Périple à la découverte de soi-même. Cinq mois de Juillet à Octobre 2019 à travers l’Écosse et l’Islande.

Marcher en silence autour des montagnes Kerlingarfjöll

Trois jours de randonnée sur le Kerlingarfjöll Trail.
3 septembre 2019
Montagnes Kerlingarfjöll, Hautes Terres, Islande © Claire B. - Merci de ne pas utiliser sans autorisation

Je n’ai pas vu l’ogresse pétrifiée dans un rocher au-dessus de la cascade à l’entrée du massif. Les montagnes du Kerlingarfjöll s’étirent à coté du glacier Hofsjökull dans le centre de l’Islande, à la merci des vents violents. « Kerling » en Islandais signifie « vieille dame » ou « ogresse », c’est de la légende que le massif tire son nom. Le vent est bien trop fort pour continuer la traversée du centre à vélo sur la piste F35. L’ogresse est peut-être en colère. C’est l’occasion d’aller randonner dans les environs. La plupart des gens se rendent en quelques heures à Hveradalir, la zone géothermique au coeur du massif entouré de rhyolite. La fameuse roche aux tons rouge-orangé déja croisée à Landmannalaugar. Mais je penche pour le tour des montagnes en trois jours, une immersion complète dans l’environnement particulier des Hautes Terres. Le chemin est peu fréquenté et les deux refuges ne coûtent pas très chers. Mieux vaut se méfier de la météo dans le coin. Je laisse mon vélo et ma tente au Mountain Resort et m’engage sur la piste sous un soleil radieux.

Le chemin marqué par des poteaux en bois à intervalles plus ou moins réguliers quitte la piste et s’engage dans une grande vallée en bordure du massif. Je pense à ma randonnée sur l’Hébridean Way, en Écosse, il y a quelques semaines de cela. Là-bas aussi le chemin n’était signalé que par des poteaux. J’aime ce retour à une trace peu marquée. L’impression de traverser le paysage à travers sans être complètement sans repères. Deux silhouettes me dépassent. Le couple de Canadiens que j’ai rencontré hier soir au Mountain Resort. Ils se baladent à pied à travers l’Islande pendant quelques semaines. Comme moi, face au vent violent, ils sont arrivés fatigués hier au Mountain Resort. Nous avons discuté, partageant nos expériences. Ils sont très sympathiques mais je préfère randonner seule. Je les laisse s’éloigner, pour les dépasser plus loin et les distancer enfin.

Mont Keis luit au soleil. Grosse montagne noire au sommet blanc. Les neiges éternelles qui jusqu’aux années 2000 constituaient le seule domaine skiable d’Islande sont aujourd’hui silencieuses. Le réchauffement climatique a mis fin à l’exploitation. Un désert minéral parsemé de tâches vertes fluorescentes composent le paysage. À ma gauche, le glacier Hofsjökull étend ses langues et un très fort vent froid. J’ai un peu mal aux jambes à cause de l’effort monumental que j’ai déployé hier à vélo contre le vent. Heureusement le sentier s’étire à travers les plateaux et petites vallées sans grandes variations d’altitude. Je longe une petite gorge où coule une rivière à plusieurs bras, traverse plusieurs gués et observe des oies sauvages se déplacer dans le ciel. Je me demande bien ce qu’elles peuvent trouver à manger dans cet environnement si rude.

Le petit refuge Kisubotnar apparaît dans le lointain au milieu d’une petite vallée venteuse. De près, cela ressemble plus à une baraque de chantier qu’à un refuge. Quelques lits, des plaques chauffantes et un chauffage. Rudimentaire mais cela ira parfaitement. « Could we come into your castle ? »* me demande le couple qui est arrivé lui aussi. Ils ont prévu de continuer 11km plus loin jusqu’au refuge suivant mais la perspective de se réchauffer un peu les attire. Le chauffage à gaz chauffe doucement alors que nous discutons, enveloppant la baraque d’une douce chaleur. Le couple doit se secouer pour repartir. Je les regarde s’éloigner à travers l’immensité dans la lumière de la fin d‘après-midi. Le vent souffle fort dans les interstices et j’ai quelques pensées anxieuses à l’idée de dormir là, seule, au milieu de ce cirque désert, entourée de cailloux,. L’impression d’être sur Mars ou sur la Lune. Mais c’est mon esprit qui me joue des tours. Il n’y a rien ici, à part le grand calme et la rudesse du paysage.

