Entre traditions et modernité. Voyage au Japon de Novembre 2015 à Avril 2016.

Sur les traces des volcans de Kyûshû – partie 2

Je continue ma découverte de l’île de Kyushu en continuant vers le sud sur la traces des volcans.
10 janvier 2016
Kagoshima, Kyûshû, Japon © Claire Blumenfeld
CARNET

Shimabara et la révolte Satsuma

Après une petite traversée d’une heure, me voici arrivée dans la ville de Shimabara, au Nord-Est de la péninsule de Shimabara, située dans la préfecture de Nagasaki. Il fait un joli soleil froid. Après avoir déposé mon sac à l’auberge, je me balade tranquillement dans les environs. Shimabara est une petite ville portuaire s’étirant en longueur le long du littoral, au pied du mont Mayuyama. Le mont Mayuyama fait partie du complexe volcanique du mont Unzen composé de différents pics et monts. Le Kinugasa au nord, le mont Fugen et le Mayuyama au centre-est et le Kusenbu au sud. Le Fugendake possède un cratère en activité. La dernière éruption très meurtrière remontant à 1991 a emporté toute une partie des quartiers excentrés de Shimabara.

Je passe mon mardi à vadrouiller dans Shimabara. Je passe voir le minuscule lac Shiraki et le temple Kotoji abritant la statue d’un boudha couché où pas mal de gens sont présents en train de nettoyer les tombes et le temple. Ce grand nettoyage se faisant fin décembre s’appelle “ôsôji” et fait office de rite de purification. On le pratique aussi au sein des maisons. Visite du quartier aux carpes abritant de nombreux cours d’eau remplis de carpes de taille impressionante ainsi que de jolis vieilles maisons traditionnelles. Je visite la Yusui-teien Shimeiso, comprenant un jardin traditionnel. Dégustation de thé japonais et discussion avec la tenancière et deux visiteurs japonais parlant un peu anglais.

Situé au sommet d’une petite colline, le château de Shimabara se composant de cinq étages, a été construit aux alentours des années 1920 et joua un rôle important dans la rébellion de Satsuma. La préfecture de Nagasaki fut l’un des principaux lieux d’introduction du Christianisme au Japon au début du 16ème siècle par des missionnaires jésuites. Entre 1637 et 1638, les paysans locaux pour la plupart chrétiens, se rebellèrent contre leur daimyo Matsukura Shigemasa qui imposait des impôts de plus en plus lourds et persécutait les chrétiens. Samouraïs, ronins (samouraïs sans maitre), chefs de village et paysans se rassemblèrent et déclenchèrent ce qui pris le nom de Rébellion de Satsuma. Mais la révolte fut réprimée dans le sang. Retranchés dans les châteaux de Shimabara et de Hara (plus au sud de la péninsule de Shimabara), les rebèlles seront décimés par les canons des navires hollandais, alliés du shogunat.

Le château abrite un musée très intéressant retraçant l’histoire de Shimabara et de ses chrétiens, la rébellion de Satsuma, une superbe collection de poteries et de vaisselles, des petites figurines et une collections d’armures et de sabres. Depuis le dernier étage, on peu découvrir une jolie vue sur la ville, le mont Mayuyama et le cratère fumant du Fugendake. Je passe également voir le Hall mémorial Seibo dédié au sculpteur et peintre Seibo Kitamura. C’est lui qui a sculpté la statue de la Paix installée depuis 1955 au centre du Parc de la Paix de Nagasaki et commémorant le bombardement atomique de 1945. Je ne connaissais pas du tout le monsieur et je dois dire que ses sculptures m’ont tapé dans l’oeil. Extrêmement expressives et réussies, je les ai trouvées magnifiques.

Visite également du quartier historique Teppô-machi abritant plusieurs “buke yashiki” (maisons de samouraïs) bordant une jolie ruelle de 450m de long coupée en deux par un petit canal. Je finis ma journée par une promenade dans les quartiers plus populaires le long du petit port. Temps magnifique, peu de monde (à part un groupe de jeunes garçons (dans les 12-15 ans), qui me demandent d’où je viens, si mon appareil photo marche bien et si j’aime le Japon), clapotement des vagues et gargouilli des oiseaux. L’atmosphère est superbement paisible. Malgré la nuit qui arrive, je pousse quand même juste qu’au lieu de la coulée de lave meurtrière de 1991. Bien que la nature ait repris ses droits et que les maisons ont été reconstruites on distingue toujours la trace de la coulée. Retour de nuit à l’auberge, poursuivie par le froid.

