J’ouvre les yeux sur les lattes en bois du plafond. La lumière pâle du matin s’insinue faiblement à travers le rideau de la fenêtre-porte. La pluie s’est calmé. Le ciel est toujours menaçant mais des éclaircies de plus en plus présentes semblent définitivement repousser le mauvais temps. Je regarde les arc en ciel défiler sur les montagnes depuis mon petit trou de hobbit. La nuit de sommeil à l’abri m’a fait du bien mais je me sens étrangement lasse. Au loin l’obscure vallée de Glencoe s’étale dans le paysage. Elle semble bien mériter son nom de vallée de la Mort (en référence au mauvais temps dont la vallée semble être un aimant mais aussi en référence aux nombreuses batailles entre clans ayant eut lieu auparavant).
J’attends la fin de la mâtinée et je m’arrache de mon immobilisme pour reprendre la marche. Quelques gouttes encore et le soleil apparait baignant le paysage mouillé de ses rayons chauds. Je marche dans la lande désolée entourée de montagnes aux formes impressionnantes. Le lieu est magnétique, magnifique mais difficile à prendre en photo. Comment faire rentrer dans le cadre la beauté désolée de l’endroit et la forme si étrange des vallées entre chaque montagnes ? Une des vallées semble former une courbe parfaite entre deux montagnes. Un angle dessiné sans hésitations, sans tremblements. Contrairement à hier, je me sens bien. Ou du moins, mieux. Le poids du sac ne se fait pas trop sentir. Et c’est peut être l’apparition du soleil bien qu’encore faible qui me remonte le moral. Après presque quatre jours de pluie, le soleil agit comme un baume sur mon esprit. Le chemin zigzague tranquillement à travers la moor et à part une étrange partie à la limite de la grande route, c’est un plaisir. Le sentier finit par tourner et j’entame l’ascension du Devil Staircase, pas aussi dur que son nom pourrait le faire penser et atteins facilement le col le plus haut de la randonnée à 550 mètres de hauteur. D’un coté la vallée de Glencoe, de l’autre la chaîne de montagnes des Mamores.
Je profite du soleil pour manger un morceau un peu en contrebas, l’esprit apaisé. C’est mon avant-dernier jour de marche. Et c’est un de ceux que je préfère. Cela fait sept jours que je marche. C’est la première fois que je marche aussi longtemps. J’ai du mal à croire qu’une semaine est déjà passée. Une phrase qu’un des randonneurs croisés quelques jours auparavant me revient à l’esprit : « after all, this is a walking holiday »*. Oui, je suis là pour apprécier et profiter. Pas pour en faire une épreuve. En se confrontant physiquement et mentalement mais sans oublier d’y prendre plaisir !
La descente vers Kinlochleven de l’autre coté est un peu longue. Il me faut redescendre 600m d’un coup. Le soleil est là, il fait chaud et humide. Le dernier kilomètre longe un gros pipeline qui alimente une petite station électrique au centre du village. Rien de bien spécial à Kinlochleven à part peut-être les maisons curieusement identiques. Ancien village ouvrier, Kinlochleven ne vit aujourd’hui que du tourisme. Il fait beau et j’installe ma tente dans un minuscule camping très cher mais en bordure du lac. Un vrai sentiment de vacances semble s’emparer de moi. Je ne sais pas si c’est la soirée au soleil ou le fait que demain est le dernier jour de la randonnée mais je suis heureuse. Le soleil disparait bien trop rapidement à mon goût derrière les montagnes laissant la place à des nuées de midges. Dans le petit camping, des dizaines d’oiseaux entament un concert pour saluer la fin du jour. Je me demande encore pourquoi je marche. Qu’est ce qui me pousse à mettre un pied devant l’autre malgré la difficulté ? Et pourquoi j’ai choisi de partir en randonnée pour mes vacances ? En tout cas je n’imagine pas faire autre chose. Malgré la difficultés et les doutes, je sens au fond de moi que je suis au bon endroit. J’écrase les nombreuses midges qui ont eu l’audace ou la malchance de s’infiltrer dans ma tente. Elles font mal ces saloperies mais elles ne sont pas rapides. Facile à zigouiller d’une seule pression du pouce. Le problème c’est qu’elles sont en train de salir les parois de la tente. Il y des cadavres de midges un peu partout maintenant. Mais c’est ça ou être bouffer à mort. Alors je n’hésite pas.
* « Après tout, ce sont des vacances à pied »
La campagne Écossaise.
La vallée de Glencoe à gauche et le lac de Kinlochleven à droite.
Le cui cui des oiseaux me tire de mon sommeil. Il fait un temps magnifique mais le beau temps est éphémère. Une grosse masse nuageuse recouvre rapidement Kinlochleven. C’est le dernier jour de marche. Alors je pars. Je pars vers la fin du chemin avec une espèce d’allégresse dans le coeur. J’ai du mal à croire que cela fait une semaine que je marche et qu’aujourd’hui c’est la fin. Sans m’en rendre compte le temps a filé. Il y a quelques jours, ou bien était-ce quelques minutes ?, je me demandais si j’allais être capable de le faire. Et me voilà en vue de la ligne d’arrivée. Le temps fluctue au rythme de mes émotions et humeurs. Une petite mais rude montée pour bien commencer la matinée m’emmène à 300 mètres dans la vallée sauvage au dessus de Kinlochleven. Quelques gouttes s’échappent d’un nuage un peu trop rempli et viennent s’abattre sur moi me laissant penser que je vais de nouveau être mouillée. Mais le vent aidant, les nuages passent doucement et le soleil réapparait. La traversée de la vallée est très agréable. Le chemin sillonne à travers le plateau entouré de montagnes vertes et désolées. Le coin fait très sauvage si ce n’est la file de randonneurs effectuant le WHW. Un groupe me dépasse (ou je dépasse un groupe), quasiment toutes les cinq minutes. Vers 14h, je suis dépassée par les premiers coureurs du marathon WHW qui a lieu ce weekend ! Je l’apprendrais plus tard mais le premier coureur qui m’a dépassé est celui qui a gagné avec un temps d’environ de treize heures. Treize heures pour faire le chemin ! Alors qu’il m’aura fallu huit jours pour le faire !
