Mois d’Avril.
Apogée de l’énergie croissante au printemps.
Fête de la vitalité et de l’union.
Célébration de Beltaine le 22 Avril.
> Akébia en fleurs dans la Forêt-Jardin des Alvéoles – Claire
> Claire
Le Mistral me souffle dans le cou. Il fait un ciel tout gris et quelques gouttelettes de pluie tachent la feuille sur laquelle j’essaye de noter des indications. Je marche à travers la parcelle numérotée 2.6 à la découverte du terrain. Autour de moi dans d’autres parcelles, mes collègues de formation Conseiller·ère en Design de Permaculture font de même. Nous sommes un après-midi de début Avril en session de cartographie des parcelles agricoles de la ferme agroécologique des Amanins.
Je marche à travers la prairie en l’observant. J’arpente avec mon corps cet espace pour le comprendre. Mon regard balaie avec douceur les courbes du terrain saisissant les détails et les ressemblances. Je découvre avec sensibilité, avec mon ressenti corporel, les différents éléments qui composent ce corps autre. Ce corps terrestre. Comme lorsque que je découvre un autre corps humain, que j’effleure de mes mains les courbes d’un dos nu ou les lignes d’un visage, je regarde cette terre comme un corps en pulsation, vivant, qui se comprend avec ressenti, bien au delà du simple paysage. Je suis sur ce corps terrestre et je cherche à faire alliance avec elle. Me fondre en elle. Ressentir que mon corps fait parti du corps-planète, du même organisme. Être consciente d’être reliée à un Grand Tout.
Bien au delà d’une simple observation, il s’agit d’une rencontre. De retrouvailles avec un éco-système dont je fais partie. D’une reconnexion à une part de moi. Sauvage, mouvante, organique, sacrée. Pour retrouver ce qui fait sens. Dans la folie d’un monde qui court trop vite, pris dans la machine infernale de devoir faire toujours plus, il n’y a plus de place pour le soin, pour la connexion, pour l’essentiel. Il n’y a plus de place pour faire alliance avec le corps terrestre, avec moi au centre de toi. Mais je n’ai pas envie de ça. Je n’en ai plus envie. Pas ici. Pas cette année. J’ai envie d’écouter mon instinct, ma joie intérieure, ma pulsation de vie, de me laisser guider par la part de moi qui sait ce qui fait sens, qui veut se fondre dans le corps-planète, pour se transformer en un être mi-humaine mi-prairie-forêt-rivière-montagne-chouette-castor-libellule-santoline-akébia et nuages qui défilent dans le ciel. Je pense au livre que je suis en train de lire : « Banzeiro Okoto, l’Amazonie, le centre du monde » écrit par Eliane Brum. Un cri puissant pour la reconnexion au Vivant qui sort du corps d’une femme devenue forêt. Au sein de chacune de ces prairies que nous observons se trouve le centre du Monde, le centre de tout. Au sein de ces prairies se trouve notre corps sauvage qui pulse, encore en vie.
> Extrait de « Banzeiro Okoto, l’Amazonie, le centre du monde » de Eliane Brum
> Tentaculoutre
Nous avons planté hier, 21 avril, des arbustes dans la forêt-jardin. Pour densifier les anneaux, un peu keyhole garden.
Je suis novice dans le champ sémantique de la permaculture qui se nourrit beaucoup de néologismes anglophones, j’ai l’impression.
J’ignore encore si c’est par volonté transnationale d’un référentiel commun quitte à exclure des couches sociales sédimentées qui trouveraient incommode, opaque ou infertile ce terreau langagier.
Ou si c’est dû à un appauvrissement de notre vernaculaire qu’il faille le régénèrer, l’aggrader par adjonction de matière extérieure. J’ai entendu des camarades parler d’enduit en terre fermentée que dans mon vocable maternel j’appelle torchis.
Est-ce que c’est pour repimper l’éclat de pratiques sommaires, humbles et locales qu’un siècle et demi d’hygiènisme social et d’agriculture conventionnelle ont terni?