Dans l’enfer d’Unzen

Le lendemain, Mercredi 30 Décembre, je prend le bus qui m’amène en une heure au sein des montagnes du Mont Unzen, dans le petit village Unzen. Unzen est construit au milieu des sources d’eau chaudes dûes à l’activité volcanique de la région. Fumées blanches, vagues de chaleur, gargouillis des bulles de gaz qui éclatent à la surface et odeur d’oeuf pourris (à cause de l’acide sulfurique), embaument le village. Surnommé “Unzen Jigoku” (Jigoku signifie “enfer” en japonais), l’ensemble provoque un spectacle fascinant. D’autant plus que Unzen était également un des lieux où les chrétiens japonais étaient martyrisées aux alentours de 1600. Le daimyo Matsukura Shigemasa (cité plus haut) refusant le Christianisme, condamnait les chrétiens à la mort par ébullition dans les sources chaudes de Unzen. Le temps étant beau, j’attaque l’ascension du Mont Yadake (haut de 930m) surplombant le Jigoku Onsen. Le sommet procure une jolie vue sur la vallée en contrebas et sur le col de Nita et les différents pics du complexe volcanique. Je continue ma ballade en longeant la crête sur un petit sentier déambulant dans la forêt. Je redescends dans la vallée par une petite route, bercée par le soleil. Les lieux sont très beaux. Retour au village où ma recherche d’un bento (panier repas) se solde par un échec. Ce sera donc restaurant. Gargote rustique tenue par une mamie une peu acariâtre. Je choisi un donburi accompagné d’oeufs qui s’avère très bon. (Un donburi est un grand bol de riz combiné avec n’importe quelle garniture).

Le ventre plein, je retourne à l’assaut de la montagne, cette fois-ci de l’autre coté du village pour gravir le mont Kinugasa, 870 mètres. A son pied, se situe le joli lac Shirakumo ainsi que le premier espace de camping libre que je trouve au Japon. Les lieux sont sacrement aménagés pour un espace libre : toilettes, espace cuisine, lieu pour faire du feu et emplacements surélevés pour les tentes. Un courageux a d’ailleurs planté sa tente. L’ascension est tranquille, sur un vieux chemin en pierres. Comme pour le Mont Yadake, l’observatoire au sommet permet d’embraser une vue superbe sur la vallée et Unzen mais aussi de voir le bout de la péninsule de Shimabara au Sud et le reste de la préfecture de Nagasaki à l’Ouest. Je redescends tranquillement vers le village à travers une grande forêt de conifères. En attendant le bus, je fais le tour du grand lac Oshidori-no-Ike pour tomber sur un petit sanctuaire dédié à Daikokuten (divinité japonaise de la richesse, du commerce et des échanges) dont le visage est taillé dans la pierre.

