Errances dans l’outback. Quatorze mois en Australie de Juillet 2017 à Septembre 2018.

Tiandi Wildlife Sanctuary, un amour altruiste

Subvenir aux besoins de kangourous et possums orphelins ou survivants d’accidents de la route.
22 février 2018
Jimmy et Joshy - Kangourou - Tiandi Wildlife Sanctuary - Australie – © Claire Blumenfeld
CARNET

Lovée sur mes genoux, Melody avale tranquillement le lait chaud du biberon que je tiens dans ma main. Je lève les yeux de sa petite bouille adorable pour regarder le vent faire danser les arbres. Cela fait deux semaines que je fais du volontariat chez Tiandi wildlife sanctuary. On est milieu Février et il fait très chaud. Braidwood est un petit village au charme ancien situé à une heure de Canberra dans l’état du New South Wales. Le paysage se partage entre plaines désertiques où grazent les vaches et petits îlots d’Eucalyptus. Depuis Braidwood, roulez une vingtaine de minutes vers le nord et vous arrivez à Tiandi, un wildlife sanctuary dédié à la survie de kangourous et possums. Deux poneys blancs, quelques moutons gardés par un alpaca, des poules qui papotent, un réservoir d’eau où une vingtaine d’oies et canards passent leurs journées, quelques coqs mal lunés, un superbe potager, une maison sur pilotis, des serres où poussent des salades, herbes et fleurs et quelques serpents, on est en Australie après tout. Le tout entouré d’Eucalyptus. J’ai aimé le lieu au premier regard. Après deux mois passé à travailler dans les myrtilles j’avais besoin de repos. D’un retour à un rythme plus tranquille et à une certaine solitude. Entouré d’Eucalyptus et de prairies et sans trop de voisins aux alentours, Tiandi dégage une atmosphère particulière.

« J’ai vu le mot Tiandi quelque part, des années auparavant » m’explique Julia, « et je me suis dit que le jour où je posséderais mon petit coin à moi, je l’appellerais Tiandi ». D’origine chinoise, « tiān dì » (天地) signifie « ciel et terre », « monde », « champ d’activité ». Avec une écriture différente « tián dì » (田地) signifie « terres agricoles », « terres cultivées ». Un nom qui correspond plutôt bien au petit paradis créé par Julia et Martin. Lorsqu’ils ont acheté la propriété, 14 ans auparavant, il n’y avait rien. Ils ont construit une petite cabane, puis une superbe maison pensée par Julia. La petite cabane est désormais un cottage en location. Un farm shop, un entrepôt et une petite maison hébergeant les volontaires ont été depuis construits et de jolis jardins et potagers fleurissent au rythme des saisons.

Comme toutes les fermes en Australie, Tiandi génère en grande partie ses propres ressources. L’eau de pluie est recueillie dans de grands réservoirs, une partie de l’électricité est générée par des panneaux solaires et les animaux de ferme et potager fournissent la majorité des ressources alimentaires. Ce qui veut dire qu’en cas de sécheresse, situation commune en Australie, la vie devient compliquée. Irriguer les plantations, abreuver les animaux, fournir de l’eau potable et faire les tâches ménagères (cuisine, douche, machine à laver, etc) tout dépend du niveau d’eau de pluie recueilli dans les réservoirs. « Il nous est arrivé une fois de ne plus avoir eau dans les réservoirs » m’a raconté Julia. « Nous avons dû faire venir un camion citerne qui nous a rempli à peine un tiers de un de nos quatre réservoirs ». Cela a couté un prix exorbitant, pour un niveau d’eau ridicule. En écoutant l’histoire de Julia, j’ai vraiment saisi à quel point l’eau est une ressource précieuse. En tant que Française ayant été élevée en ville et village, je n’ai jamais vraiment été confrontée à l’impact que la sécheresse ou le manque d’eau potable peu avoir sur les gens. Mais depuis mon arrivée en Australie j’y suis confrontée en permanence.

Mais l’un des plus beau bénéfice de vivre à la campagne c’est la possibilité de faire pousser ses propres fruits et légumes de façon organique. Maïs, salade, petit pois, kale, concombre, aubergine, courgettes, tomates, herbes aromatiques, poivrons, carottes, potiron, pommes de terre, pastèques et fruits du verger, etc. Le potager de Tiandi est une mine d’or alimentaire et un délice pour les papilles. Le maïs a un goût sucré que je n’ai jamais gouté auparavant. J’avale des petits pois frais comme encas à n’importe quelle heure de la journée. La pastèque est d’une fraicheur incomparable. Tout a un meilleur goût que les aliments frais que l’on trouve en supermarché. Mais l’entretient de ce jardin d’Eden demande beaucoup de travail et d’attention. Martin y passe la moitié de son temps à arroser, replanter et surveiller l’évolution des plantes. Changements climatiques, mise en terre des graines en retard, invasion d’insectes, le moindre changement peut avoir un impact considérable.

