CARNET
J’ai quitté le Japon, par un beau jour du début du mois de Mai pour m’envoler vers d’autres horizons. Après six mois au Japon, j’ai décidé de faire un détour par l’Australie avant de mettre le cap sur la Nouvelle-Zélande. Six semaines sur la terre des kangourous pour revoir mes parents et découvrir le pays où je suis née. L’avion a quitté Tokyo et j’ai quitté la terre de samourais avec une pointe de tristesse dans le coeur. Mais un violent mal de tête m’a rapidement fait oublier tout cela. Un marteau invisible me martelait le front et j’avais l’impression que mon crâne allait se briser à n’importe quel moment. Une mauvais pression dans l’avion liée à un nez complètement bouché me jouaient de mauvais tours. C’était en fait, comme je l’appris plus tard, le début de problèmes liés à mes sinus qui me causèrent bien des soucis pendant les trois années suivantes. Je suis arrivée à Sydney dans un état au bord de l’évanouissement, les oreilles tellement bouchées que j’en étais presque sourde. Il me fallu plusieurs jours pour que mes oreilles reviennent à la normale et presque trois semaines pour que mes sinus dégonflent un peu et que mon nez s’arrête de couler.
Assis à une terrasse profitant du soleil, j’ai retrouvé mes parents arrivés à Sydney une journée avant moi. C’était la première fois que je mettais les pieds dans mon pays de naissance. Je suis née à Melbourne le 7 Juin 1989 alors que mes parents faisaient un doctorat. Il ne sont restés que deux ans et j’ai quitté le pays âgée seulement de quelques mois et sans aucuns souvenirs. Durant tout mon adolescence, nous avons régulièrement évoqué l’idée de retourner en Australie mais cela ne s’est jamais fait. La distance, le temps et l’argent nous mettaient des bâtons dans les roues. Mais suite à ma décision de quitter le Japon un peu plus tôt que prévu et de me rendre en Nouvelle-Zélande, mes parents m’ont proposé de faire un détour par l’Australie pour faire un road trip en famille. C’était l’occasion ou jamais. Deux semaines de vacances posées pour mes parents et un road trip de lancé.
Les retrouvailles sont joyeuses bien que je ne me sente pas très bien et que je n’entende pas grand chose. Nous passons quelques jours à Sydney à se balader dans la ville, autour de l’Opera et du port. La ville est grande et agréable mais le retour brutal à une civilisation « plus européenne » me perturbe un peu. Après six mois entourée de signes japonais, calligraphie, temples et sanctuaires, j’ai un peu de mal à prendre mes marques. Vient l’heure de quitter la ville pour s’enfoncer dans l’arrière-pays et nous voilà partis au volant d’un petit camper-van à traverser l’État du New South Wales. Ici les gens roulent à gauche et mon père est légèrement tendu pendant les premières heures. Heureusement une fois sorti de Sydney, la circulation se fait plus fluide et les grandes étendues de prairies et forêts s’étalent sur les cotés de la route. L’Australie a bien changé depuis que mes parents l’ont quitté, 26 ans auparavant et un drôle de sentiment lié au fait de ne pas reconnaître les lieux plane dans l’air. À cela s’ajoute de longues heures de voiture pour parcourir les kilomètres, un espace de vie très petit et la difficulté à me réhabituer à la présence permanente de mes parents. Tout cela rend l’ambiance un peu tendue et perturbe l’expérience. C’est dommage mais c’est comme cela.
Nous atteignons les Blue Mountains, les Montagnes Bleues, une région montagneuse à l’ouest de Sydney où nous partons randonner pendant plusieurs jours à travers les forêts d’eucalyptus et les collines escarpées. Mes parents connaissent bien la région, ils s’y sont souvent baladé lorsque qu’ils vivaient en Australie. La forêt est très belle, remplie de fougères et d’eucalyptus aux écorces colorées et dont certains troncs atteignent des envergures de plusieurs mètres de large. Dans les branches une infinité d’oiseaux et perroquets chantent et se nourrissent.
Certains des oiseaux ont des chants absolument fascinants, ressemblant à des clochettes, des alarmes ou des gargouillis. Un certain type d’oiseaux, les Bell Miners ou Méliphage à sourcils noirs, appelé également Bellbirds sont de petits oiseaux au plumage vert vivant en large colonie. Leur chant ressemble à de petites clochettes et leur sert notamment à défendre leur territoire contre les intrus. Une après-midi alors que nous nous baladions dans la forêt, une colonie entière s’est mis à chanter, réalisant une incroyable symphonie dont l’écho amplifiait les sonorités. C’était incroyable à écouter. Cela à duré pendant des heures et lorsque nous avons enfin quitter la zone où se trouvaient les oiseaux nous avions les oreilles qui tintaient tellement le chant était fort.
Les jours défilent entre les balades, la conduite et les nuits au bord de la route ou dans de petits campings. Les paysages sont immenses souvent identiques sur des centaines de kilomètres et je commence à saisir à quel point le continent est grand. Parfois nous roulons tard le soir pour avaler les kilomètres et assistons à de superbes couchers de soleil. Plus nous nous enfonçons dans l’outback, l’arrière-pays australien, plus le sol se fait rouge et le paysage désertique. La grande majorité de la population australienne est située le long des côtes. Dans le centre, c’est le désert et les grands espaces sauvages.
