en Australie (ou dans n’importe quel pays) au même endroit et en ressortir grandit et changé. Et que l’on peut passer un an à visiter l’intégralité du pays, à faire du tourisme superficiel et à en revenir déçu. Le nombre de lieux visités n’a pas d’importance. Seule l’expérience qui en découle est importante. Mais mon esprit conditionné par la société d’aujourd’hui toujours à la recherche de plus a bien du mal à laisser les rênes à mon subconscient.

Mais est-ce que ce road trip ne marche pas car également je ne m’adapte pas assez à mon environnement ? Forcément sur la route (que ce soit en voiture, vélo ou à pied), il est plus difficile de suivre une routine bien définie. À la « maison » tout est plus simple, à portée de main. En road trip dans ma petite Toyota Hilux, tout prend plus de temps. Il faut sortir et ranger les affaires chaque matin et chaque soir, le sol n’est pas forcément très confortable pour mon entraînement physique du matin, je ne peux pas cuisiner comme je le veux, les autres campeurs aux alentours sont bruyants et irrespectueux… Mais est-ce que je me complique trop les choses ? Ne devrais-je pas prendre tout ça d’une façon plus relax ? Ne devrais-je pas vivre pour vivre tout simplement ? Take it easy, man ! Me réveiller quand je le sens, rouler et m’arrêter quand l’envie m’en prends, passer des heures à me relaxer sur une plage, siroter un café (ou autre chose, car je n’aime pas le café) à la terrasse d’un bistro et à regarder les gens passer. Mais ce genre de vie si simple et si insouciante (dans un sens positif), je n’y arrive pas. En tout cas pas pour l’instant. Cela fait des années que je vis dirigée par le stress et mes listes quotidiennes de choses à faire. Mes journées s’articulent autour de la course au temps et d’une vingtaine de choses à faire. Mais je n’en peux plus. J’en ai marre de vivre comme ça. Je veux changer. Alors comme je l’ai dit au dessus, depuis quelques semaines j’essaye de suivre une routine quotidienne centrée sur la méditation, le Tai-chi, les exercices physiques et la concentration sur le moment présent. Et j’essaye de simplifier mes journées. J’essaye de changer et de me sentir mieux. Mais même cela est difficile. C’est fou comme changer les mauvaises habitudes est une bataille de tous les instants. J’ai l’impression que je n’en fais pas assez. Tout en en faisant trop. Le stress et la course après le temps sont toujours là. Mais j’essaye de relativiser. Et de m’adapter doucement à mon environnement.

On peut se demander ce que je fais en Australie. C’est aussi ce que je me demande un peu ces dernières semaines. Pourquoi après deux ans de voyage, alors que cela ne va pas trop, je ne rentre pas en France ? Tout serait plus simple, plus confortable. Mais le serait-ce ? Vraiment ? Que je sois en Australie ou en France, ce sera la même chose. Mon mal-être sera le même. Et puis rentrer serait synonyme d’échec, de choix par défaut. Rester et se battre c’est la bonne solution je pense. Il faut que je fasse face à mes problèmes. Et puis aussi parce que j’ai envie de continuer sur la voie que je suis en train de commencer à suivre. Parce que j’ai l’impression que je commence à toucher quelque chose d’important. Dans l’idée du voyage, de la vie nomade, dans ma recherche d’apprentissage face à des cultures différentes, dans mon rapport au présent. J’ai du mal à exprimer ce que je ressens et ce que je cherche à dire. Mais j’ai l’impression de voir la petite lueur au bout du tunnel. De voir (encore flou pour l’instant) le fil conducteur, le moteur que je cherche depuis tant d’années. Cette sensation de vivre pour quelque chose.

J’ai envie de transformer mon voyage en quelques chose de plus qu’un simple voyage touristique. Qu’une virée entre potes. Déjà parce que aujourd’hui, je trouve cela dénué de beaucoup de sens. Et puis aussi car j’ai de plus de plus de mal à supporter le contact avec les milliers de jeunes backpackers présents à tous les coins touristiques du pays. Le mode de vie, chill, makeup, relax sur la plage, parlotte à n’en plus finir, soirée en boite, marshmallow autour du feu et fumette à l’entrée de l’auberge de jeunesse, ça n’a jamais été pour moi. Et ça l’est encore moins maintenant. Merde. Est-ce que je vieillis ? Est-ce que je suis en train de me transformer en femme des cavernes ? J’en sais rien. Peut-être qu’au contraire je suis en train de comprendre enfin ce qui a du sens, ce qui est important pour moi… Ce que je sais c’est qu’en ce moment je préfère être solitaire ou au contact des locaux. La grande majorité des touristes, ils sont trop loin de moi. Les objectifs ne sont pas les mêmes. Sur la Great Ocean Road que je suis en ce moment et comme partout ailleurs dans le monde, les touristes défilent en files ininterrompues pour aller voir les « attractions ». Cheese. Clic. Picture. Et on repart. Personne n’a lu les détails explicatifs, personne n’a véritablement regardé le paysage. Des jeunes ignorent les signes de ne pas dépasser les limites. Ils vont se balader sur les falaises à la recherche du selfie ultime. Dangereux et irrespectueux. Comme la majorité des touristes aujourd’hui. J’en suis malade. Ce grand cirque du tourisme de masse, ça me donne envie de vomir. Ou de pleurer.