S’occuper d’un wildlife sanctuary dédié au sauvetage et remise en forme puis en liberté d’animaux natifs, c’est faire preuve d’un altruisme incroyable. Malgré la destruction de l’habitat naturel et le massacre des kangourous, possums, wombats et autres animaux natifs sur les routes et via la chasse (organisée ou non organisée), l’état Australien n’offre aucune aide financière aux centaines de petits sanctuaires étalés à  travers le pays. Julia passe ses journées à  s’occuper de ses petits protégés, dépense de grandes sommes d’argent en nourriture et en soins vétérinaires, consomme des litres d’eau en machine à laver et ce, sans aucun support en retour. Juste par amour et respect pour ces incroyables animaux qui nous entourent. Malgré certaines difficultés que ce mode de vie peut soulever, Julia et Martin font preuve de resources et d’inventivité. Martin est peintre professionnel, Julia crée des produits de soin naturels, le cottage génère un revenu assez régulier, les légumes du jardin, oeufs, miel sont vendus dans le farmshop, au supermarché de Braidwood ou chez d’autres particuliers. Ils possèdent également un foodvan qu’ils emmènent lors de festivals pour vendre de la nourriture maison. Et des volontaires du monde entier, comme moi, viennent en permanence aider au fonctionnement de Tiandi. « Cela fait cinq ans que nous faisons partis du réseau helpX » me dit Julia. « À part peut-être quelques semaines par-ci par-là , nous avons du monde tout le long de l’année ». HelpX est un programme mondial utilisé par les voyageurs se basant sur du travail en bénévolat en échange d’un hébergement gratuit et de la nourriture. Selon moi, c’est une des meilleures choses qui existent pour les gens qui voyagent. C’est un formidable moyen de visiter un pays à  budget réduit, de rencontrer les locaux, de s’insérer dans la culture et d’apprendre en permanence. Sans les volontaires, gérer Tiandi serait un travail de titan.

« Je n’ai pas vraiment choisi de m’occuper de kangourous. Ce sont eux qui m’ont choisi » me raconte Julia lorsque je lui demande pourquoi son refuge est dédié aux kangourous et non pas aux wombats. « Lorsque les gens ont commencé à  être au courant de l’existence d’un refuge, ils se sont mis à amener ici les animaux blessés ou abandonnés qu’ils trouvaient et c’était principalement des kangourous ». S’occuper de kangourous et de wombats implique deux systèmes assez différents et un refuge pour wombats existant déjà de l’autre coté de Braidwood, Julia a décidé de se spécialiser dans les kangourous. À cela s’ajoute les possums, qui ne demandent pas beaucoup de travail et quelques rares Sugar Glider (petit marsupial volant), impossible à refuser avec leurs petits bouilles magnifiques.

Pour moi qui travaille à Tiandi en tant que volontaire, ma journée commence par ouvrir les abris des poules, oies et canards. Les ravitailler en eau, en graines et récolter les oeufs. Puis je récupére le bol de nourriture vide de Zena, la possum en pré-libération. La maman de Zena fut attaquée par des chiens et est morte de blessures. Zena fut sauvée par des locaux. Elle a passé 3 mois au sein de la maison. Et depuis une semaine elle se trouve dans une grande cage extérieure où les possums du coin viennent faire sa connaissance durant la nuit. C’est une étape très importante avant la remise en liberté d’un possum. Si celui-ci est libéré sans que les possums du coin aient fait sa connaissance auparavant, l’animal sera probablement tué par les autres durant sa première nuit en liberté. Ces petites boules de poils nocturnes sont des animaux très territoriaux. C’est pourquoi il est important de passer par l’étape de pré-libération. À part veiller à  ce qu’ils aient de la nourriture, les possums de demandent pas beaucoup de travail.

