2.

Être à la lisière

Traces compagnonnes

Mois de Mars.
Équilibre parfait entre lumière et obscurité.
Début de la saison lumineuse.
Célébration d’Ostara le 18 mars. 

> Tentaculoutre et Claire

Entrer en destructuration

> Claire

J’observe le paysage autour de moi. Une combe orientée est-ouest, les Trois Becs au loin, une végétation méditéranéenne-plaine-montagne et un renard roux qui détale à mon approche. Il fait chaud sur la petite crête qui longe le terrain et je suis à la recherche des ressentis du lieu. Comment je me sens au sein des différents paysages qui composent cette combe ? Qu’est-ce que cela fait bouger en moi ? J’ai suivi mon élan qui m’a poussé vers les hauteurs. J’ai besoin de voir, d’embrasser du regard, de contempler l’espace géographique, en prenant de la hauteur. J’ai toujours eu besoin de me positionner dans le paysage pour en saisir l’étendue. De monter en altitude pour observer le monde. Pour me situer dans l’immensité de la Terre et voir au-delà de là où je suis. Les espaces plats, tout plats, me rendent mal à l’aise. Je me sens perdue, sans savoir où j’existe.

Un vent fort me saisit à la lisière de la crête. Un bip bip surprenant se fait entendre des fourrés devant moi. Une dame avec un détecteur à métal apparaît, me regarde, aussi surprise que moi qui l’a regarde, me raconte une histoire de clowns croisés dans les bois et s’éloigne dans un murmure. Un frisson me saisit. J’ai la sensation d’avoir franchir une barrière invisible, la frontière du monde que je dois ressentir. La combe du Centre de l’Aube, qui m’attend en contrebas. Je rebrousse chemin et retourne vers la chaleur du fond de vallon.

Je suis en formation Conseillère en Design de Permaculture. C’est le premier module et nous sommes en exercice d’observation, de s’observation. Observer le terrain en s’observant soi. Nous ne sommes pas aux Alvéoles. Nous sommes ailleurs. Sur un autre lieu. Sur ce lieu il y a tout un groupe d’humain·es en train de vadrouiller et d’ouvrir leurs sens. Cette année de compagnonnage aux Alvéoles, pour moi, c’est aussi des modules de formation répartis tout au long de l’année. Une formation pour apprendre à designer des éco-systèmes de façon permacole. Nous sommes trois du compagnonnage à avoir choisi cette formation. Les autres compagnon·nes ont choisi la formation Sylvanièr·e-pépiniériste, pour apprendre à créer et gérer un système agro-forestier jardiné permacole.

Formation, compagnonnage, temps hors Alvéoles, travail professionnel, tout s’entremêle. Cette année je veux lâcher-prise. Être simplement là dans le ressenti de mon corps. Dans le processus, dans le bruissement de mes organes, dans les interstices qui se creusent. Je m’impression d’être sur le point de m’éclater, de me destructurer, de me libérer pour devenir autre. Ces cinq jours de module posent des questions qui bousculent des choses en moi. J’ai l’impression de flotter, de ne tenir qu’à un fil. Seul le groupe me retient, le cercle protecteur d’une tribu éphémère et les sourires bienveillants des mentor·es qui nous ouvrent le chemin.

Comment habiter le monde de façon sensible ? Comment faire corps avec le Vivant ? Comment décaler mon regard pour devenir autre ? Comment libérer mon imaginaire et inventer de nouveaux récits ? Comment ne pas se perdre dans l’immensité des questionnements, des apprentissages ? Allongée dans la petite prairie au dessus du verger, je regarde passer les nuages. Il fait chaud et sec dans ce petit espace. À quelques mètres s’étale la forêt, ombragée et humide. Un peu plus bas, une brise rafraîchit le chemin. Dans un petit recoin, une orchidée pousse. Je marche, je ressens, je note. Cartographier le paysage pour se cartographier soi. À la recherche de traces.

