J’ai retrouvé les champs de lave. Ils sont couverts de mousse verte. Après deux semaines dans les grands fjords, le changement est bienvenu. Je pédale le long de la côte Nord de la péninsule de Snaefellsnes. Le soleil est réapparu entre les gros nuages noirs et j’ai mal partout après la journée d’y hier.
Ce matin, après presque deux jours de tempête, le temps s’est un peu amélioré. Le vent s’est calmé et le soleil est de retour. J’ai passé une matinée tranquille à marcher dans le joli petit centre de Stykkisholmur et ses maisons colorées. J’ai du mal à réaliser que ma traversée des Fjords est finie et que je suis arrivée sur la péninsule de Snaefellsnes. La transition a été trop rapide et trop d’émotions ont pris d’assaut mon esprit pendant la dernière journée difficile. Mais je suis bien là, à pédaler tranquillement le long des montagnes aux sommets couverts de neige. Je n’ai qu’une quarantaine de kilomètres pour atteindre Grundarfjördur, un petit village au pied de la fameuse montagne Kirkjufell et sa forme particulière. Les touristes sont de retour. La péninsule n’est qu’à deux heures de route de Reykjavik et beaucoup plus accessible en voiture que les Fjords de l’Ouest. Une averse imprévue me trempe instantanément et je me sens lasse. Lasse et déçue. De ce temps si mauvais pour la fin de mon voyage à vélo. Ce sont mes derniers kilomètres après deux mois de voyage pas des plus faciles à travers les paysages de l’Islande et ceux-ci vont se faire sous la pluie. Ou ne pas se faire du tout, si la pluie ne s’arrête pas. Une dernière nuit en camping probablement et le reste de la semaine se fera en auberge.
Quelques nuages roses enjolivent le ciel à mon réveil. La pluie a cessé et j’observe mon premier lever de soleil réussi depuis mon atterrissage. Aujourd’hui, Mardi, c’est la seule « belle » journée de la semaine. La seule journée avec un peu de soleil. Kirkjufell, la montagne qui, pour les Islandais, possède une forme ressemblant à celle d’une église, se dresse fièrement à la sortie de Grundarfjördur. La cascade à ses pieds est envahie de gens et je ne reste pas longtemps. Je n’ai pas envie de m’énerver de nouveau contre l’afflux de touristes encore présents. Bientôt, d’ici la fin Septembre, j’aurais l’Islande pour moi toute seule. Pour mes dernières semaines sur l’île. Ou je l’espère. Mon voyage à vélo se finit mais il me reste trois semaines après ça. Deux à faire du volontariat dans une ferme et une, début Octobre en road trip pour finir mon tour de l’île et mettre l’accent sur la photographie.
Je longe la côte pendant une trentaine de kilomètres. Les montagnes au centre sont déja vêtues de leurs manteaux d’hiver. Rif, petit quartier excentré d’Hellissandur, au bout de la péninsule, apparait et avec lui, l’auberge où je vais passer les prochains jours. Une tempête s’annonce de nouveau et j’ai refusé de passer les deux-trois jours suivants sous les éléments en colère. Je profite des dernières éclaircies de la journée pour aller faire un tour de marche dans le parc national du Snaefellsjökull. Le petit parc autour du glacier et volcan qui ressemble apparemment de loin au Mont Fuji. Sauf je n’en vois pas grand chose, le haut dans les nuages s’assombrissant à vue d’oeil. Tout autour des montagnes s’étalent de grandes coulées de lave recouvertes de mousses vertes et bruyères rougissantes. Et la mer à perte de vue. L’auberge à Rif est une ancienne usine à poisson aujourd’hui transformée en auberge de jeunesse et centre culturel. Il y a des dessins partout, c’est joli, mais tous les jeunes voyageurs du coin ont décidé de s’abriter ici pendant la tempête apparemment. Ce n’est pas vraiment l’ambiance que j’aime mais c’est comme ça.
Le petit port de Stykkisholmur.
Grundarfjördur.
Kirkjufell.
