Vers un avenir éthique et durable. En cours depuis le 27 Août 2020 – France

Pour une architecture vivante

Deux semaines de volontariat sur le chantier participatif d’une maison construite en paille porteuse sur la presqu’île de Crozon.
25 septembre 2020

Au bout de la Bretagne, dans le département du Finistère, Célia se réveille. Le soleil se lève sur un ciel sans nuages annonçant des températures chaudes pour la saison. Depuis des années, la Bretagne, comme le reste du monde, se réchauffe. En ce milieu du mois de septembre, le soleil inonde encore le paysage de degrés de chaleur trop chauds pour la saison. Une maison en paille, terre et bois a poussé du sol. Cela fait deux ans qu’elle pousse. Doucement mais sûrement. 

Le hasard m’a mené, sur la presqu’île de Crozon, là où habite Célia. Une presqu’île que je pensais rase, pelée, sauvage. Mais qui s’avère être la destination préférée des Brestois en weekend, la grande ville de la région à une grosse heure de route. La première partie de l’île est très bocagée et couverte de champs agricoles cultivés encore majoritairement à l’aide d’engrais chimiques. En bord de mer, la végétation se fait plus sauvage. Pins et fougères remplacent les prairies, puis roches et bruyères couvrent le haut des falaises qui délimitent la presqu’île. L’environnement se fait plus dur, plus brut, plus soumis à la puissance du vent et des vagues qui modèlent le paysage. La presqu’île est belle. Belle dans ses coins les plus sauvages. Dans sa multitude de pointes qui parsèment sa côte accidentée. Un maillage de petits villages et fermes parsèment le coin. Un mélange de bâtiments anciens et récents pour un assemblage de villages avec plus ou moins de charme. Certains comme Morgat, Camaret ou Landévennec sont magnifiques. En bordure de mer, l’un présente de jolis maisons colorés, l’autre un petit port abritant des épaves de bateaux et le dernier, abrite les ruines d’une abbaye dans un village à l’architecture préservée. 

À vélo, le tour de la presqu’île prends deux jours environ en longeant la cote. À pied, quatre jours de balade suivent le GR qui parcourt le charme tranquille de ce coin bien particulier de la Bretagne. Entourée par le dessus par la rade de Brest, par le devant par la mer d’Iroise et par le dessous par la baie de Douarnenez, la presqu’île de Crozon bénéficie d’un micro climat. Les températures varient assez peu toute l’année. Mais le réchauffement climatique et la pollution agricole n’ont pas épargné l’endroit et les plages sont envahis d’algues vertes depuis plusieurs années. Les algues vertes font parties du paysage breton mais depuis une trentaine d’années les algues se développent de façon excessive au printemps et en été et viennent s’échouer sur les plages. L’augmentation trop rapide de la croissance des algues est due à la pollution dans les cours d’eau se déversant dans la mer. Fertilisants, engrais et phosphore viennent impacter la croissance des algues. Les algues vertes posent un problème sanitaire important le long du littoral breton puisque les algues en se desséchant forment une croûte en dessous de laquelle se développe un gaz toxique, l’hydrogène sulfuré. 

Mais c’est ici qu’à choisi de s’installer Célia. Et je la comprends. Malgré la pollution agricole et le problème des algues vertes, la presqu’île de Crozon m’apparait comme un lieu propice à la mise en place d’une vie plus en lien avec la terre. Les lieux sont tranquilles et les gens semblent avoir développé une certaine culture de la communauté. Célia est une dame d’une cinquantaine d’année, Bretonne d’origine, qui a quitté Paris et son boulot il y a deux ans pour venir s’installer dans le petit village de Telgruc-sur-mer, à l’entrée de la presqu’île. Son projet consiste en l’édification d’une maison en matériaux naturels qui servira de lieu de formation sur la permaculture, l’écologie, la nature et l’alimentation quand elle sera finie. Célia a passé deux ans à participer à différents chantier participatifs et formations sur l’éco-construction avant de se lancer dans l’édification de sa maison. Encore plusieurs mois de travail et le lieu commencera à être opérationnel. Une fois la construction finie, viendra la mise en place de l’autonomie énergétique et le traitement des eaux grises. Puis ce sera au tour du potager. C’est un lieu que Célia veut frugal dans sa consommation mais riche dans ses échanges. 

L’avant et l’arrière de la maison en construction. Les murs sont en paille porteuse, recouverts en haut de bardage bois en Douglas et en bas d’enduits protecteurs à la chaux.

Le moulin de Telgruc-sur-mer, la végétation, l’abbaye de Landévennec et la baie de Morgat et ses maisons colorées.

Les églises traditionnelles du Finistère, les vieilles épaves du petit port de Camaret, l’alignement de menhirs de Lagatjar, les plages recouvertes d’algues vertes et les falaises de la presqu’île.