C’est en portant attention au processus et non au résultat que l’expérience peut advenir

> Claire

Savoir se perdre pour mieux se retrouver

> Tentaculoutre

Amarade J-C, merci,
Pour ton écoute généreuse,
Et les conditions que tu mets en place pour laisser les velléités les plus humbles s’exprimer.
Tu as posé la question, concernant un conflit personnel “Que faire de toute cette violence ?”
Je ne suis pas sûr d’avoir entendu ou compris ta réponse (si tant est que tu l’aies exposée).
Je suis parti marcher ce matin pour amorcer ce procédé alchimique qui métamorphose la colère en joie.
Je n’ai pas encore tous les ingrédients mais j’ai trouvé un chaudron dans ces Alvéoles.
Je te partage cette pensée écrite car je vais aller pédaler, je ne suis pas sûr d’avoir l’occasion de te l’exprimer avant….une prochaine fois… qu’un planning, sûrement, a déjà calé dans une case, or je n’en suis pas usager.
Et pédaler est pour moi comme un alambic, il transmute.
J’espère de cette formation qu’elle gratte des étincelles pour allumer une flamme.
Et ce module m’a bien gratté. 
J’ai exprimé quelquefois pourquoi je n’apprécie pas le terme “prendre soin”, c’est pas soin, c’est prendre.
Auquel je préfère largement “accorder soin” comme des musicien.nes s’accordent avant de jouer ensemble.
L’habitude fait que l’usage demeure. Let it be. Pas grave.
Et hier j’ai reçu de plein fouet le pourquoi de cette aversion.
Comme une piqûre de rappel. Qui irrite et enfièvre. Sommairement.
Peut-être comme un vaccin qu’il faut inoculer plusieurs fois pour s’en soigner.
Se soigner de cette longue de cette longue maladie qui ronge notre corps social et que je nomme par synthèse : la bourgeoisie.
J’ai vu également la fascination qu’elle exerce.
Mélange de terreur et d’admiration.
Médusés ! Par cette langue désincarnée, ce charme de sirène.
Je ne suis plus un lapereau de 6 semaines, j’ai appris, chauve-souris, à m’écholocaliser.
À laisser l’oreille m’avertir des dangers quand la lumière éblouit.
Ce groupe est nourrissant et intense.
Ma fleur de peau est plutôt pensée sauvage que capiteux arum.
Ma fleur de peau a beaucoup de sources et, peut-être, de ressources.
Je dis peut-être parce qu’entre activistes on évite, désarme ou renverse comme un gant, comme une statue, le lexique auto-immune et fascinant de leurs éminences extractivistes.
Comme le terme de « ressources ».
Le fascinant est indéfini, comme le faisceau des phares dans les yeux de panpan le lapin dans la nuit d’une route de campagne, terrifiant et éblouissant.
Un ami compagnon me rappelait, suite à mon récit de cette journée, que fascination et fascisme partagent la même racine.
J’ai vu aujourd’hui des êtres fascinées. Médusées.
J’ai pour ma part entendu une langue désincarnée. Une langue zombie.
Ma fleur de peau apprécie de se livrer à ce groupe mais elle a besoin du non-humain pour se panser ses plaies ; pour s’expanser puis condenser sa pensée.
J’aurais voulu leur lire le texte de Jean-Pierre Siméon, “L’objection du poème”, l’occasion ou les conditions ne se sont pas présentées.
Il raconte mieux que mes maux ce qui m’émeut, ce qui me meut.
À qui mieux mieux.
Je souhaite sincèrement à Machine de sortir de son automatisme syntaxique, et surtout de rencontrer ce que contient le vide de sa langue méduse, pour moi c’est un creuset de magie noire.
Espérer que les ordinateurs changent le programme qui les a programmés ?
Ou remettre de la joie dans ce monde parallèle, amendée par l’imaginaire ?
Je suis allé marcher, t’écrivais-je, dans les ruelles du vieux quartier d’Aouste.
Dans son dédale pour chercher à me perdre, car j’ai appris qu’il est important de se perdre pour se retrouver.
Je n’y suis pas parvenu, pas même à m’égarer.

