La fin de l’année est arrivée. 2018 s’est achevé et 2019 a commencé et j’ai fait face à un début d’année bien difficile. La neige a engloutie la vallée et les touristes ont débarqué en masse quelques jours avant Noël. Au restaurant le rythme s’est encore accéléré afin d’essayer de faire face à la proportion toujours plus importante de clients. La veille de Noël, un nouveau Maître d’hôtel est arrivé. Cela faisait deux mois que l’on travaillait sans responsable. J’ai accueilli son arrivée avec soulagement espérant que sa présence allait peut-être me permettre de me délester de la charge immense de travail et de résoudre certains problèmes. Mais mon soulagement fut de courte durée.
La soirée de Noël fut un désastre. Nous avons fait salle comble. Plus de 300 couverts dans une salle immense avec une équipe de six en salle et cinq en cuisine. Avec un menu de presque 100 euros proposant six plats. Forcément il y a eut des ratés. Les plats sont sortis froids ou dans le mauvais ordre, le service des boissons fut très lents, plusieurs des membres du staff ont lâché en plein service… Bref, ce fut un des pires services de mon séjour. La moitié des clients sont repartis mécontents et plusieurs m’ont presque craché méchamment dessus que nous leur avions gâché leur Noël. J’ai eu du mal à faire face et je suis rentrée à une heure du matin complètement lessivée dans ma petite chambre, le moral dans les chaussettes. Joyeux Noël, Claire.
La semaine entre Noël et Nouvel An a fini d’achever mes dernières résistances. Heureusement la soirée du Nouvel An fut moins catastrophique que Noël mais j’ai commencé la nouvelle année passablement fatiguée et extrêmement déçue. Une petite voix que j’essayer vainement d’ignorer se faisait de plus en plus forte. Une petite voix qui me murmurait que j’avais fait une erreur en quittant l’Australie et que j’aurais du persévérer. Avec le mauvais temps, la fatigue, l’irritation grandissante de l’équipe, j’avais de plus en plus de mal à trouver la force de relativiser et même de profiter de mes jours de repos. Je me sentais impuissante, incapable et j’avais abandonné la méditation et le yoga depuis longtemps. Ma vie se résumait à se trainer hors du lit le matin, courir et rattraper les erreurs permanentes des autres membres du staff, m’affaler sur mon lit lors de ma pause et me trainer de nouveau pour le service du soir priant pour que cela se passe sans trop de problèmes. Du point de vue mental c’était la catastrophe. Du point de vue financier, c’était le jackpot. Je faisais quasiment trois à quatre heures de travail supplémentaires par jour et mon salaire allait donc être doublé voir triplé lors de ma dernière paie en Avril.
Une petite accalmie pendant les deux dernières semaines de Janvier m’a permis de respirer un peu et j’ai cru que j’allais mieux. J’ai cru que j’allais m’en sortir. Réussir à laisser derrière moi ce sentiment de malaise, cette impression permanente d’échec. Mais la vie suit son propre courant. Et les dernières résistances qui retenaient l’épée de Damoclès suspendue au dessus de ma tête depuis plusieurs années se sont brisées. les vacances de Février sont arrivées et le rythme a de nouveau doublé pendant quatre semaines. Ce fut trop pour moi et j’ai eu l’impression de tomber dans un trou noir. La vie était sombre, ma créativité éteinte, ma motivation enfuie, mon corps malade. Abandonnée à la dépression. J’ai passée deux mois sans envie de rien. Sans envie de plus rien. Je n’arrivais plus à me changer les idées, à prendre du recul, à lâcher prise. Je ne voyais plus que les problèmes sans queue ni tête et permanents de la gestion du restaurant et j’étais incapable de changer de point de vue. Toutes mes erreurs, tous mes échecs de mes années précédentes, toutes mes tristesses et déceptions ont explosé dans mon coeur et la vague de dépression que j’essayais de retenir s’est déversée comme un tsunami dans mon esprit. C’était fini, je n’en pouvais plus.
