Par un beau jour de la fin du mois d’Avril, mes parents sont venus me récupérer à Chamonix. Moi et mon barda. Qui avec l’âge tend grandement à diminuer, fort heureusement. Seulement quelques caisses, un mini-frigo et mes affaires de ski. Nous avons fourré tout ça à l’arrière de la Kangoo et nous sommes partis laissant derrière nous le Mont-Blanc et les Alpes.
J’ai eu un pincement au coeur en quittant la région si belle que j’aime beaucoup. Mais la perspective de revenir dans deux mois m’a apaisé. Mon travail à l’Alpina est fini et j’ai décidé de profiter des cinq prochains mois pour partir en voyage. Mais avant cela il faut rentrer en Provence. À Beaucaire, là où habitent mes parents sur le bord du Rhône. Le mois de Mai pour m’y reposer, ranger et trier mon fourbi (bien plus important dans ma chambre à Beaucaire), préparer mes voyages et me remettre en forme. Voilà le plan.
Les kilomètres défilent et le paysage se fait plus méditerranéen. Les montagnes rapetissent et les maisons se couvrent de tuiles couleur saumon. Beaucaire et son petit chateau apparaisse et j’ai comme toujours lorsque je reviens ici un étrange sentiment sur le coeur. La région est superbe je le sais, mais je n’ai jamais vraiment aimé le coin. Trop chaud, trop populeux, trop bruyant. Et puis les souvenirs d’une adolescence difficile refont toujours surface et j’ai l’impression de me retrouver comme toujours prisonnière de souvenirs douloureux et d’une image de moi-même que je n’aime pas vraiment.
Les jours filent et je suis un peu submergée par le nombre de choses à faire. Ou plutôt, que j’ai décidé de faire. Rangement de mes affaires, nettoyage, tri, achat du matériel de voyage, planification des trajets, grande sauvegarde de mes photographies et data, rendez-vous médicaux, remise en forme physique, écriture d’articles, photographie, lecture… J’ai du mal à tout faire. Le changement d’environnement (retour dans la maison parentale, suppression de l’intimité, voisins bruyants et disparition des montagnes) me fout un coup au moral. À presque trente ans j’ai du mal à supporter l’attitude parfois infantilisante de mes parents. Et j’ai souvent la mauvaise habitude en leur présence à trop me reposer sur eux et cela a de plus en plus tendance à se retourner contre moi. Tout un tas de sentiments complexes, de vieilles habitudes et de ressentiments réapparaissent rapidement passé les premiers jours. Je regarde mes parents qui commencent à vieillir et cela me rend profondément triste. Malgré les années qui passent, on n’a toujours autant de mal à se comprendre. Un fossé s’est creusé à l’adolescence qui semble incapable d’être refermé.
Même le paysage semble bien fade. La Provence est belle mais ça n’est rien à coté des Alpes. Mon père s’extasie devant la beauté des petites collines à la végétation modelée par le vent. Je n’ose pas lui dire que cela me semble bien pâle comparaison avec la chaîne du Mont-Blanc. J’ai beau chercher je ne trouve pas grand chose à photographier. J’ai un peu honte aussi de ne pas être capable d’apprécier la beauté simple du paysage, la simplicité, la tranquillité. Juste là, l’instant présent.
Ma chambre croule sous mes affaires. Des tonnes de livres, des bibelots, des habits, des peluches. Et pourtant j’en ai déjà trié et jeté un tiers depuis que je suis revenue il y a trois semaines. Je m’y sens un peu étouffée. Mes affaires pour le voyage sont prêtes et cela tient dans quatre caisses. Tant mieux. Je n’ai pas besoin de plus. Le reste n’est que superflu et attachement inutile. Je préfère désormais voyager léger. Quand je regarde ma chambre, je me dis que je vendrais bien la moitié de ce que j’ai. La seule chose dont j’ai du mal à me séparer, ce sont mes livres. J’adore lire. Et j’ai toujours beaucoup acheté de livres. Mais vers mes vingt ans lors de mes études de cinéma, je fus prise d’une frénésie et j’ai acheté des dizaines de très beaux livres, très chers sur le cinéma et l’audiovisuel. Comme si le fait de posséder ces livres m’ancrait dans la voie que j’avais choisi (à l’époque en désaccord complet avec ce que voulaient mes parents). Je ne les ai jamais lu. Ils sont là sur des étagères à prendre la poussière me rappelant en permanence mes échecs. Et puis il a les comics et mangas dont je n’ai pas encore eu le temps de finir les intégrales. Je n’ai pas eu les sous pour acheter la suite et après trois ans à l’étranger l’intérêt s’est affaibli. Seuls quelques-uns m’intéressent encore mais je n’ai pas assez de temps pour me lancer dans la suite. Alors pour l’instant je dors dans la chambre de mon frère (se trouvant à Montpellier) beaucoup moins chargée. J’ai l’impression d’y respirer plus librement.