Si tu te demandes pourquoi, Amarade, je te renvoie à la réponse de Serge Pey, qu’André Minvielle a mis en musique en 2001 dans l’album “nous sommes cernés par les cibles”

> Claire

Clair-obscur

> Claire

Ça bourdonne à n’en plus finir dans l’abricotier en fleurs. Ça y est le Printemps est arrivé. Des tâches de couleur apparaissent un peu partout. Blanches, roses, jaunes, bleues, violettes. Et le vert, le vert tendre des feuilles en train de renaître, est en train de couvrir le paysage. C’est l’heure de faire les semis, d’aménager les planches de culture au potager, de récolter les salades sauvages comestibles. Avec Nathalie qui nous donne des cours de Botanique, nous partons à la découverte de quelques mètres carrés de verdure devant la serre. Nathalie est passionnée. Elle pourrait parler des heures du lierre terrestre, des pissenlits, du lamier pourpre, du plantain lancéolé, de l’oseille des prés, des primevères et je pourrais l’écouter jusqu’à la nuit tombée. Ici il n’y a que des individu·es passionné·es et passionnants. Et c’est pour ça que je suis venue. 

Cette année de compagnonnage et formation Design aux Alvéoles j’ai décidé de la faire pour de multiples raisons. C’est la suite logique d’un cheminement qui me dépasse. C’est un mélange d’instinct, d’attirance, de curiosité, d’évolution, de confiance et de bruissements à l’intérieur de moi. Depuis que j’ai fait le CCP au mois d’Août 2024, j’ai eu envie de revenir aux Alvéoles. Pour le lieu, pour les habitant·es humain·es et plus qu’humain·es, pour l’apprentissage, pour l’avenir et pour tout ce que cela fait bouger en mon for intérieur. Et puis cela fait des mois que l’idée de designer des éco-systèmes permaculturels globaux grandit en moi. Ne pas simplement éco-construire des structures mais associer bâtis, extérieurs et équipements. Proposer d’autres façons d’habiter le monde. Vivre en habitats réversibles, en matériaux naturels, faits à la main, au sein d’oasis de biodiversité, associant systèmes agro-forestiers jardinés, espaces sauvages, milieux-rivières, équipements low tech, fonctionnements collectifs et inclusifs entre humain·es et plus qu’humain·es et gestion collaborative des communs. Tout simplement pour participer à la régénération du monde.

Lydie plante des semis de tomates dans des petites barquettes qu’elle tasse avec douceur. Elle les emmène dans la pouponnière pour leur offrir les degrés de chaleur protecteurs qui permettront à la Vie de germer. Plantations, greffe, design, entretien. Et célébrations. La Ruche, l’auberge des Alvéoles, située à Aouste sur Sye, accueille nos multiples soirées festives. On y mange des petits plats préparés avec amour : curry, houmous, rouleaux de printemps, mijotés de légumes. On mange avec délice. Tout comme les midis à la pépinière. Les repas sont toujours un temps à savourer, à découvrir avec sourire les talents culinaires de chacun·es. On chante, on joue, on danse aussi. Les mains de Guillaume et François lancent des mélodies à la guitare et au piano. Les rires fusent de partout. Les soirs, au Dodécadôme ou à Charousse, je chante des mantras, laisse mon corps danser instinctivement et rempli mes oreilles des vibrations des gongs qui évoquent le chant des baleines. Avec ou sans mes compagnon·nes.

Compagnonner c’est aussi apprendre à fonctionner ensemble. La réunionnite nous guette alors que les corps ont envie de bouger, de mettre les mains dans la terre. Comment fonctionner ensemble ? Faut-il poser un cadre ou laisser les choses se faire de façon organique ? Il y a tant à faire à la pépinière et chaque jour amène un nouveau projet. Je commence beaucoup de choses poussée par l’énergie de la découverte mais j’en fini peu. J’ai l’impression de me perdre un peu, de m’éloigner de l’essentiel. Je me pose la question du design de notre groupe. Approcher l’expérience avec un regard de designeure. Quel est notre raison-d’être ? Ce qui défini notre groupe ? Y en a t’il seulement une ? Sommes nous une tribu en devenir ? Ou 8  individu·es et 2 mentors réuni·es pour un temps ? Comment prendre soin de notre membrane ? Comme très souvent, le temps qui file et les tâches urgentes nous éloignent de ce qui fait sens. Je sens un cailloux dans ma chaussure qui grossit. Mais j’essaye de me décoller de l’expérience, d’approcher le processus avec une posture de pisteuse. À la recherche de traces qui mèneront quelque part. 