Le parc national de Snaefellsnes
Les trois jours suivants sont longs et pluvieux. Je regarde la pluie qui tombe sans jamais s’arrêter. Le paysage est recouvert d’un épais voile blanc et j’ai le moral dans les chaussettes. Le tour de la péninsule va passer à l’as et j’hésite sur la marche à suivre. Devrais-je quand même continuer mon tour malgré le mauvais temps, être mouillée pendant trois jours et ne pas voir grand chose mais finir mon tour à vélo ? Ou bien simplement abandonner l’itinéraire prévu, rester au sec et tant pis pour les kilomètres ? Dans les deux cas, de toute façon, je ne vais pas voir grand chose. Les paysages de l’Islande ont décidé de rester mystérieux. Alors la facilité, le repos ou bien l’effort et l’accomplissement jusqu’au bout ? Mais j’ai choisi l’option facile, l’option rester à l’abri. Et malgré le fait que je pense bien qu’il n’y a pas grand sens à se faire tremper pendant trois jours, je ne peux m’empêcher d’être déçue de mon choix. Mais c’est comme ça. Les heures passent lentement et je me sens en cage. Le petit musée d’Hellissandur est fermé et le tour du village et ses quelques graffitis se fait rapidement. Il ne reste que le petit café pour un déjeuner tranquille, bientôt rempli de touristes attirés par les commentaires élogieux sur Internet. Je suis coincée ici, au bout de la péninsule de Snaefellsnes, à me protéger de la pluie et du vent, à me reposer, à essayer d’avancer sur l’écriture de mes articles et la seule chose que je désir c’est repartir sur la route, conclure mon voyage à vélo. Après deux mois de voyage, à bouger tous les jours, j’ai beaucoup de mal à gérer cet immobilisme imposé. J’ai le moral dans les chaussettes alors je mange, je mange tout le temps même quand je n’ai pas faim. La nourriture comme remède placebo à un esprit morose.
Au bout de trois jours à attendre, je prends le bus pour retourner à Stykkisholmur. Je n’ai plus assez de temps pour faire le tour de la péninsule et il pleut toujours. On est Vendredi et je dois rejoindre d’ici Dimanche la ferme où je vais faire du volontariat. Alors je repars en arrière. Je suis énervée, déçue, résignée. Tout cela à la fois. Mais je ne peux rien y faire. La pluie n’a pas d’oreilles, elle n’entend pas mes prières. Je passe encore un jour à Stykkisholmur à attendre que le temps s’améliore. Je réfléchis sur l’après-Islande. Sur le futur. Sur ce gros point d’interrogation concernant la suite. La suite des évènements, la suite de ma vie. Parce qu’à trente ans, il me faut décider d’une orientation un peu plus claire et stable pour mon avenir. Il y a tant de choses que je désire faire, sur lesquelles je souhaite travailler, réfléchir, apprendre. Mais il me faut choisir une voie. Ou tout du moins une voie principale à suivre parmi de nombreux petits chemins. Se lancer dans quelque chose de concret. Se lancer dans le monde adulte. Oublier les doutes et prendre une décision.
Dimanche, dernier jour de mon voyage à vélo, je mets les voiles pour Budardalur, à une petite centaine de kilomètres de Stykkisholmur. C’est là-bas, dans une petite vallée non loin du village que m’attend le toit qui va m’héberger pendant les deux prochaines semaines. Deux semaines à aider dans une ferme laitière et côtoyer un peu plus les Islandais. Ou du moins c’est ce que j’espère. Je pars sous la pluie qui se dégage enfin pour deux heures de grand beau temps. Mais une dernière vague de gros nuages noirs couvre le paysage jusqu’à la fin de la journée. Le vent est fort et je l’ai de face. La journée est longue et le vent pénible. Je suis contente de finir mon voyage à vélo, de me lancer dans quelque chose d’autre. Un sentiment de satisfaction, d’accomplissement se mêle à l’excitation de commencer une nouvelle aventure. J’arrive à la ferme Saursstadir en début de soirée, un peu épuisée. Je suis accueillie par une jeune femme en train de traire les vaches. Qui m’embarque tout de suite à ses cotés pour me montrer le travail. Pas le temps de se reposer, les vaches n’attendent pas. Ça y est, je suis arrivée. Mon voyage à vélo est fini, un autre commence.
Street art dans Hellissandur.
En direction de Búðardalur.