Architecture provençale et couleurs de l’été en Provence.
J’essaye de me détacher de tout cela, des déceptions, des inquiétudes, des ressentiments, du mieux que je le peux (ce qui n’est pas souvent une réussite, je dois l’avouer) afin de me concentrer sur mes projets et notamment la préparation de mes prochains voyages. Au mois de Juin et pendant six semaines je pars en road trip à travers les Alpes. C’est une destination que j’ai en tête depuis pas mal de temps. Pendant mon voyage au Japon, puis en Nouvelle-Zélande et en Australie, les Alpes m’ont beaucoup manqué, souvenir un peu fantasmé de ce que la grande, la vraie randonnée semblait être pour moi. C’est aussi pour cela que j’ai choisi de venir travailler à Chamonix lors de mon retour en France. Dans la vallée il y a une infinité de randonnées possibles et notamment le fameux tour du Mont-Blanc. Une dizaine de jours de trekking faisant le tour du massif. Je me suis dit que c’était l’occasion de le faire. Et puis j’ai aussi en tête la région des Dolomites. Une des régions les plus connues de l’Italie. Dans mon flux Instagram, je vois une photo de ces montagnes quasiment tous les jours. C’est presque trop. Mais la beauté du lieu a creusé son trou dans mes envies et je me suis dit pourquoi pas combiner les deux ? Et même, encore mieux, pourquoi pas faire un road trip à travers les Alpes en traversant différents pays ? C’est de là qu’est venu l’idée de partir six semaines à travers les Alpes à travers l’Italie, l’Autriche, la Suisse et la France.
J’aurais bien fait tout cela à pied mais il m’aurait fallu beaucoup plus de temps que les six semaines disponibles. Et comme j’ai prévu d’aller en Islande après cela, j’ai décidé de faire les trajets liant les différentes randonnées en voiture. C’est donc un road trip en voiture parsemé de randonnées à la journée et de plusieurs grands treks.
Partir en road trip de nouveau me rappelle ma vie en Australie, quittée il y a seulement quelques mois. Quand j’aménage la Kangoo que mes parents ont accepté de me prêter, je repense à ma petite Toyota Hilux, fidèle compagnon pendant une année. Son image teintée d’une sensation de manque me revient souvent à l’esprit. J’ai fait les plans d’un aménagement de l’arrière de la Kangoo en un mini-campeur très simple. Les matériaux sont achetés, il ne reste plus qu’à tout mettre en forme. Hier j’ai mis des rideaux aux fenêtres avec du velcro et j’ai eu l’impression de me retrouver dans ma Toyota en train de fixer la tringle des rideaux avec des crochets. Je me sens mi-heureuse, mi-triste, mélange de l’excitation de la préparation du voyage et du souvenir d’une vie que j’aurais peut-être bien voulu continuer.
Plus jeune je détestais la randonnée. Ou plutôt l’obligation de la randonnée hebdomadaire du dimanche imposée par mon père. Mais aujourd’hui c’est l’inverse. L’effort physique, l’idée de traverser des paysages à la force de mes jambes m’attire de plus en plus. Quand je randonne (ou quand je fais du vélo) j’ai l’impression de vivre. D’être moi, active et libérée. Le reste du temps, à la maison ou au boulot, les heures, les jours passent dans une sorte d’immobilisme dépressif, dans une léthargie continuelle. Me lever de ma chaise me demande un effort considérable. Et pourtant je suis capable de grimper 1000 mètres de haut ou d’accomplir 60km de vélo sans problèmes particuliers. Pourquoi en dehors de l’effort physique ai-je tant de mal que cela à avoir de l’intérêt ? Probablement parce que ma vision de la vie, de l’effort et de la nature a changé ? La marche, le vélo, la course, en solitaire, s’apparente pour moi à une sorte de méditation, de reconnection avec moi-même et la nature. C’est aussi un espace où je peux exprimer ma créativité (photographie, idées d’écriture). Et puis c’est un espace de confrontation. De recherche de changement, de retour à la simplicité et à l’essentiel. Et pour finir cela me permet de voir le monde. Le voir réellement et essayer de le comprendre. Et peut-être l’immortaliser avant que tout ne change.
Voila pourquoi j’ai décidé de partir marcher à travers les Alpes. Et faire le tour de l’Islande à vélo. Parce que j’ai besoin de ces voyages, de ces espaces pour me comprendre, me changer, ouvrir les yeux sur le monde et trouver ma voie.