Mois de Mars.
Équilibre parfait entre lumière et obscurité.
Début de la saison lumineuse.
Célébration d’Ostara le 18 mars.
> Tentaculoutre et Claire
> Claire
J’observe le paysage autour de moi. Une combe orientée est-ouest, les Trois Becs au loin, une végétation méditéranéenne-plaine-montagne et un renard roux qui détale à mon approche. Il fait chaud sur la petite crête qui longe le terrain et je suis à la recherche des ressentis du lieu. Comment je me sens au sein des différents paysages qui composent cette combe ? Qu’est-ce que cela fait bouger en moi ? J’ai suivi mon élan qui m’a poussé vers les hauteurs. J’ai besoin de voir, d’embrasser du regard, de contempler l’espace géographique, en prenant de la hauteur. J’ai toujours eu besoin de me positionner dans le paysage pour en saisir l’étendue. De monter en altitude pour observer le monde. Pour me situer dans l’immensité de la Terre et voir au-delà de là où je suis. Les espaces plats, tout plats, me rendent mal à l’aise. Je me sens perdue, sans savoir où j’existe.
Un vent fort me saisit à la lisière de la crête. Un bip bip surprenant se fait entendre des fourrés devant moi. Une dame avec un détecteur à métal apparaît, me regarde, aussi surprise que moi qui l’a regarde, me raconte une histoire de clowns croisés dans les bois et s’éloigne dans un murmure. Un frisson me saisit. J’ai la sensation d’avoir franchir une barrière invisible, la frontière du monde que je dois ressentir. La combe du Centre de l’Aube, qui m’attend en contrebas. Je rebrousse chemin et retourne vers la chaleur du fond de vallon.
Je suis en formation Conseillère en Design de Permaculture. C’est le premier module et nous sommes en exercice d’observation, de s’observation. Observer le terrain en s’observant soi. Nous ne sommes pas aux Alvéoles. Nous sommes ailleurs. Sur un autre lieu. Sur ce lieu il y a tout un groupe d’humain·es en train de vadrouiller et d’ouvrir leurs sens. Cette année de compagnonnage aux Alvéoles, pour moi, c’est aussi des modules de formation répartis tout au long de l’année. Une formation pour apprendre à designer des éco-systèmes de façon permacole. Nous sommes trois du compagnonnage à avoir choisi cette formation. Les autres compagnon·nes ont choisi la formation Sylvanièr·e-pépiniériste, pour apprendre à créer et gérer un système agro-forestier jardiné permacole.
Formation, compagnonnage, temps hors Alvéoles, travail professionnel, tout s’entremêle. Cette année je veux lâcher-prise. Être simplement là dans le ressenti de mon corps. Dans le processus, dans le bruissement de mes organes, dans les interstices qui se creusent. Je m’impression d’être sur le point de m’éclater, de me destructurer, de me libérer pour devenir autre. Ces cinq jours de module posent des questions qui bousculent des choses en moi. J’ai l’impression de flotter, de ne tenir qu’à un fil. Seul le groupe me retient, le cercle protecteur d’une tribu éphémère et les sourires bienveillants des mentor·es qui nous ouvrent le chemin.
Comment habiter le monde de façon sensible ? Comment faire corps avec le Vivant ? Comment décaler mon regard pour devenir autre ? Comment libérer mon imaginaire et inventer de nouveaux récits ? Comment ne pas se perdre dans l’immensité des questionnements, des apprentissages ? Allongée dans la petite prairie au dessus du verger, je regarde passer les nuages. Il fait chaud et sec dans ce petit espace. À quelques mètres s’étale la forêt, ombragée et humide. Un peu plus bas, une brise rafraîchit le chemin. Dans un petit recoin, une orchidée pousse. Je marche, je ressens, je note. Cartographier le paysage pour se cartographier soi. À la recherche de traces.
> Claire
> Claire
> Tentaculoutre
> Tentaculoutre
Si tu te demandes pourquoi, Amarade, je te renvoie à la réponse de Serge Pey, qu’André Minvielle a mis en musique en 2001 dans l’album “nous sommes cernés par les cibles”
> Claire
> Claire
> Claire
Ça bourdonne à n’en plus finir dans l’abricotier en fleurs. Ça y est le Printemps est arrivé. Des tâches de couleur apparaissent un peu partout. Blanches, roses, jaunes, bleues, violettes. Et le vert, le vert tendre des feuilles en train de renaître, est en train de couvrir le paysage. C’est l’heure de faire les semis, d’aménager les planches de culture au potager, de récolter les salades sauvages comestibles. Avec Nathalie qui nous donne des cours de Botanique, nous partons à la découverte de quelques mètres carrés de verdure devant la serre. Nathalie est passionnée. Elle pourrait parler des heures du lierre terrestre, des pissenlits, du lamier pourpre, du plantain lancéolé, de l’oseille des prés, des primevères et je pourrais l’écouter jusqu’à la nuit tombée. Ici il n’y a que des individu·es passionné·es et passionnants. Et c’est pour ça que je suis venue.