Nous croisons la route de kangourous, émeus, possums, magpies, perroquets, fourmis et araignées. Celles-ci sont d’ailleurs bien plus grosses qu’en France et j’ai la hantise de tomber nez à nez avec un Redback, la fameuse petite araignée noire au dos rouge mortelle. Coté serpents (nombreux et dangereux), c’est le calme plat heureusement. C’est la fin de l’Automne sur le continent et peut-être que les températures moins chaudes ont déjà poussé les serpents à limiter leurs activités.
J’observe les oiseaux, fascinée par les couleurs, les chants et les comportements. Cacatoès à huppe jaune, Perruche royale, Loriquet arc-en-ciel, Kookaburra, Mérion superbe, Perruche de Pennant, Perruche à collier jaune, Magpie, Colombine longup, tous sont plus beaux les uns que les autres et absolument magnifiques. Ils sont aussi pour la plupart plus gros que les oiseaux que l’on trouve en France et présents en plus grand nombre. Leur observation en est donc facilitée. Les perroquets sont curieux et peu farouches et je peux les observer de près casser les graines à l’aide de leurs griffes et becs. La nuit dans les arbres apparait des yeux rouges semblables à ceux des vampires témoignant de la présence des possums dans les eucalyptus.
Nous passons voir des mines immenses à ciel ouvert de Cobar, longeons la Murray River et descendons vers le sud pour atteindre l’état du Victoria et Melbourne. Me voici enfin arrivée dans la ville où je suis née. Melbourne ressemble pas mal à Sydney, comme la majorité des villes australiennes mais garde quand même un certain charme du à la présence d’anciens quartiers à l’architecture victorienne. Datant des années 1850 et de la ruée vers l’or, ces quartiers se caractérisent par de jolies petites maisons mitoyennes colorées avec balcons et patio. Mes parents me montrent l’hôpital où je suis née, la maison où ils ont vécu et les quartiers qu’ils ont arpentés. Là se trouvait la pizzeria italienne, là la bibliothèque, là une petite supérette. Mais beaucoup de choses ont changé en une trentaine d’années et ils ont un peu de mal à retrouver l’atmosphère de l’époque. Une certaine nostalgie plane dans l’air et nous quittons le quartier de ma naissance dans le silence. Le soir nous allons nous balader dans le grand parc central de Melbourne où mes parents avaient l’habitude de voir des possums se balader à la tombée de la nuit et chaparder dans les poubelles. Et effectivement dans la lueur du jour qui s’éteint une dizaine de possums apparaissent soudainement pas effrayés pour un sous. Certains s’approchent même très près de moi jusqu’à me toucher la jambe. Ils mendient de la nourriture mais il faut faire attention, leurs griffes sont acérés et peuvent faire mal. J’observe les marsupiaux, impressionnés de les voir si près. Peu d’animaux sauvages en France se laissent approcher par les humains. Des siècles de chasse et destruction leur ont inculqué la peur justifiée de l’être humain.
Le voyage de mes parents touche à sa fin après deux semaines à parcourir les états du New South Wales et du Victoria. Nous remontons doucement vers Sydney en longeons la côte. Walhalla, un petite village minier où mon père faisait des relevés géologiques lors de son doctorat est toujours là. Un large groupe de Perruches royales picorent les miettes en bordure d’un café. En bordure de la mer, Tamboon Inlet nous offre la contemplation d’une superbe colonie de pélicans. Un dernier arrêt à Canberra, la capitale pour visiter le parlement et nous voilà de retour au point de départ. Le temps a passé vite et le pays est si grand que nous n’en avons vu qu’une minuscule partie. Mes parents s’en retournent vers la France et je reste chez une amie chinoise rencontrée au Japon pendant trois semaines de plus. J’avais eu dans l’idée de profiter de mon temps libre avant de rejoindre la Nouvelle-Zélande pour aller explorer le centre de l’Australie et la fameuse montagne Uluru mais le prix du ticket d’avion, de l’hébergement et des activités coupe court à mes envies. Mes économies baissent à vue d’oeil et il me faut limiter mes dépenses si je veux être capable de visiter la Nouvelle-Zélande pendant quelques semaines avant de m’atteler à trouver un travail.
La déception me gagne, regrettant de ne pas pouvoir découvrir plus en détail le continent et sa culture que j’ai à peine effleuré. Surtout que je ne sais pas si je serais un jour capable de revenir. Je rumine mes options mais le résultat reste le même. Dépenser ce qu’il me reste pour à peine dix jours de voyage rapide dans le centre de l’Australie ou économiser pour un mois de voyage en Nouvelle-Zélande… Après plusieurs jours d’hésitation, la décision est prise. Alors je reste à Sydney, travaillant sur mes articles et organisant mon voyage au pays des kiwis. J’en profite également pour assister au festival Vivid, un festival sons et lumières ayant lieu chaque années dans la ville. C’est assez impressionnant avec de jolies projections et illusions sur les toits de l’Opéra et de la bibliothèque. Les jours filent et me voilà de nouveau aux portes de l’avion, prête pour un nouveau voyage.