Je traverse les vallées me rapprochant de Fort William. Ben Nevis, la montagne la plus haute du Royaume-Uni apparait au loin, son sommet dans les nuages. Je distingue le sentier faisant l’ascension. Je pensais y monter demain mais j’hésite un peu maintenant. La fatigue des jours de marche accumulés se fait sentir. Le paysage verdoyant change pour une forêt de sapins décapitée. Des restes de troncs dont la coupe est plus ou moins récente garnissent le paysage rendant les lieux tristes et désolés. Malgré le fait que la région de Ben Nevis soit un monument du tourisme et que le WHW passe juste au milieu de la forêt, une exploitation forestière privée a jugé bon de détruire le paysage. Ça n’est d’ailleurs pas le seul endroit d’Écosse. Beaucoup des forêts de sapins sont en fait des exploitation forestières laissant de nombreux paysages dévastés. La fin du chemin pour rejoindre Glen Nevis où se trouve le camping se fait au milieu du paysage désolé rendant la fin de la journée un peu morose.
J’arrive au camping sous un temps magnifique et presque trop chaud. Quelques vaches de la race Highland paissent dans un près. Les premières que je vois d’ailleurs. Elles ont toutes une frange très longue leur recouvrant les yeux et je me demande comment elles font pour voir. La fin du trajet officiel se trouve à Fort William, quelques quatre kilomètres plus loin mais j’ai décidé de finir ici au pied de Glen Nevis. Au camping je retrouve plusieurs des randonneurs que j’ai croisé tout au long de la semaine. Tout le monde à l’air d’être content d’être arrivé. Le camping est une véritable ville comparé à ceux que j’ai côtoyé pendant la semaine. Beaucoup de monde. L’atmosphère est un peu bizarre ou c’est moi qui est l’impression d’être en décalage peut-être. Je décide de me faire plaisir et opte pour un hot dog & onion with chips pour le diner, ce qui se révèlera être une mauvaise idée. La saucisse est immangeable. Mieux vaut s’en tenir au fish & chips de base. La soirée sera courte, l’appel du sommeil se faisant sentir rapidement.
Vue sur Ben Nevis et arrivée dans la vallée de Glen Nevis.
Le lendemain, je rejoins Ben Nevis Bunkouse à seulement dix minutes à pied du camping où j’ai réservé deux nuits. Deux jours de repos. Je dépose mon sac puis pars faire une balade aux alentours. J’ai abandonné l’idée de faire l’ascension de Ben Nevis et j’opte pour Cow Hill Summit à seulement 260 mètres de hauteur. Sur le chemin de croise Alfa, un canadien avec qui j’avais un peu parlé hier, lui aussi finissant le WHW. Il m’accompagne quelques minutes et on discute de nos retours respectifs sur le trek évoquant le poids lourd de nos sacs. Une dernière rencontre sympathique pour clore mon aventure sur le West Highland Way. Nous nous séparons et je monte sur la petite colline pour avoir un joli point de vue sur Fort William et le Loch Linnhe en dessous. Il fait chaud et humide et j’ai un peu de mal à monter malgré que je ne sois pas chargée. La vue d’en haut est jolie mais l’aspect un peu industriel de la ville gâche un peu le paysage. Je redescends et m’en retourne à la bunkhouse pour une soirée tranquille.
La bunkhouse est un dortoir très rustique qui servait autrefois à héberger les soldats de passage. Des lits superposés, deux toilettes, deux douches, une petite cuisine, et c’est tout. Très simple. Je discute avec un groupe d’Écossais ayant fait le WHW marathon et me retire pour la nuit.
Le lendemain, la pluie est de retour et j’en profite pour me reposer, préparer la suite du voyage et travailler sur mes articles. Pas grand monde, la journée est calme. Malgré un temps relativement pluvieux, randonner sur le West Highland Way fut une belle expérience. Ce ne fut pas ce à quoi je m’attendais, sans être une déception bien au contraire. L’aspect sauvage et inhospitalier de certaines régions accentué par le mauvais temps m’ont laissé une impression de grisaille contre-balancée par des moments de soleil rendant le paysage merveilleux. Mais je dois me rendre à l’évidence, cela fut plus difficile que je l’imaginais. Porter un sac de quinze kilos sur le dos pendant une semaine m’a confronté à mes limites physiques et mentales et de nombreuses questions concernant mon rapport à la marche, à l’effort, à mes attentes et mes objectifs ont tourné en boucle dans mon esprit. Et pourtant, alors que je me repose là, au pied de Ben Nevis, je me rends compte que marcher seule pendant une semaine m’a fait beaucoup de bien.
Alors je décide de continuer. De continuer à marcher et à explorer les paysages de l’Écosse. J’ai quatre semaines devant moi. Un petit mois pour continuer à apprendre. Le chapelet d’îles à l’Ouest de l’Écosse m’attire énormément. Ce sont les Outer Hebrides, les Hébrides Extérieures. C’est là que se trouve l’Hebridean Way, un autre chemin de randonnée d’une quinzaine de jours à travers l’archipel. Un peu plus sauvage et moins fréquenté, l’endroit me paraît être l’étape suivante parfaite. Alors je planifie rapidement le ferry et le chemin et m’endors la tête remplie de grands espaces et petits sentiers.
Fort William et sa baie.