L’hôtel Alpina et la vallée couverte par une mer de nuages.
Février et Mars furent longs et difficiles. Je n’en garde pas beaucoup de souvenirs à part une image floue de répétition permanente. J’ai cru que j’allais démissionner. Mais je ne l’ai pas fait. Venir travailler à l’hôtel Alpina à Chamonix était une bonne décision. Tout en étant une mauvaise décision. En Octobre dernier lorsque j’ai commencé je me suis rapidement rendue compte que le lieu ne serait pas l’expérience que j’avais souhaité. Organisation catastrophique, équipe trop petite et inexpérimentée, ambiance de travail toxique, valeurs de l’entreprise en désaccord avec les miennes, rythme de travail ne me convenant pas, etc. Mais je suis restée. Je suis restée pour me battre contre la petite voix dans ma tête qui me soufflait que je m’étais trompée en quittant l’Australie. Je suis restée pour me battre, pour accomplir mes sept mois de travail, pour profiter de Chamonix Mont-Blanc, pour essayer de grandir et de changer. Cela était-il naif ? Aurais-je du partir et recommencer ailleurs ? Je suis incapable de le dire. Le résultat de la leçon ne se fera savoir que dans le futur. Dans quelques mois je serais capable de dire si mon expérience de travail au sein du Vista fut enrichissante ou non. Pour l’instant j’essaye difficilement de faire face à la dépression.
J’ai commencé écrire. À écrire sur ma dépression. À essayer de la comprendre. Je ne suis pas une experte, loin de là. Mais je pense que j’ai compris certaines choses. Notamment sur moi et mes envies. Et sur la voie que je veux suivre. Apparemment il faut souffrir pour s’en sortir. Cela fait dix ans que je souffre (doutes, problèmes personnels et familiaux, mauvaises habitudes, angoisse par rapport au futur, etc), il est temps que je m’en sorte. Je veux m’en sortir. Il faut que je me remue et me dégage de tous ces poids morts qui me retiennent ! Pourquoi est il si difficile de changer ? De se changer ? Pourquoi l’égo tient il si ardemment à toutes ces habitudes toxiques ? Pourquoi suis-je comme je suis ?
Alors voila. Dans la souffrance est né quelque chose. Vers la mi-Mars, à force de réfléchir sur mon avenir, ma dépression et mon projet Peregrinus Mundi, sur ce que je voulais faire de tout ça, à force de me sentir au fond du fond, à force de m’accommoder de la douleur, j’ai vu apparaître une petite lueur. D’un seul coup je suis tombée sur une idée. Une idée là si belle, si simple qui semblait m’attendre. Une idée qui, peut-être, avait toujours était là. Mais que je n’avais jamais vu. Et la créativité est revenue avec un élan de motivation. J’ai entièrement repensé mon site web Peregrinus Mundi pour en faire autre chose qu’un simple blog. Pour en faire un support créatif. Un lieu de récits et de créations. Un mémoire de ma vie, pour raconter ma vie sous forme d’histoires et présenter mes créations. Un support vers le changement, l’avenir et toutes les possibilités qui me sont offertes. Je n’ai qu’à ouvrir les yeux et me dégager de mes chaînes.
Malgré la difficulté de cette période dépressive, je pense aujourd’hui que ce fut la meilleure chose qui ai pu m’arriver. Venir travailler à l’Alpina n’avait peut-être pas pour but de me faire persévérer dans la restauration. Le but était peut-être de me faire comprendre mes besoins et de me mettre enfin sur la voie que je poursuis inconsciemment depuis cinq-six ans. Une voie centrée sur le bien-être, la créativité et le contact avec la nature. Un retour à la simplicité et à la tranquillité. Une nécessité de changements. Ou bien atteindre le but n’a pas d’importance. Et seules les pérégrinations du chemin ont de l’intérêt. Qui peut savoir…
La vallée de Chamonix enneigée en plein hiver.