La pluie martèle la fenêtre du refuge et j’ouvre les yeux. Les sommets sont couverts de neige. D’ailleurs en y regardant de plus près, c’est bien de la neige fondue qui me tombe dessus. Les nuages sont bas mais la grosse masse pluvieuse passe doucement et je mets le cap sur Klakkur, 11km plus loin. Kisa coule dans une petite gorge avant de mêler ses eaux à d’autres ruisseaux dans une grande vallée ouverte. « Kisa » veut dire « chat » en Islandais. Drôle de nom pour une rivière. Je traverse un grand gué et arrive à un poteau où de nombreuses empreintes de chevaux ont piétiné le sol. Une grande piste zigzaguante monte sur une petite colline et je la suis, un peu surprise de trouver une piste ici alors que je m’attendais à un sentier. En haut, la piste s’enfonce dans une grande vallée noire en direction du Sud et mon instinct tire la sonnette d’alarme. Je ne suis pas sur le bon chemin. Ayant presque du mal à tenir debout à cause du vent de nouveau très violent, je scanne le paysage à la recherche du sentier ou d’un poteau indicateur. Mais rien. Il y a bien une autre piste qui part vers la droite et après avoir étudié à multiples reprises la carte, je réalise que j’ai prise la mauvaise direction. Le sentier remontait la gorge Kisubotnar là où j’ai traversé le gué. Pourtant il ne m’a pas semblé avoir vu de poteaux indicateurs. Bon, pas très grave, la piste partant à droite à l’air de retrouver le sentier plus haut. Je me lance sur la piste, un peu inquiète mais remerciant les éléments qu’il ne fasse que venteux et non pas pluvieux ou brumeux. Cela aurait rendu les choses beaucoup plus difficiles.

* « Pourrais t’on pénétrer dans ton château ? »

Mont Keis à gauche.

La vallée et le refuge du Kisubotnar.

Le sentier est bien là, en haut de la colline, là où je le pensais. Tout va bien, danger écarté, rappelez la cavalerie. Au fond d’une gorge gigantesque la rivière Kisu coule divisant le paysage. Personne. Juste moi et la nature. L’impression d’être seule au monde. Les plateaux noirs rocailleux s’étirent dans le silence et je me demande ce qui me pousse à venir randonner ici. Pourquoi cette immensité vide m’attire t’elle alors que je ne me sens souvent pas la bienvenue dans ce terrain inhospitalier et que la moindre erreur peut mener à la catastrophe ? Marcher dans ce désert noir, vide, sans bruit et à la merci des éléments permettrait-il de combiner volonté d’aventure et recherche de paix intérieur ? La pluie me tombe dessus d’un seul coup et interrompt ma réflexion. J’avais senti les gouttelettes depuis un moment. Je presse le pas. En haut d’un col, une montagne isolée apparaît, Klakkur, avec un petit refuge au toit rouge à ses pieds. Il a l’air si près et si loin à la fois. Un dernier gué m’attends juste avant la baraque mais je ne prends pas la peine d’enlever mes chaussures. Pas sous la pluie. Le refuge est plus grand et mieux équipé que le précédent mais le gaz pour le chauffage est vide ! Il ne reste que le poêle à bois pour essayer de réchauffer les lieux. J’ai beau m’acharner sur la hachette, je n’arrive pas à couper les grands morceaux de bois étalés à l’entrée du refuge. Les restes d’un vieux lit. Quelques branchettes devront faire l’affaire. Le feu chauffe doucement mais pas autant que le chauffage à gaz. La fin d’après-midi est froide mais je suis à l’abri. Des voix me tirent de ma torpeur en début de soirée. Quatre belges sont arrivés suivi un peu après par une personne campant à l’extérieur. Mais c’est quoi tout ce monde ? Ils cuisinent du couscous au poisson, relancent le feu et parlent fort dans une langue que je ne comprends pas. Heureusement la nuit les envoie se coucher et je retrouve ma tranquillité.