Le lendemain, le soleil à cédé sa place à la pluie. Mon planning de la journée consistait à faire une randonnée dans les montagnes du Mont Unzen. Optimiste, je prends de nouveau le bus en espérant que la pluie s’arrêtera le temps que j’arrive. Hélas, ma prière n’a pas été entendu. J’attaque la première partie de ma randonnée sous une pluie battante. À moins de prendre un taxi (trop cher), il faut rejoindre le col de Nita (là où se trouve un téléphérique) en montant dans la forêt pendant une heure. La brume fait également son apparition. Arrivée au col, la pluie se transforme en neige et la brume m’empêche de voir à plus de 50 mètres. Maintenant que je suis là, je ne vais pas faire demi-tour. J’achète un ticket pour le téléphérique qui m’amène en trois minutes 300 mètres plus haut. Le staff de la station m’avertit que j’ai pris le dernier téléphérique. Il ferme à cause du mauvais temps. Je vais donc être obligée de redescendre à pied (ce que j’avais de toute façon prévu). Un peu inquiets, ils me regardent partir en me criant « Kiotsukete » (que l’on peut traduire par “Faites attention à vous”). En sortant de la station, je me retrouve dans un autre monde. La tempête de neige fait rage, tout est recouvert de blanc et la brume et le vent sont tellement forts que l’on ne voit rien au delà de cinq mètres. Me demandant un peu dans quoi je me suis embarquée, je continue malgré tout. Le sentier minuscule longe la crête sous les bourrasque de neige. À part le bruit du vent, le monde est entièrement silencieux. À vrai dire, le monde parait même avoir disparu. En dehors de mon bout de crête, je ne vois rien à part une masse grise. Les couleurs ont disparu. C’est un monde en nuances de gris et de blancs qui se présente à moi. Les lieux se découvrent, fantomatiques, à mesure que j’avance. Un peu déçue de ne pouvoir rien voir de l’environnement, je me console en regardant la neige transformer les arbres en squelettes blancs. L’atmopshère parait surréelle. J’abandonne mon idée d’aller faire l’ascension des différents pics et du cratère (beaucoup trop dangereux, vu le temps) pour ne faire qu’une ballade tranquille qui me prendra deux heures le temps de revenir à la station de la base du téléphérique. Je mange à toute vitesse en essayant de m’abriter de la neige puis je redescends par le même chemin qu’à l’allée pour retourner à l’arrêt de bus. À mesure que je descends, la neige se transforme en pluie et la brume se dissipe légèrement (c’est plutôt que je descends sous la brume, donc forcément on y voit un peu mieux). Grelottant de froid, c’est avec bonheur que je monte dans le bus pour Shimabara.

Kagoshima, la douce

Je passe mon 1er Janvier 2016 dans les transports pour rejoindre Kagoshima. Ferry de Shimabara au port de Kumamoto. Bus pour rejoindre le centre de Kumamoto puis bus de nouveau pour rejoindre Kagoshima en quatre heures. Située tout au sud de Kyûshû, Kagoshima est une grande métropole s’étendant en bordure de la baie de Kinko à l’ombre du très actif volcan Sakurajima, vieux de 13000 ans. La ville et le volcan sont situés dans la gigantesque caldera d’Aira créée il y a environ 22000 ans suite à une éruption monstrueuse. Le Sakurajima est l’un des volcans le plus actif du Japon avec en moyenne 500 explosions par an (principalement des rejets de cendres) ! Kagoshima fut la capitale du Clan Satsuma.

“Le Domaine de Satsuma (薩摩藩, Satsuma Han) était l’un des domaines féodaux les plus puissants du Japon des Tokugawa, qui a joué un rôle important pendant la restauration de Meiji et dans le gouvernement qui a suivi. Commandé tout au long de l’époque d’Edo par le tozama daimyo du clan Shimazu, son territoire enjambait les provinces de Satsuma, d’Osumi et du sud-ouest de Hyūga sur l’île de Kyūshū, et avait le royaume de Ryūkyū (NB : Le îles d’Okinawa) comme vassal. Le territoire est en grande partie contigu avec l’actuelle préfecture de Kagoshima, et des parties de la préfecture de Miyazaki.Officiellement appelé Kagoshima han, le domaine était gouverné à partir du château de Kagoshima.” – Wikipédia

Ce fut également à Kagoshima que débarqua le saint François Xavier le 15 Août 1549 et qui introduisit le Christianisme au Japon. Je passe les deux jours suivants à me relaxer et à balader dans Kagoshima. Le temps alterne entre pluie et grand soleil. J’en profite également pour aller voir Star Wars : Le Réveil de la Force (en version originale sous-titrée japonais). La ville est pas mal animée notamment le dimanche au niveau du sanctuaire Terukuni, rempli de monde venu effectuer la traditionnel prière de début d’année.

