Il pleut. Comme d’habitude, j’ai presque envie de dire. J’ai fini l’Hébridean Way et après deux semaines sur l’archipel je n’ai pas envie de le quitter tout de suite. Les lieux ont un charme particulier. Alors je m’octroie trois jours de plus pour aller explorer Lewis et ses multiples ruines et témoignages du passé. Julie est partie avec le bus voir le Butt of Lewis, le phare au Nord de l’île. Je monte dans les petites collines du parc du Lews Castle surplombant Stornoway. Rempli d’arbres (plantés), le parc me change du paysage désertique des deux dernières semaines. C’est presque étrange de marcher au milieu de toute cette verdure. Le Lews Castle est un superbe chateau rénové, construit par Sir James Matheson qui en 1844 acheta l’île de Lewis grâce à sa fortune obtenue via le commerce de l’opium et autres marchandises en Extrême-Orient. Aujourd’hui le château abrite le musée Nan Eilean, premier musée en Gaelic (et anglais) et offre des hébergements (chers) dans ses étages supérieurs. Le Rez de chaussée du château est visitable et j’observe les jolies peintures sur les plafonds. Le musée s’intéresse à la vie dans les Hébrides et à son histoire et j’en apprends un peu plus sur l’importance du Gaelic et la vie à l’époque.
Une exposition temporaire propose de redécouvrir l’importance du « Flow Country », les tourbières de Caithness et Sutherland, au nord de l’Écosse. Ces grandes étendues marécageuses fragiles, recouvrant aussi une bonne partie des Hébrides, sont un habitat pour la faune et la flore incroyable et un recueil de l’histoire de l’environnement. Du fait d’être entourées d’eau en permanence les plantes ne se dissolvent pas en mourant mais forment de la tourbe qui s’accumule d’années en années. En plongeant une sonde dans une tourbière, il faut souvent des mètres et des mètres pour en atteindre le fond. C’est une véritable plongée dans le passé. J’apprends également que les tourbières sont aussi de formidables réservoirs naturels absorbant le carbone en circulation dans la biosphère. Avec le réchauffement du climat, l’importance des tourbières et leur protection est une mesure vitale que cherche à faire comprendre The Peatlands Partnership. Après avoir marché des jours dans les tourbières, je me sens un peu coupable de les avoir trouvé monotones et ennuyeuses.
Je déjeune au café du musée d’une quiche au saumon avec salades et d’un carrot cake puis m’en retourne à l’auberge. Marie arrive en fin d’après-midi et nous passons la fin de la journée à discuter de nos voyages respectifs. Julie nous rejoint et nous allons diner dans un petit restaurant où la nourriture est bonne mais les portions petites. Nous échangeons en français et anglais de nos différences et retours sur nos voyages. La soirée est agréable toute en rires et bonne humeur. Je suis contente d’avoir rencontré ces deux-là.
Marie, moi et Julie devant l’auberge.
Je quitte Stornoway tôt le matin après avoir dit au-revoir à Julie. Elle prend le premier ferry pour Ullapool afin de rentrer aux États-Unis. Marie fait la grasse matinée prenant elle aussi le ferry mais dans l’après-midi. Elle continue vers le Nord de l’Écosse. Je lui ai souhaité la bonne route hier soir. Le bus m’emmène sous le crachin jusqu’à Eoropie d’où part une balade de deux heures pour atteindre le Butt of Lewis. Le bout des Hébrides. En français on traduirait ça par «le cul de Lewis», l’humour écossais je suppose. La randonnée longe dans le Machair les falaises du bout des Hébrides. Bien que pas très hautes, elles sont impressionnantes et remplies de fleurs. J’arrive au phare où une masse de touristes se presse pour prendre des photos. Je m’éclipse rapidement.
Je prends le bus pour retourner à Barvas où un deuxième bus est sensé m’amener à Arnol où se trouve une « blackhouse » (une bâtisse traditionnelle en pierre au toit de chaume) entièrement préservée. Mais le bus fait des tonnes de détours et me dépose en retard à Barvas. L’autre bus est déjà parti. Je fais du stop pour rejoindre Callanish Stones, n’ayant pas assez de temps pour aller voir la Blackhouse. Je dois être à 14h au petit camping de Callanish pour récupérer les clés de la hutte que j’ai réservé pour ce soir. Pam et Ursula, Américaine et Suisse me prennent avec elles et me demandent si je connais Julie, l’Américaine avec qui elles ont fait une visite guidée deux jours auparavant. Décidément, les Hébrides ne sont pas bien grandes puisque l’on finit toujours par croiser quelqu’un qui connait quelqu’un ! Elles me déposent à Carloway où j’attends pour un autre stop. Un employé des « Scottish Water » finit par s’arrêter et je fais la connaissance du monsieur le plus sympathique qui soit. Très gentil et plein d’informations, il m’apprend qu’il est né sur l’île, que le Gaelic est son premier language (il a d’ailleurs un très fort accent que je trouve très sympathique) et m’emmène rapidement voir les restes de Dun Carloway, une ancienne tour de gué. Il ne reste plus que la moitié. Le reste des pierres m’apprend t’il fut récupéré par les habitants auparavant pour construire leurs blackhouses ! Un autre type de recyclage, je suppose. Nous discutons tout le long du chemin et je le quitte sur une bonne poignée de main.