Souvent, je me sens à l’écart. La grande majorité des gens ont du mal avec à accepter le fait que je ne vis pas de la même façon qu’eux. On sait très bien que la différence fait peur. Sortir de la norme à toujours eu du mal à être accepté. Pourtant je ne suis pas une excentrique et je ne vis pas d’une façon complètement folle. Non, mes différences sont de petites choses, toutes simples. Elles concernent la consommation d’alcool, l’alimentation et la recherche de solitude. Je ne bois pas d’alcool et je ne compte pas m’y mettre. Vous faites ce que vous voulez avec votre consommation d’alcool, je ne vous juge pas mais moi je ne bois pas. C’est mauvais pour la santé et puis surtout c’est, pour moi, dénué de sens. Je ne vois pas l’intérêt de boire. Alors comme les gens sont toujours choqués quand je dis que je ne bois pas, je me sens obligée de justifier en disant que je n’aime pas le goût du vin et que je n’aime pas les boissons gazeuses. J’ai le droit à tout un tas de commentaires (« T’es française et tu bois pas de vin ! », « T’es sûre que tu veux pas un verre ? », « Un p’tit verre, Claire ? Tout le monde boit ! « ) ou de mouvements dédaigneux de la main du style : « non t’embêtes pas, elle boit pas ». C’est pareil concernant le régime alimentaire. Surtout en ce moment chez les locaux. J’essaye de manger de moins en moins de viande et de produits gras. Non je ne suis pas en train de devenir végétarienne ou vegan. Je cherche seulement à retourner à un régime plus sain, plus adapté au corps. Des légumes, fruits, noix, graines, carbohydrates surtout et parfois un peu de poissons ou de viande. « T’es pas végétarienne ? Ben t’es vegan alors ! », « Attends, mais tu m’as dit que tu mangeais pas de viande, pourquoi tu manges du poulet ? », etc. Pourquoi faudrait t’il que je justifie constamment mes choix alimentaires ? Vous mangez comme vous le voulez et je fais mes propres choix ! Je ne suis pas végétarienne, ni vegan, je suis juste une personne qui essaie de manger sainement. Le troisième exemple concerne la recherche de solitude. La définition d’une activité pour moi ne comprends pas : bronzette sur la plage, jet-ski sur un lac ou randonnée avec musique sur les oreilles. Ce que je cherche ce sont les grands espaces naturels calmes loin de la civilisation avec peu de monde aux alentours. Je préfère une grande randonnée dans la nature à écouter les oiseaux. Je préfère camper en pleine nature plutôt que de rester en auberge de jeunesse. Je préfère passer des heures à m’émerveiller du comportement des oiseaux. J’ai toujours été une solitaire et je crois que je suis en train de doucement commencer à considérer la solitude comme une amie plutôt que comme un poids sur mes épaules. Et je pense qu’être seule est important. Je ne suis pas une individualiste, je suis juste quelqu’un qui essaye de vivre par elle-même.

Il y a quelques jours j’ai fini de lire Track de Robyn Davidson. Son récit de voyage seule avec des chameaux à travers l’Outback a raisonné en moi. Sans trop savoir ce qui l’a poussé à faire cela, elle est partie pour neuf mois à travers l’Australie centrale. Elle voulait être seule. Elle voulait se prouver que n’importe qui peut faire des choses extraordinaires. Son voyage n’est pas un voyage touristique. C’est un apprentissage, un voyage intérieur. Une citation de son livre illustre particulièrement ce que je ressens en ce moment :

“There are some moments in life that are like pivots around which your existence turns—small intuitive flashes, when you know you have done something correct for a change, when you think you are on the right track ».

Et bien je pense que je commence à voir le chemin. Plus j’y réfléchis et plus je pense que tout arrive pour une raison. Non je ne suis pas en train de me transformer en fanatique d’une quelconque religion ou à croire au destin, je vous rassure. Je pense juste que l’univers, la vie, la nature, le hasard mettent des événements, épreuves, rencontres, leçons sur notre chemin. Et que si l’on sait les suivre et accepter de faire des choix et bien le résultat est souvent positif. Mais positif ne veut pas dire agréable. Très souvent le résultat n’est pas visible tout de suite. C’est souvent plusieurs mois, voir années après que l’on réalise que l’évènement, la décision ou la rencontre que l’on a fait a eu un impact positif sur notre vie. En tout cas c’est mon cas. Je suis quelqu’un qui doute énormément. Mais en regardant en arrière, en analysant les évènements ou décisions qui ont impacté ma vie et bien je dirais qu’au final ils m’ont permis d’avancer positivement. C’est souvent difficile de penser positif en situation de difficulté et dépression mais en ayant confiance en le fait que tout arrive pour une raison et en sachant faire les bons choix et bien au final il n’y a pas raison de trop s’inquiéter. Il faut laisser les choses suivent leur cours. C’est fort probable que le fait de démissionner d’Arkaroola et toute la tourmente que cela a entraîné est arrivé pour une raison. Probablement pour me pousser à enfin changer et à évoluer dans ma vision du voyage et de la vie nomade.

« you are as powerful and strong as you allow yourself to be. »

― Robyn Davidson, Tracks : One Woman’s Journey Across 1,700 Miles of Australian Outback

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