Mi-Novembre, le beau temps a fini par disparaître et une vague de mauvais temps s’est abattue sur nous pendant presque deux semaines. Le changement a été brutal et mon moral a encaissé le choc avec difficulté. Après un mois au soleil, un mois de beauté et de sensation de vacances, c’était fini. Le village si joli s’est teinté de gris et les rues se sont vidées, arpentées seulement par quelques touristes irréductibles.
À cela s’est ajouté une augmentation de la charge de travail au restaurant et une certaine difficulté à m’accommoder de certains membres de l’équipe. Alors que le travail durant le mois d’Octobre m’avait semblé relativement facile, Novembre a révélé les nombreux problèmes de gestion et de management auxquels Le Vista (le restaurant de l’Alpina où je travaille) fait face. L’équipe est en sous-effectif et est surtout inexpérimentée. La grande majorité du staff (comme moi, d’ailleurs) ne vient pas d’écoles d’hôtellerie et de tourisme et a appris le travail sur le tas. Dans un restaurant organisé et rodé, avec une équipe un peu près stable, avoir quelques membres du staff sans beaucoup d’expérience ne pose pas beaucoup de problèmes. Mais au Vista, de part la complexité de l’organisation, cela se révèle être un gros frein à la bonne gestion du restaurant.
La grande majorité du staff est très jeune, dans la vingtaine. Ils sont jeunes, stupides comme on l’est tous plus ou moins à cet âge là et sont surtout intéressés par ce qu’il se passe en dehors du travail (les soirées et la drague). Entre ceux qui arrivent avec la gueule de bois, ceux qui sont en retard, ceux qui sont malades et ceux qui ne viennent pas du tout, je commence à me rendre compte que si je veux que le travail soit fait, et bien fait, il va falloir que je le fasse moi-même. Alors je mets les bouchées doubles et mes heures supplémentaires triplent en l’espace de quelques semaines. J’ai l’impression de passer ma vie au restaurant.
Le restaurant en lui-même est mal conçu. Il est très beau, entièrement rénové, comme l’hôtel, il y a quelques années et se situe au septième étage de l’hôtel. Il possède une immense baie vitrée et la vue sur le Mont-Blanc est superbe. Avec ses jolis sièges colorés, son décor en bois et son bar en cercle au milieu, le lieu est impressionnant. Le restaurant peut accueillir plus de 300 personnes et nous alternons entre service à la carte et buffets (lors des séminaires). Mais la rénovation n’est toujours pas finie (de multiples détails pas finis apparents) ou n’a jamais été fini. Et surtout, le lieu n’a absolument pas été pensé pour être fonctionnel. C’est beau mais impraticable. Les cuisines et l’arrière-salle n’ont pas été refaites et sont très vieilles et mal aménagées. Le lieu est tellement grand qu’il faut un temps infini pour se déplacer entre les tables, accéder à la cuisine ou amener les plats de la cuisine à la table du client. Et le comble, très peu d’espaces en salle ont été pensé pour être des espaces de rangements et de stockage du matériel (verres, assiettes, couverts, menus, etc). La grande majorité du matériel se trouve donc dans l’arrière-salle rendant le service lent et inefficace.
Mon orchidée a perdu toutes ses fleurs. J’ai l’impression de m’y voir comme dans un reflet. Les semaines de Novembre sont longues et fatigantes et j’ai doucement l’impression de me vider de mon énergie sans réussir à récupérer. La vie à Beaulieu, où le staff est hébergé est bruyante et j’ai un peu de mal à dormir la nuit. Fatiguée, j’ai laissé quelques mots et réflexions de la part de certains membres de l’équipe me toucher et certaines situations sans queue ni tête (toujours être poussé à faire plus avec peu de moyens) se sont frayés un chemin dans mon coeur. Un léger sentiment de dépression plane au dessus de moi. Avec le mauvais temps je n’ai pas été capable de reprendre la randonnée et l’arrivée de l’hiver est en train d’effacer la possibilité de se balader en pleine nature. J’ai un peu l’impression d’être en cage.
Hiver sur Chamonix et la vallée.