À Callanish, je récupère les clés de ma petite hutte en bordure d’un lac. Seulement trois « pods », le lieu est super tranquille. Je déjeune au café du Visitor Center et repars dans l’autre sens vers Carloway afin d’aller me balader vers Garenin et visiter un village de Blackhouses traditionnelles conservées. La balade longe une péninsule suivant un petit chemin. En arrivant aux restes d’un ancien village déserté, impossible d’aller plus loin : un troupeau de moutons est « gardé » par un bélier aux grosses cornes qui ne veut pas me laisser passer. Il s’approche dangereusement et tape du pied. Je bas en retraite et au lieu de continuer sur la côte, je traverse, à travers parmi les tourbières, la péninsule par l’intérieur. Je récupère enfin la petite trace et monte sur une petite colline pour apprécier la vue. J’y découvre aussi le plus bel endroit de l’Écosse pour faire du camping sauvage : plat, protégé du vent et sec ! Mais entouré de moutons un peu agressifs. Je ne sais pas si c’est la même race que les autres, mais je trouve les moutons de cette péninsule bien plus agressifs que les autres.
J’arrive à Garenin, le village traditionnel en fin de journée et le petit musée est fermé. Dommage, j’aurais bien aimé voir l’intérieur d’une maison. Je me contente donc d’apprécier leurs toits de chaume. Retour à Carloway sous un temps parfait. La lumière du soir baigne les paysages de reflets or. Les lieux semblent idylliques et l’atmosphère si paisible que je ressens presque un petit pincement au coeur en me disant que je quitte les Hébrides demain. Malgré la pluie et les difficultés, j’ai au final grandement apprécié mon séjour sur l’archipel. Un dernier stop pour la journée me ramène à Callanish où je monte enfin voir le fameux cercle de pierres de Callanish. Il n’y a plus grand monde et je peux apprécier la magie des lieux.
The Butt of Lewis, le bout des Hébrides.
Gearrannan Blackhouse village à gauche et Callanish Stones à droite.
Je me réveille à 5h, prête à aller faire le tour des différents cercles de pierres avec la lumière de début du jour. Mais il pleut. Il pleut alors que la météo avait annoncé soleil et nuages. À la place, c’est du brouillard et de grosses gouttelettes d’eau qui m’accueillent. Bon. Et bien tant pis. Je me recouche pour quelques heures. À 7h le temps est toujours le même. Ce sera donc une matinée tranquille. Je visite le petit musée du Visitor Center en apprenant plus sur les pierres. Site mégalithique érigé vers 3000 av-JC, le lieu comprend un agencement de nombreuses pierres en plusieurs cercles à quelques kilomètres de distance. Le site I, le plus connu est aussi le plus grand avec un cinquantaine de pierres. Difficile de savoir exactement qu’elle était leur signification même si l’idée d’un lieu de culte lié à des rites funéraires semble être le plus évident. Je visite sous la pluie les deux autres sites, plus petits, puis retourne au grand cercle mais l’ambiance n’a plus rien à voir avec hier soir. C’est rempli de touristes et la magie a disparu.
En début d’après-midi, je quitte les lieux pour rejoindre Tarbert d’où part le ferry pour Skye. Je prends le bus jusqu’à Leurbost puis ne voulant pas attendre une heure pour le prochain bus, je fais du stop. Des retraités écossais (du continent) me prennent avec eux. Ils déposent leur cousine à Rhenigidale au Youth Hostel, là où je n’ai pas eut le temps d’aller il y quelques jours ! Je peux donc découvrir les lieux et effectivement comme décrit dans le guide, ils sont superbes. J’aperçois le chemin zigzaguant à flancs de falaises puis dans les collines lunaires. J’espère pouvoir revenir un jour. Mes conducteurs me déposent ensuite à Tarbert où je quitte les Hébrides sous un temps nuageux.
Ma deuxième partie sur les Hébrides fut pleine de découvertes. Les trois jours de randonnée à travers Harris sont clairement les plus beaux du chemin, en tout cas pour moi, qui préfère des environnements montagneux. Lewis ressemblant grandement avec ses collines tourbeuses à South et North Uist est forcément un peu moins intéressante. Et je suis contente d’avoir eu le temps de passer quelques jours de plus à visiter le nord de l’île et d’être aller dormir à coté des Callanish Stones. Au cours de ces deux semaines et demie à arpenter ces îles éloignées que sont les Hébrides Extérieures, j’ai rencontré de nombreuses personnes toutes plus intéressantes les unes que les autres. Que ça soit Marie, Julie, Venula, la dizaine de cyclistes ou les locaux qui m’ont pris en stop tous ont été une rencontre riche d’enseignements.
J’ai grandement apprécié l’aspect paisible se dégageant des Hébrides. Le rythme de vie y est calme et détendu. Malgré quelques aspects négatifs le long de la randonnée, mon séjour ici fut un moment très agréable. Les îles ont un charme particulier qui me manque déjà. J’ai aussi appris de nombreuses choses sur mon rapport au voyage. Lorsque j’ai choisi de faire cette randonnée, c’était pour découvrir les Hébrides. Mais j’avais aussi en tête cette espèce de volonté stupide de me dire que j’allais marcher 250 kilomètres. Du point A au point B. Sauf que l’intérêt du voyage, il n’est pas là. L’importance du voyage, c’est l’imprévu, la façon dont on y réagit et les rencontres (avec les lieux et les gens). Alors voila, je n’ai pas fait l’intégralité de l’Hebridean Way. Je n’ai pas fait un trek de 250km. Non. Ce que j’ai fait c’est une traversée majoritairement à pied des Hébrides. Et c’est très bien comme ça.
« I love the wind here;
I just love all of it here,
Wind, rain and sun.»
Citation sur le mur du Musée Nan Eilean
Callanish Stones.