Est-ce pour redonner de l’allant, de l’innovation, forcément prometteuse, versus le progrès, constamment déceptif, en laissant poindre l’accent de la nouveauté dans les oreilles universitaires des néo-futures techniciennes agricoles échappées des laboratoires ? Que les roues des tracteurs ont déconnecté du vivant.
Des humain·es, c’est comme les vitrines d’un magasin de chaussures, y’en avait quand même plus en 39 qu’en 45, et ça mis quoi… 30 ans ? Un peu plus peut-être?
Pour repeupler abondamment, Il a fallu user de magie noire à l’excès, des creusets complets de magie noire, de puiser exagérément dans les ressources du vivant, magie noire, vaudoo, transfert d’énergie massif pour transmuter d’un état à l’autre. D’une population humble et vivrière à une bourgeoisie agricole. Nous sommes, beaucoup d’entre nous ici en guérison de cette maladie qui s’appelle la bourgeoisie. Certain·es en sont au stade de la convalescence, d’autres y font des rechutes chroniques.
> Claire
Peter Pal Pelbart sur la notion du “commun”
Extrait de « Banzeiro Okoto, l’Amazonie, le centre du monde » de Eliane Brum
“Le défi consiste peut-être à abandonner la dialectique du Même et de l’Autre, de l’Identité et de l’Altérité, et à retrouver la logique de la Multiplicité. Il ne s’agit plus seulement de mon droit à être différent de l’Autre ou du droit de l’Autre à être différent de moi, tout en préservant une opposition entre nous, ni même d’une relation de coexistence apaisée entre nous, où chacun est attaché à son identité comme un chien à un poteau et donc enfermé en elle. Il s’agit plus radicalement, dans ces rencontres, d’embarquer, d’endosser des traits de l’autre et ainsi de s’écarter parfois de soi-même, se décoller de soi, se détâcher de sa propre identité pour bâtir une nouvelle voie”.
> Claire
Chanter en tribu pour partager, porté par l’énergie de Cindy. Chanter pour communiquer par delà les mots, s’offrir soin ensemble, dans la serre au milieu des fleurs qui s’épanouissent. Laisser sortir de nos corps les sons qui composent le Monde, mélanger la voix humaine à la voix grenouille pour se relier, se comprendre dans les vibrations.
> Claire
“Je propose que nous devenions tous des autochtones, c’est à dire que nous nous considérions comme une partie organique d’une planète vivante et que nous comprenions la vie comme cette relation fascinante d’échanges et de dépendance mutuelle entre différentes manières d’occuper le même corps. Il me semble que la seule façon d’avancer est de se reboiser”
> Extrait de « Banzeiro Okoto, l’Amazonie, le centre du monde » de Eliane Brum
> Claire
Sur le terrain des Alvéoles, tout est en expansion. Une constellation de tâches de couleurs jaunes, rouges, bleues, violettes, vertes, roses illuminent les espaces. Des bouffées d’odeurs m’accompagnent alors que je navigue à travers la pépinière. Les Bourraches bleues et blanches forment des massifs énormes devant la serre-tunnel. Les Coronilles diffusent une odeur fruitée qui m’enchante les narines. L’Akébia attire de ses fleurs délicates qui ressemblent à des bonbons. Le Céanothe fascine avec ses pompons d’un bleu-violet incroyable. Les graminées colonisent chaque espace vide. Le peuple des Batraciens qui habite les différentes mares nous régale de ses chants nuits et jours et une Empuse pennée ou Diablotin de Provence apparaît à intervalles réguliers pour nous éblouir de sa forme gracile.