Cette année de compagnonnage et formation Design aux Alvéoles j’ai décidé de la faire pour de multiples raisons. C’est la suite logique d’un cheminement qui me dépasse. C’est un mélange d’instinct, d’attirance, de curiosité, d’évolution, de confiance et de bruissements à l’intérieur de moi. Depuis que j’ai fait le CCP au mois d’Août 2024, j’ai eu envie de revenir aux Alvéoles. Pour le lieu, pour les habitant·es humain·es et plus qu’humain·es, pour l’apprentissage, pour l’avenir et pour tout ce que cela fait bouger en mon for intérieur. Et puis cela fait des mois que l’idée de designer des éco-systèmes permaculturels globaux grandit en moi. Ne pas simplement éco-construire des structures mais associer bâtis, extérieurs et équipements. Proposer d’autres façons d’habiter le monde. Vivre en habitats réversibles, en matériaux naturels, faits à la main, au sein d’oasis de biodiversité, associant systèmes agro-forestiers jardinés, espaces sauvages, milieux-rivières, équipements low tech, fonctionnements collectifs et inclusifs entre humain·es et plus qu’humain·es et gestion collaborative des communs. Tout simplement pour participer à la régénération du monde.
Lydie plante des semis de tomates dans des petites barquettes qu’elle tasse avec douceur. Elle les emmène dans la pouponnière pour leur offrir les degrés de chaleur protecteurs qui permettront à la Vie de germer. Plantations, greffe, design, entretien. Et célébrations. La Ruche, l’auberge des Alvéoles, située à Aouste sur Sye, accueille nos multiples soirées festives. On y mange des petits plats préparés avec amour : curry, houmous, rouleaux de printemps, mijotés de légumes. On mange avec délice. Tout comme les midis à la pépinière. Les repas sont toujours un temps à savourer, à découvrir avec sourire les talents culinaires de chacun·es. On chante, on joue, on danse aussi. Les mains de Guillaume et François lancent des mélodies à la guitare et au piano. Les rires fusent de partout. Les soirs, au Dodécadôme ou à Charousse, je chante des mantras, laisse mon corps danser instinctivement et rempli mes oreilles des vibrations des gongs qui évoquent le chant des baleines. Avec ou sans mes compagnon·nes.
Compagnonner c’est aussi apprendre à fonctionner ensemble. La réunionnite nous guette alors que les corps ont envie de bouger, de mettre les mains dans la terre. Comment fonctionner ensemble ? Faut-il poser un cadre ou laisser les choses se faire de façon organique ? Il y a tant à faire à la pépinière et chaque jour amène un nouveau projet. Je commence beaucoup de choses poussée par l’énergie de la découverte mais j’en fini peu. J’ai l’impression de me perdre un peu, de m’éloigner de l’essentiel. Je me pose la question du design de notre groupe. Approcher l’expérience avec un regard de designeure. Quel est notre raison-d’être ? Ce qui défini notre groupe ? Y en a t’il seulement une ? Sommes nous une tribu en devenir ? Ou 8 individu·es et 2 mentors réuni·es pour un temps ? Comment prendre soin de notre membrane ? Comme très souvent, le temps qui file et les tâches urgentes nous éloignent de ce qui fait sens. Je sens un cailloux dans ma chaussure qui grossit. Mais j’essaye de me décoller de l’expérience, d’approcher le processus avec une posture de pisteuse. À la recherche de traces qui mèneront quelque part.
Dans le Vivant, l’interface c’est la membrane
> Claire
> Claire
Je me suis assise au sein du cercle. Il y avait des humain·es sur la majorité des bancs et j’ai laissé mon corps se poser là où il le sentait. Au Nord. Au nord du feu. Ce soir, c’est la célébration d’Ostara, l’équinoxe de printemps. Une date célébrée dans le calendrier celtique et ancrée dans le cycle solaire. Dans le passage du temps et des saisons.
Antoine a les yeux qui pétillent quand il allume le feu sacré. Je regarde le visage de mes compagnon·nes. Celui de François encore énergisé par sa journée de greffe. Celui d’Hélène perdue dans ses pensées et celui des autres. La lumière décroît à mesure que le feu s’allume. Antoine nous parle de la roue amérindienne, la roue de médecine, qui représente l’interconnexion de toutes choses. Les quatre directions cardinales y sont représentées. L’Est symbolise le printemps, le renouveau, l’élément air, l’aube, les débuts. Le Sud c’est l’été, la vitalité, l’élément feu, la croissance, la plénitude. À L’Ouest se profile l’automne, les récoltes, l’élément eau, le déclin, l’introspection. Et puis au Nord se trouve l’hiver, la sagesse, l’élément terre, le repos, la régénération.
Les flammes crépitent, les étincelles s’élancent vers le ciel. Elles sont magnifiques. Trainées lumineuses, éphémère lumière. En perpétuel recommencement. Je me suis assise au Nord. Dans le monde de la terre, des esprits, de l’invisible, des ressentis, du plus grand que moi. Dans un axe qui m’attire, qui m’aspire depuis toujours mais encore plus depuis quelques mois. La soupe tourne pour réchauffer les corps et les histoires se dévoilent. Ancrer les apprentissages par le récit. Les voix de François, Ariane, Caroline s’élèvent sous le ciel étoilé. J’écoute, accueillant le partage. J’ai plein de choses à transmettre moi aussi mais les sons n’arrivent pas à franchir la barrière de mes lèvres. Je n’ai pas la voix. Je suis à la lisière de moi. Immergée dans le feu, perdue dans le cosmos au dessus, mélangée au son du Petit Duc qui hulule. Je voudrais déployer ma voix et offrir à la Vie, le chant de mes entrailles. Mais ce sera pour une prochaine fois.
> Tentaculoutre
> Claire
> Claire et Tentaculoutre
Première rencontre avec notre îlot de biodiversité, notre cercle au sein de la Forêt-jardin. Chacun·e d’entre nous a choisit un cercle avec comme intention d’en prendre soin toute l’année.
Février 2025
Mars 2025
Mars 2025