“Il est coutume le 1er janvier, souvent dès minuit à la suite de l’ōmisoka, de se rendre au sanctuaire shinto, ou au temple bouddhiste, pour le hatsumōde (初詣), première visite au temple. On y boit le toso (屠蘇), premier saké de l’année, préparé avec des herbes médicinales et censé garantir bonne santé pour l’année et servi dans des coupelles laquées. On se rend aussi au temple pour prier et pour tirer les prédictions (お神籤omikuji) de la nouvelle année.” – Wikipédia

Je visite le Musée de la Restauration de Meiji, retraçant l’époque pleine de changements politiques et économiques que fut la fin de l’ère d’Edo (fin du 18ème siècle) et le début du 19ème siècle avec l’entrée dans l’ère Meiji. Le renversement du shogunat Tokugawa qui maintenait le pays dans un isolement volontaire (appelé Sakoku) depuis 1641 et le recouvrement des pouvoirs de l’Empereur bouleversèrent la structure sociale et économique du Japon et le transformèrent en grande puissance. Le musée raconte également l’histoire de Saigō Takamori, samouraï et homme politique du Clan Satsuma qui se rebella contre le shogunat (et son propre daimyo) et participa à la fameuse Rébellion de Satsuma. Je me balade également sur la colline Shiroyama proposant un joli point de vue sur Kagoshima et le Sakurajima ainsi que dans les quartiers Iso et Kanmachi plus excentrés et en bord de mer. L’atmosphère est vraiment paisible et la végétation évoque de plus en plus le Sud tropical.

Petit bout de paradis à Sakurajima

Le lundi 4 janvier, je prends le ferry pour traverser la baie de Kinko en une quinzaine de minutes afin d’aller me balader sur l’île du Sakurajima. Le volcan est formé de trois sommets : le Kitadake (1117 mètres d’altitude) au nord, le Nakadake (1080 mètres d’altitude) au centre et le Minamidake (1040 mètres d’altitude) au sud. Quelques baraques sont réparties le long du minuscule port. Des cagettes contenant de minuscules mandarines (spécialités de Sakurajima) sont disposées un peu partout en vente libre sans personne pour les surveiller. 100 yens le sachet de cinq mandarines (moins d’un euro). Je fais mon choix et glisse une piécette de 100 yens dans la petite tirelire. 

Je longe le littoral de l’île par un petit sentier parfaitement tranquille au milieu de petits conifères et de grandes herbes jaunes. Il fait chaud. À part quelques pêcheurs et trois aigles faisant des acrobaties dans les airs je ne croise personne. Je passe par le point de vue de Karasujima, endroit où une coulée de lave en 1914 a englouti une petite île de 500 mètres au large avant d’aller voir le parc Akamizu où se situe une étrange sculpture à la mémoire du “Sakurajima all-night concert” ayant eu lieu sur l’île en 2004 et ayant attiré 75000 personnes. Réalisée par un sculpteur local Tsuyoshi Nagabuchi, la sculpture intitulée “Portrait of a Scream” fait curieusement penser à un espèce de Stonehenge ultra contemporain.

Je prends ensuite le bus pour aller voir l’Observatoire de la lave d’Arimura, situé en hauteur au pied des pics et des anciennes coulées de lave. J’avais prévu d’aller faire une randonnée dans la montagne, mais il est interdit de s’approcher à plus de 2 km ! Finalement assez compréhensible vue l’instabilité du volcan. Je me contente donc de redescendre au port en longeant à pied la petite route serpentant à travers la forêt. Le gargouillis des oiseaux accompagne ma descente tranquille. Je découvre quelques plantations et serres où poussent les fameuses minuscules mandarines. Les lieux paraissent légèrement à l’abandon, mélange de vieilles baraques et d’outils de la vie de tous les jours doucement engloutis par la nature.

De retour au port, je reprends le ferry qui me ramène à Kagoshima de l’autre coté de la baie sous un ciel de fin de journée. La lumière transforme le paysage en un ensemble magnifique de dégradés de nuances grises et orangées. J’aperçois également pendant quelques minutes très rapides, un groupe de dauphins venus dire bonjour à la surface à coté du ferry. Le spectacle est très court mais me procure un sentiment d’extase absolue !

Demain, mardi 5 Janvier, j’attaque une nouvelle partie de mon voyage puisque je me lance à l’assaut des îles du Sud-Ouest (chapelet d’îles semi-tropicales), en commençant par les îles situées les plus au nord et faisant parties de la préfecture de Kagoshima : Yakushima (abritant des forêts millénaires) et Tanegashima (où se trouve le centre spatial de la JAXA). Mon voyage sur Kyûshû est fini. Ce fut un très joli mois (malgré le mauvais temps assez présent), plein de découvertes et de rencontres.

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