Pas un bruit au réveil ce matin, les autres dorment encore. Le ciel à retrouvé sa couleur bleue et le vent est toujours là. Je m’éloigne laissant la compagnie à leurs rêves. Après deux jours à contourner le massif, le chemin s’engage enfin à l’intérieur. Je monte sur les flancs rocailleux d’une montagne pour atteindre le petit col de Sléttaskarð. J’ai vu sur le Nord et le Sud et les longues plaines intérieures qui s’étendent à perte de vue. Derrière moi c’est le Sprengisandur, là où court la piste F26, terrain des aventuriers sérieux. Devant moi, c’est la suite de la F35, la piste que je vais reprendre à vélo demain. Une petite montagne au sommet enneigé se détache au loin. Je descends dans les éboulis et le noir dominant fait place à des variations orangées. Je suis arrivée au coeur du massif, là où se trouve la rhyolite et les zone géothermales. Le petit cirque Hverabotn fume autour de moi. Une variation de couleurs au milieu des névés. De petits geysers dégagent des filets de fumée qui changent de direction en fonction du vent. De gros trous de boue bleutée bubullent dangeureusement à coté du chemin. Des traces de pas voulant s’approcher un peu trop près se sont enfoncées de presque un mètre dans le sol mou. Ici la température de l’eau peut s’élever à 140°C.

Me voila à quatre pattes, m’accrochant aux cailloux tenant à peine pour gravir les flancs extrêmement raides et érodés qui séparent Hverabotn du mont Kerlingarskyggni. J’ai très chaud sous le soleil et mon estomac me signale qu’il voudrait s’arrêter. Mais je finis l’ascension. Le repos après l’effort. Depuis le haut, c’est le plateau géothermique intérieur et les hauts monts du massif qui s’étalent devant moi. Qu’est-ce que c’est beau. J’ai oublié la fatigue et la faim, trop occupée à me perdre dans la contemplation du paysage merveilleux. Le plateau crevassé est parcouru d’un mélange de couleurs orangées se mêlant à la neige. Et de petits lacs bleutés miroitent dans le lointain. On dirait une peinture. Au loin, plus bas, au coeur des fumerolles, je distingue une foule de petites silhouettes. Mais pas ici. Pour l’instant j’ai encore les lieux pour moi toute seule. Le froid m’arrache à ma contemplation et je mange rapidement. Je longe le petit glacier Langafönn et descends tout en bas au milieu des touristes au coeur d’Hveradalir. La zone est superbe avec de petits sentiers longeant de petites crêtes au milieu des multiples fumerolles. Un groupe d’Asiatique fait des photos avec un drone d’un couple en tenue de mariés. La jeune femme a l’air d’avoir froid. La recherche de l’extraordinaire superficiel encore et toujours…

J’ai laissé Hveradalir derrière moi, me retournant fréquemment pour abreuver mes yeux de la beauté du plateau. Une fois sorti des fumerolles, c’est le retour au calme. Le chemin est presque fini, la boucle bientôt achevée. Encore quelques kilomètres et je serais de retour au Mountain Resort. Je suis contente d’arriver mais je n’ai pas envie de quitter les paysages si beaux du massif de l’ogresse. Mais il fait un peu moins venteux qu’il y a quatre jours, c’est signe qu’il est temps de repartir.

La vallée et le refuge Klakkur

Le cirque Hverabotn à gauche et la magnifique zone géothermique Hveradalir à droite.

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