Depuis fin Août 2020, je suis partie sur les routes de France avec mon vélo. L’objectif de ce voyage est de découvrir des modes de vie basées sur le bien-être et l’écologie en s’intéressant en particulier à trois thématiques : la permaculture, l’herboristerie et l’éco-construction. Je voyage de ferme en ferme ou chantier participatif pour me confronter à la réalité et apprendre différentes techniques. Afin d’être le plus écologique possible, j’ai décidé de faire ce voyage majoritairement à vélo et en train pour les longues distances. Le but étant de ne pas utiliser la voiture et d’étudier si je suis capable d’utiliser la mobilité douce de façon permanente afin de respecter mes volontés écologiques.
Ça c’était pour l’idée de départ. Deux mois et demi plus tard, la réalité est venue contrecarrer mes plans.
Après deux voyages en cyclo-touring en Nouvelle-Zélande et en Islande, je pensais que le voyage en France allait être simple comme bonjour. Sauf qu’il n’en est rien. Premièrement je suis tout simplement trop chargée. Entre les affaires de bivouac, les habits de rechange et de travail, les bottes, la nourriture, mon matériel informatique et quelques livres, je dois rouler avec une quarantaine de kilos de bagages. C’est trop. La moindre petite variation sur la route ralentit mon avancée. Malgré mon habitude du vélo, j’ai beaucoup de mal à avancer à un rythme décent. Je me traine aux alentours de dix kilomètres à l’heure et cela me fatigue. Je ne sais pas si c’est juste le poids ou si c’est moi qui ne suis pas en grande forme mais toujours est-il que j’avance à vitesse d’escargot.
De plus contrairement à ce que je pensais, les coins que j’ai traversé étaient loin d’être plats. Le Poitou-Charente, la Normandie, la Bretagne, le Limousin ne sont pas plats. Ils sont vallonnés avec de petites montées et descentes permanentes, ce qui tire beaucoup sur les jambes et me fatigue plus qu’une bonne grosse ascension. Pourtant je pensais qu’après l’Islande et ses difficultés, j’allais être capable d’affronter n’importe quoi. Après le vent permanent, la pluie, les routes abimées et les grosses montées, j’avais dans l’idée que j’étais rodée. Sauf que cela n’a pas l’air d’être le cas. Je trouve même ce voyage en France plus difficile que mon périple en Islande. Là-bas je faisais en moyenne 80 kilomètres par jour. En ce moment c’est à peine si j’atteins les soixante. Malgré un terrain que je pense plus facile.
Pourtant j’ai bien essayé de partir en étant la plus légère possible. Mais les affaires de travail (habits, bottes, gants) sont nécessaires et j’estime que j’ai besoin des quelques livres que je trimballe avec moi afin de continuer de découvrir et d’apprendre par la lecture. Bien-sûr en enlevant tout cela je repasserais en dessous de la barre des trente kilos et le vélo et mes jambes souffriraient moins. Mais cela reviendrait à ne plus faire le voyage que je souhaite faire, qui n’est pas un voyage touristique à la découverte d’un pays ou un voyage initiatique avec dépassement de soi-même. Non, mon voyage est une transition, une remise en question, une reconversion. Et dans ce voyage, le vélo n’est qu’un mode de transport. Et non pas la thématique principale.
Comme les trajets en vélo sont difficiles et qu’il faut bien que j’atteigne mes lieux de destination à temps, j’ai pris beaucoup le train. Beaucoup plus que ce que j’avais prévu. Et ce que j’ai vu et vécu a achevé de me donner un grand coup au moral. Premièrement à l’exception des TER, il est quasiment impossible de voyager à vélo à travers la France. De plus face au poids élevé de mes bagages, j’ai un moment considéré m’équiper d’une remorque afin d’alléger mon vélo. Mais les remorques sont interdites dans tous les trains et j’ai donc abandonné l’idée. TGV et transiliens ne sont pas adaptés au transport des vélos et encore moins aux vélos de randonnée chargés comme le mien. Les quelques fois où j’ai pris ce genre de trains, le transport et le trajet furent loin d’être simples. De plus les manipulations permanentes ont un impact sur la durabilité de mon vélo. À force d’être manipulé de façon non appropriée il va finir par se fragiliser. Dans les TER, la situation est un peu meilleure mais dépend fortement des régions. L’aménagement des trains pour le transport des vélos varie entre emplacements réservés et bien aménagés et simple espace en retrait au milieu du couloir. De plus, avec la montée en puissance du mouvement de la mobilité douce, la présence des vélos se multiplie dans les trains. Aux heures de pointe ou dans les petits TER d’à peine deux rames, cyclistes et piétons se retrouvent en confrontation pour le moindre espace disponible et tout le monde râle.
