Le son du vent résonne dans mes oreilles alors que je marche tranquillement le long de la côte. Je suis seule sur le sentier. Pas de voitures, pas de bruits d’avion, pas de discussions. Seulement le bruit des vagues, du vent, le crissement de mon sac, ma respiration et le gazouillis de quelques oiseaux. Cela fait deux jours que je suis seule. Je marche sur Hornstrandir entourée de solitude. Il n’y a que moi et mon esprit. Moi et la nature. Moi et la simplicité. Je ne ressens pas de manque. J’ai toujours apprécié la solitude. Je peux passer des jours sans parler à personne ni ressentir le besoin de contact humain. Je pense que je serais capable d’être une ermite, parfaitement à l’aise entourée de personne.
Le fermier de la ferme laitière où j’ai travaillé pendant deux semaines m’apostrophe en permanence me posant de drôles de questions sur un ton accusateur. Quel est mon opinion sur Trump ? Mes lunettes sont-elles sales tout le temps comme les siennes ? Pourquoi les femmes sont-elles meilleures à faire les courses que les hommes ? Suis-je consciente que les Français ont les mains tachées du sang des peuples colonisés ? Quel est mon avis sur l’exploitation laitière Islandaise ? Pourquoi suis-je en train de manger des légumes et pas de la viande ? Je me sens enchainée sous les yeux accusateurs d’un jury me regardant les yeux exorbités de folie. J’essaye de répondre mais les réponses ne l’intéresse pas. Chaque question en amène une autre. « La discussion ne m’intéresse que si l’autre s’oppose à moi. Sinon cela n’a pas d’intérêt » me dit-il. Mais comment argumenter ou faire entendre raison quelqu’un qui ne semble s’épanouir que dans le conflit ? Cela n’est pas de la discussion. Il n’y a pas d’intéractions. Juste un bombardement de platitudes apprises via la télévision ou YouTube. J’ai le cerveau qui sature, j’ai besoin de silence, de calme, de solitude.
Les contacts humains sont toujours difficiles. Et après presque deux mois à vélo et à pied autour de l’Islande, la grande majorité de temps seule, je les trouve encore plus difficiles. La communication n’est jamais juste, jamais exactement vraie. Nos mots ne correspondent jamais pleinement à ce que notre esprit cherche à transmettre. Le langage trahit toujours nos véritables intentions. Les échanges sont difficiles parce qu’ils impliquent toujours un jugement. On ne voit toujours l’autre qu’à travers la vision de notre propre histoire, de nos erreurs, douleurs, réussites. Peu importe ce que l’autre raconte, ses paroles seront de toute façon analysées via le filtre de notre existence. Il a beau essayer de transmettre la vérité de ses intentions, notre analyse risque probablement de les interpréter d’une façon différente.
Le fermier nous accuse d’un ton accusateur Anneli et moi de ne rien faire alors qu’un invité va venir dans la journée. Nous aurions dû savoir qu’il fallait passer l’aspirateur et nettoyer les sols. Cela lui semblait être une évidence pour lui alors il ne nous a pas prévenu. Et maintenant il est colère car le ménage n’a pas été fait. Inconsciemment on pense toujours que les autres voient le monde de la même façon que nous, pensent comme nous et sont donc capables de lire dans nos pensées et de nous comprendre. Mais comment cela est il possible quand la communication est basée sur un jugement et sur un vocabulaire limité ? Vivre avec les autres impliquent de, systématiquement, en permanence, faire des compromis. Il faut abandonner sa liberté pour mettre en place un échange. Toute relation est une atteinte à la liberté de l’autre. Et tout échange implique des tonnes de discours superficiels.
De l’autre coté, il y a Sanni et Anneli. Toutes les deux la quarantaine. Une Finlandaise et une Estonienne. Présentes elles-aussi à la ferme laitière. Nous échangeons en anglais sur nos cultures et expériences. Ce sont deux personnes que je ne connais pas et pourtant je les comprends parfaitement. Elles voient la vie de la même façon que moi : sans alcool, sans drogues, sans caféine, orienté végétarien, s’interrogeant sur les bouleversement actuels et climatiques, aimant la solitude et la simplicité et centrées sur le contact avec la nature, les animaux et le voyage. Ces jeunes femmes sont issues de cultures différentes de la mienne avec leurs histoires et leurs problèmes et pourtant elles semblent si proches de moi, de ma façon de penser. La différence de nationalité semble futile et j’ai l’impression de mieux les comprendre que bien des Français.
Comment trois personnes de pays et cultures différents peuvent être si proches ? Comment pouvons nous nous comprendre ? Sommes nous, avec les bonnes circonstances, tous capables d’être compris par delà le langage ? Ou bien ne suis-je capable de les comprendre que parce qu’elles ont la même approche de la vie que moi ? Ne suis-je capable de comprendre que les gens qui me sont semblables ?
Parler plusieurs langues ou au moins s’y intéresser me semble être un pas vers le salut de la compréhension de l’autre. Chaque langage à sa propre façon de voir le monde et de le décrire. Être capable d’échanger en plusieurs langues voir de les mélanger, c’est avoir à sa portée un vocabulaire capable peut-être de poser des mots sur nos pensées, ces évènements électriques nés de nos cerveaux. Se rapprocher de la vérité.
Passer deux mois entourée en grande partie de solitude m’a fait réaliser à quel point nos échanges et interactions sont superficiels et inutilement compliqués. Seule en voyage, quand la seule personne avec qui échanger est mon vélo, la prise de décision est simple et rapide. Éliminer le superflu et aller à l’essentiel. C’est ce qui m’attire de plus en plus dans la solitude et dans le contact avec la nature. Pas de discours à n’en plus finir, pas de jugements de l’autre, pas de trahison de langage, pas de compromis. Juste la simplicité.
Sanni m’a dit un jour, alors qu’elle me racontait une histoire d’un groupe de randonneurs avec qui elle voyageait en Alaska et qui les soirs se rassemblaient pour fumer de la drogue et se raconter des histoires superficielles, qu’elle s’était sentie en décalage avec eux et que la seule chose qu’elle avait voulu c’était « retourner à ses vaches, retourner à quelque chose de sensé ». Cela a résonné en moi. Vivre au contact de la nature et des animaux, simplement, en accueillant la solitude. Là se trouve la vérité.