La bâtisse me plaît immédiatement. Je ne sais pas si c’est les murs aux coins arrondis, l’enduit extérieur fait-main ou le bardage bois qui m’attire mais quelque chose me réjouis lors que je pose les yeux pour la première fois sur la maison en construction. Les bottes de paille qui font les murs ne sont plus visibles de l’extérieur mais j’en aperçois encore quelques unes à l’intérieur. Le matériau m’attire tout de suite. Quelque chose me plaît dans cette maison. C’est viscéral. Je m’y sens bien. Entourée de paille, bois, terre et chaux, j’ai l’impression de sentir vibrer l’âme de la maison. Ou de sentir l’énergie qu’elle dégage. L’énergie de tout ceux qui ont participé à sa création. 

Cela fait un an et demi que Célia monte sa maison en chantier participatif. Fondations en béton et charpente en bois ont été posés par des professionnels mais le reste a été fait par des volontaires, souvent comme moi, sans beaucoup de connaissances de la construction. Mais avec une envie, un intérêt et une joie qui résonnent dans l’atmosphère de la maison. La construction est vivante, je la sens presque respirer.  

Le ciel est au beau fixe pour notre première semaine de chantier. Six autres volontaires se venus prêter main-forte pendant une à deux semaines. Youssef est architecte, déjà là la semaine dernière. Sophie et Simon sont un couple de médecins. Amandine est en reconversion et Juliette et Adrien sont en école d’ingénieurs option génie urbain. Tous sont là pour découvrir autre chose. Pour revenir à des pratiques plus naturelles. Pour expérimenter un nouveau mode de vie. En ce moment l’activité principale du chantier consiste à appliquer les enduits extérieurs  à la chaux et les enduits intérieurs à la terre. La maison est déjà bien avancée. Fondations, montage des murs en paille porteuse, pose des menuiseries, charpente, pose de la toiture, montage des cloisons intérieures en terre-paille banchée sont les étapes qui ont déjà été faites. Il reste à faire les enduits, finaliser les murs et l’isolation, poser l’électricité et la plomberie et installer le plancher. Suite à tout cela la maison sera habitable. 

Les journées se déroulent tranquillement en compagnie de Célia qui dirige avec attention les activités. Il faut d’abord nettoyer les murs puis préparer les mélanges de terre et de chaux pour les différents enduits. Ensuite vient l’application à la main ou au pinceau des enduits. En fonction du temps nous travaillons soit à l’intérieur soit à l’extérieur. L’ambiance est bon enfant et tout le monde manipule les différents outils et matières avec envie d’apprendre. En contact avec les matériaux vivants, les langues se délient et les points de vues sur l’évolution du monde se rencontrent. Les discussions vont bon train et il est très agréable de côtoyer des gens dans le même état d’esprit que moi ou en phase d’interrogation. Mes deux semaines sur la presqu’île passent vite et chaque jour amène son lots de découvertes. Des tas d’idées se développent dans mon esprit. Et je sens pousser en moi une forte envie de découvrir urgemment toutes les techniques de construction alternative. 

Édifier une maison en matériaux naturels et presque sans outils industriels est aujourd’hui un acte politique. Comprendre comment les matériaux s’agencent, se complètent, respirent. Comprendre leur capacité d’isolation, d’absorption de l’humidité, leur résistance. Comprendre comment les appliquer, les manipuler, leur lourdeur. Accepter les imperfections, les erreurs, les changements, la lenteur. Comprendre tout cela c’est découvrir une autre façon de construire. C’est réaliser la difficulté d’une construction faite à mains nues. Le temps que cela prend. L’implication physique nécessaire. Son impact sur le corps. C’est comprendre l’importance du savoir et de la curiosité. C’est développer l’entraide, l’échange et la débrouillardise. Construire à échelle humaine c’est mettre son âme dans la maison qui va servir de toit durant des années par la suite. Et c’est construire un lieu répondant exactement aux besoins spécifiques mis en avant par le propriétaire. C’est construire un projet unique, différent et vivant. 

 

La côte à l’entrée de la presqu’île encore recouverte de champs puis la côte plus sauvage au bout de la presqu’île recouverte de bruyère au niveau de la pointe de Dinan. La très belle pointe de Pen Hir en compagnie de deux autres volontaires avec à son extrémité les Tas de Pois.

Faune et flore de la presqu’île. Les bruyères et genêts des falaises fleurissent au printemps-été et couvrent les lieux d’un parterre de touches violettes et jaunes. À mon passage en début d’Automne, seules quelques fleurs étaient encore ouvertes. Une abeille butinant une fleur du jardin et deux crapauds qui prenaient le frais sous une bâche du chantier.

Sur le chantier, l’équipe de volontaires de la première semaine en train de recouvrir les murs d’enduits à la chaux. Mon séjour sur la presqu’île en compagnie de Célia et de l’équipe de volontaires fut une expérience enrichissante.

Note :
Afin de respecter le droit à la vie privée et à l’anonymat sur le net, les noms des personnes ont été modifiés.

Copyright content.