Dans le Vivant, l’interface c’est la membrane

> Claire

S’assoir dans le Nord

> Claire

Je me suis assise au sein du cercle. Il y avait des humain·es sur la majorité des bancs et j’ai laissé mon corps se poser là où il le sentait. Au Nord. Au nord du feu. Ce soir, c’est la célébration d’Ostara, l’équinoxe de printemps. Une date célébrée dans le calendrier celtique et ancrée dans le cycle solaire. Dans le passage du temps et des saisons. 

Antoine a les yeux qui pétillent quand il allume le feu sacré. Je regarde le visage de mes compagnon·nes. Celui de François encore énergisé par sa journée de greffe. Celui d’Hélène perdue dans ses pensées et celui des autres. La lumière décroît à mesure que le feu s’allume. Antoine nous parle de la roue amérindienne, la roue de médecine, qui représente l’interconnexion de toutes choses. Les quatre directions cardinales y sont représentées. L’Est symbolise le printemps, le renouveau, l’élément air, l’aube, les débuts. Le Sud c’est l’été, la vitalité, l’élément feu, la croissance, la plénitude. À L’Ouest se profile l’automne, les récoltes, l’élément eau, le déclin, l’introspection. Et puis au Nord se trouve l’hiver, la sagesse, l’élément terre, le repos, la régénération.

Les flammes crépitent, les étincelles s’élancent vers le ciel. Elles sont magnifiques. Trainées lumineuses, éphémère lumière. En perpétuel recommencement. Je me suis assise au Nord. Dans le monde de la terre, des esprits, de l’invisible, des ressentis, du plus grand que moi. Dans un axe qui m’attire, qui m’aspire depuis toujours mais encore plus depuis quelques mois. La soupe tourne pour réchauffer les corps et les histoires se dévoilent. Ancrer les apprentissages par le récit. Les voix de François, Ariane, Caroline s’élèvent sous le ciel étoilé. J’écoute, accueillant le partage. J’ai plein de choses à transmettre moi aussi mais les sons n’arrivent pas à franchir la barrière de mes lèvres. Je n’ai pas la voix. Je suis à la lisière de moi. Immergée dans le feu, perdue dans le cosmos au dessus, mélangée au son du Petit Duc qui hulule. Je voudrais déployer ma voix et offrir à la Vie, le chant de mes entrailles. Mais ce sera pour une prochaine fois. 

> Tentaculoutre

> Claire

Faire connaissance avec son cercle

> Claire et Tentaculoutre

Première rencontre avec notre îlot de biodiversité, notre cercle au sein de la Forêt-jardin. Chacun·e d’entre nous a choisit un cercle avec comme intention d’en prendre soin toute l’année.

Création des contenus
Les Traces Compagnonnes est un projet de carnet de bord à double regard réalisé par Claire Blumenfeld et Tentaculoutre.
Dans le cadre du programme Les Compagnon·nes du Vivant
Sur le site des Alvéoles, 26400 Cobonne 
 
Copyright © 2025
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Février 2025

Immersion et début du compagnonnage aux Alvéoles. 

Mars 2025

Entre l’Hiver et le Printemps. Entre questionnements et ressentis.

#2. Clair-obscur

Mars 2025

Ouvrir nos sens pour faire corps avec le Vivant
Création des contenus
Les Traces Compagnonnes est un projet de carnet de bord à double regard réalisé par Claire Blumenfeld et Tentaculoutre. dans le cadre du programme Les Compagnon·nes du Vivant sur le site des Alvéoles, 26400 Cobonne.
 
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