Il pleut. Il fait beau. Le temps est incertain. Un peu comme mon moral. Au milieu de tout cet extérieur végétal-animal magnifique, je sens à l’intérieur de moi un chiffonnement qui m’empêche de m’expanser moi-aussi. C’est la continuité du mois précédent, le cailloux apparut dans la chaussure, la fatigue de tout faire vite, d’être tout le temps en réaction aux évènements, de ne pas s’offrir le temps de faire les choses avec conscience. Je cours d’une tâche à l’autre, je me perds dans les détails, dans les choses qui frottent, qui grincent. Je me bloque dans le mental, loin du rapport corporel sensible que je cherche à développer. Ce compagnonnage aux Alvéoles est une expérience extrêmement enrichissante, avec son lot de frictions et de déconvenues. Avec tout ce que cela me renvoie de mes attentes, de ma façon d’envisager le Monde et l’Avenir, de la complexité des rapports humains, de la difficulté d’être à la lisière entre deux mondes, des conditionnements mentaux qui nous poussent à s’épuiser et de l’infini petite que je suis face à la force du Vivant.
J’accueille le vide que cela crée en moi, ce temps d’incertitude qui me froisse. Je me détache de ce que je croyais important pour moi mais qui ne l’est finalement pas tant que ça. Je refrène la partie de moi qui a envie de participer à tout pour me concentrer sur quelques actions, pour essayer déjà de prendre soin de l’existant. Pour redéfinir mon intention et choisir où je dépose mon attention. Je désherbe les pots des plants de la pépinière sous l’ombrière colonisés par le peuple des adventices. Je sème et je rempote les semis du potager. Je passe de longues après-midis-matinées dans mon cercle de la Forêt-Jardin pour offrir soin aux habitants plus qu’humains de cet espace. Je photographie les formes et je gribouille des débuts de cartes. Je vais chanter et danser à l’extérieur de l’éco-système Alvéoles pour réouvrir ma vision. Je retire pour l’instant quelques liens pour me recentrer sur le centre du Monde à l’intérieur de moi. Sur ce qui me fait du bien. Afin d’essayer de retrouver les racines de la forêt qui grandit en moi et pour me remettre en mouvement avec confiance, joie et gratitude.
> Claire et Tentaculoutre
> Tentaculoutre
Cour enherbée de l’auberge. Lancé dans mon élan de nettoyage, j’ai initié une clarification des flux de circulation et de stationnement des humain·es pour une régénération et aggradation des espaces rendus stériles. Deux heures seul. Une heure de réprimande douce de l’aubergiste qui me reproche ma non concertation préalable et que ça va lui prendre au moins 30 minutes de son précieux temps de gestion du lieu. Elle me demande de défaire ce que j’ai fait. Ce qui m’a pris 1 minutes 20 secondes, j’ai mesuré, je l’avoue, pour la démonstration. Le temps d’allumer un ordi. Alors que j’initie juste une proposition 3D, in situ, d’un aménagement sommaire et saisonnier, pas un redesign d’ensemble de la cour-jardin. Elle aurait voulu que je fasse un design. Une proposition écrite et dessinée envoyée à tous les usagers. Ce temps préalable m’aurait coûté au moins trois heures, sûrement plus. Les usagers ne sont jamais présents sur place au même moment. L’échange d’intention aurait donc dû se faire par messagerie. Usage d’énergie externe, électrique en l’occurrence. Avec les irritations et frustrations de « fais chier personne répond etc… » : trois semaines. Validation, dévalidation, amendement, consensus. Aboutir au choix du confort humain au détriment du sauvage, du spontané, du vivant. Je suis probablement une des personnes qui ait passé le plus de temps ces derniers mois à observer cette cour, à identifier les usages qu’en font les humain·es qui la fréquente, puisque j’y réside assidûment.
Quel plus bel agencement et organisation que la « nature »? Y a-t-il une concertation préalable ou juste une initiative ? Si elle est judicieuse, elle est conservée, sinon remplacée, supplantée par une autre initiative. Ne nous voilons pas l’intention, ce qui se joue ici est un désir de contrôle.
> Claire
S’engager pour le vivant, c’est s’engager par le corps.
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