Fin Novembre, je me suis plongée dans la refonte du design de mon site. Pour échapper à ce sentiment de vide et d’incompréhension qui semble doucement m’avaler. Pour essayer de me changer les idées face aux difficultés du travail. Pour oublier que je cours en permanence, repasse systématiquement derrière mes commis car ils font mal leur travail, assure le service quasiment à moi toute seule, m’excuse en permanence auprès des clients à cause de la nourriture qui n’est pas bonne ou les plats qui sont froids et fais l’assistante sociale plutôt que mon travail d’assistante Maître d’Hôtel.
Alors je me plonge dans quelque chose que j’aime et qui me motive. C’est aussi un bon moyen de faire le calme dans ma tête et me ressourcer loin des gens et de leurs problèmes permanents. À être constamment au contact des autres, j’en viens à désirer être seule. Seule en pleine nature, au silence. Juste moi et les éléments. Vivre avec les autres, c’est compliqué. Surtout pour moi qui suit apparemment quelqu’un de solitaire. Les autres sont une source de joie et d’échanges mais aussi une source de déception et d’incompréhension. J’ai bien du mal à me sentir en accord avec les comportement si éloignés de moi de la grande partie du personnel. C’est probablement la différence d’âge. Mais aussi je pense une façon de vivre et de voir le monde. Alors je les laisse entre eux et accueille la solitude et sa simplicité avec plaisir.
La neige a finalement commencé à tomber sur Chamonix et la vallée du Mont-Blanc. Depuis environ deux semaines, nous sommes entourés de blanc. C’est mi-Décembre et l’hiver est arrivé. Les stations de ski des environs ont ouvert il y a quelques jours et les touristes portant des ski / snowboard sont de plus en plus présents dans les rues du village.
Avec quelques membres de l’équipe, je suis allée skier. À Courmayeur, en Italie. De l’autre coté du tunnel du Mont-Blanc. Curieusement coté Italien, il y a plus de neige et la station de Courmayeur a ouvert une semaine avant les stations françaises. Les pistes de ski étaient encore calmes, la grande majorité des touristes n’étant pas encore arrivé. Ce fut une journée paisible et magnifique avec des vues superbes et du plaisir sur les pistes et qui s’est terminée par la traditionnelle pizza italienne.
Noël est dans moins d’une semaine. J’ai dû mal à y croire. Déjà. Cela me fait réaliser que malgré la légère dépression, la fatigue et les difficultés au travail, le temps passe très vite. Je me sens un peu mieux maintenant comparé à quelques semaines auparavant. Je me suis mise au yoga et j’ai repris la méditation. J’essaye de me concentrer sur le bien-être et à apprendre à vivre malgré les difficultés. Après presque trois mois ici, à Chamonix, j’ai sondé mon coeur et j’ai réalisé que malgré tout je suis heureuse. Contente d’être ici. Et décidé à persévérer. Pour beaucoup des emplois que j’ai fait lors de mes voyages, au bout de deux mois, la seule chose que je voulais, c’était partir. Mais pas avec celui-ci. Ici, j’ai décidé de me battre et de réussir à surmonter les difficultés du Vista. On va bien voir ce que cela va donner.
Est-ce que ce changement de mentalité veut-il dire que je commence à voir le monde différemment ? Que je commence à abandonner les sentiments difficiles et douloureux et à me concentrer sur le bien-être et la réalité ? Est-ce que je commence à progresser sur le chemin de la pleine conscience ? J’ai l’impression de voir le chemin vers l’avenir de plus en plus clairement et malgré les pièges, illusions et brouillard, je m’essaye du mieux que possible à rester sur sa trace.
Je suis fatiguée de toujours me sentir déprimée, triste puis heureuse, prête à conquérir le monde pour être ensuite frappée par des pensées sombres, avant de ressentir une bouffée de bonheur. Cela n’arrête jamais ! Les montagnes russes des émotions. C’est fatiguant et je veux apprendre à simplifier tout cela. Alors je vais suivre le chemin. Le chemin vers le vrai bien-être. Le chemin qui va m’apprendre à devenir un roc de calme, de paix, de conscience quelles que soient les difficultés de la vie.
En bas à droite, le domaine skiable des Houches.