À cela s’ajoute le coût prohibitif des tickets de train. Où le transport du vélo arrive souvent en complément. Presque l’intégralité de mon budget mensuel est passé dans les tickets de train. Et l’attitude souvent désobligeante et réfractaire des contrôleurs qui semblent voir l’arrivée en masse des vélos dans les trains d’un mauvais oeil. Une contrôleuse m’a dit d’un ton dédaigneux qu’elle était là pour transporter des gens et non pas des vélos et qu’il était illusoire de penser que les trains allaient être dans le futur aménagés pour le transport des vélos. « Avec quel argent ? » m’a t’elle presque craché dessus. Cela me rends perplexe. Pourquoi la SNCF ne comprend t’elle pas qu’elle a tout à gagner à développer en masse le transport des vélos ? Pourquoi rendre la vie plus difficile à tout ces gens qui sont prêts à associer train et vélo et donc à payer pour cela ? Pourquoi les repousser pour qu’au final ils abandonnent le voyage en train et donc son financement ? Pourquoi nombre de pays européens et le Japon sont ils capables de développer massivement l’offre des trains combinés à la pratique du vélo mais pas la France ? Pourquoi les orientations politiques françaises privilégient-elles l’exploitation des énergies fossiles plutôt que le bon sens ?
Il y a quinze ans, je me souviens de charger les vélos de mes parents, moi et mon frère dans des wagons spécifiques à leur transport lors de plusieurs voyages à travers l’Europe. Je me souviens de wagons où une soixantaine de vélos pouvaient être accrochés verticalement à des crochets. Je me souviens d’employés nous aidant à les attacher. Je me souviens de la facilité avec laquelle le voyage se faisait. Pourquoi ne serait-il pas possible de ré-équiper les trains avec ces wagons à vélo ? Si l’aménagement des rames en service pour le transport des vélos coûte trop cher et provoque une gêne au niveau des autres usagers, pourquoi ne pas simplement revenir à cette pratique plus ancienne, plus simple et plus ergonomique ?
Avec toutes ces complications, entre difficulté à pédaler, terrain vallonné et complexité du transport en train, je me suis rendue compte que mon esprit passait plus de temps à être concentré sur le trajet en vélo et en train plutôt que sur le voyage en lui même et les expériences que je faisais. Et que tout cela engendrait stress, anxiété et tristesse. Je n’éprouvais pas de plaisir à faire ce que je faisais car les complications avaient prises le pas sur la simplicité. L’intérêt de mon voyage actuel consiste à être concentrer sur les thématiques choisies. Sur l’apprentissage. Et non sur le transport. Le train et le vélo ne sont que des moyens de déplacement durant ce voyage. Le déplacement entre les lieux choisis doit se faire dans la simplicité et sans contraintes. Face à ces constations et l’hiver arrivant, j’ai donc décidé de changer mon mode de déplacement. Je vais donc utiliser la petite 206 de mes parents, qui n’en ont pas l’utilité, pour me déplacer entre les lieux d’apprentissage choisis. Je vais essayer de faire du co-voiturage afin d’éviter d’utiliser la voiture seule et rembourser les frais. Et je vais utiliser le vélo pour tous les autres déplacements. L’utilisation de la voiture doit être la plus frugale possible, permettre de simplifier les grands déplacements et éviter de dépenser trop d’argent sur un budget serré comme le mien.
Je vis ce choix comme un pas en arrière face à mes volontés écologiques et mon questionnement sur le déplacement. Cela m’interroge face à un futur où les déplacements vont être impactés par la raréfaction des énergies fossiles. Si les complications actuelles m’ont fait reculer serais-je capable de me déplacer dans un futur sans voiture ? Ou bien cela met peut-être en évidence mes choix de déplacement non réalistes ? Choisir des lieux aux quatre coins de la France n’est à l’évidence pas le bon choix pour un déplacement uniquement à vélo. Si je veux privilégier la mobilité douce, je dois peut-être accepter que le déplacement tel qu’on l’entend aujourd’hui ne sera peut-être pas le même dans le futur. Il faudra peut-être revenir à des déplacements plus locaux et accepter de reconsidérer les distances à des échelles humaines et non à l’échelle des voitures.
Pour en savoir plus sur : l’histoire du transport des vélos en train en France.