Je ramasse ensuite un peu d’herbe fraiche pour les kangourous et arrose les serres où poussent les semis, herbes et salades. Puis vient le tour de nourrir les bébés Kangourous. Une bouteille de lait tiède pour chacun. En Australie, un bébé kangourous s’appelle un « joey ». Au début de mon séjour, il y avait onze joeys à nourrir. Dahlia, intrépide asociale (red-necked wallaby, 5-6 mois, accident de la route) reste à l’intérieur de la maison. À cet âge là , dans la nature, le petit joey passe la majorité de son temps dans la poche de sa maman. Mais Dahlia n’a pas de maman et une personnalité bien marquée. Julia a beau essayer de la laisser dans sa poche de substitution (des poches en tissu pendues un peu partout dans la maison), la jeune swampy préfère sautiller en peu partout et grignoter en permanence. Bentley (eastern-grey kangaroo, 1 an et demi, accident de la route) est un petit fragile joey avec la queue cassée. Il n’est pas très actif, très doux et préfère passer ses journées dans sa poche. Avec ses grands yeux au regard si tendre, il fait fondre n’importe qui. Sur la terrasse extérieur fermée se trouve Melody (eastern-grey kangaroo, 1 an et demi, trouvée seule dans le bush). Elle est arrivée chez Julia lors qu’elle était « pink », ce qui veut dire un minuscule bébé sans poil. Melody est aveugle de l’oeil gauche et à une cataracte à  l’oeil droit. Elle se déplace doucement et maladroitement. Elle est très douce comme Bentley et c’est probablement ma préférée. Joshy et Jimmy sont les meilleurs amis du monde. Joshy est un swamp wallaby au regard malicieux et Jimmy est un red-necked wallaby au pelage roux comme un renard. Ils sont agés d’un an et sont arrivés il y a deux mois chez Julia pour être relâchés. Ils ont été élevés « from pinky » dans un autre refuge. Ils sont toujours ensemble, dorment dans la même poche et adorent les caresses. Prinnie (red-necked wallaby, 14 mois, sa maman s’est retrouvée coincée dans une clôture) et Maya (swamp wallaby, 14 mois, récupérée de la poche de sa maman morte) sont un peu plus âgées et plus distantes. Prinnie n’hésite devant rien et Maya est effrayée facilement. Et enfin le dernier des « jeunots », Hobo est un samp wallaby de 14 mois, venu avec Jimmy et Joshy, et qui se fait la malle dès qu’il en a l’occasion.

Dans un petit enclos adjacent à  la maison, se trouve Zoro, Alvin et Chino. Zoro est un swamp wallaby (18 mois, trouvé pris au piège dans un verger) qui va bientôt être relâché. Il est difficile à  prendre au sérieux tant son comportement pataud est sujet aux rigolades. Alvin (eastern-grey, 3 ans, sa maman fut tuée par un chauffeur de bus alors qu’il était encore « pink ») et Chino (wallaroo, 2 ans, sauvée par un citoyen alors que sa maman avait été tué par une voiture et qui s’en est occupé pendant deux mois sans se rendre compte qu’elle avait la mâchoire cassée) sont presque des adultes. Cela fait longtemps qu’ils auraient dû être libérés mais leur condition respective les en empêche. Alvin, une force tranquille qui aime les câlins, est aveugle et malgré les tentatives de Julia pour lui apprendre à se diriger à  l’extérieur, cela ne marche pas. Et Chino, de grands yeux noirs et un pelage superbe, a la mâchoire malformée à  cause de son accident. Du coup s’alimenter est un peu difficile et elle ne peut pas brouter l’herbe des prairies.

« Tu tombes amoureux de chacun d’entre eux » me dit Julia et force est de constater qu’il est difficile de rester de marbre devant ses petites bouilles magnifiques. Et puis ce n’est pas tous les jours en Australie que l’on a la chance de s’occuper de petits joeys ! Bien sûr tout n’est pas rose en permanence. Il faut nettoyer les déjections tous les jours, faire attention aux coups de pattes puissants lorsque l’on manipule les petits et faire face aux imprévus de la vie. Cela fait une petite semaine qu’Hobo a disparu. Il a décidé de se libérer de lui-même et a mis les voiles un beau matin. Il n’y a plus qu’à espérer qu’il s’en sorte sans soucis. Et puis la mort a frappé. Soudaine et implacable. Bentley nous a quitté. Samedi 17 Février au soir, la petite boule de poil s’est endormi et ne s’est pas réveillé. Cela faisait quelques jours qu’il ne mangeait pas grand chose. « Cela te détruit le coeur à  chaque fois » me dit Julia la voix cassée. J’acquiesce, le coeur serré, ayant du mal à  réaliser que la petite boule de poil pataude que j’ai nourri et aimé ces dernières semaines s’en est allée. Mais il est difficile de savoir ce qui ne va pas avec les kangourous. Les eastern-grey sont d’ailleurs réputés pour être de condition fragile. Et puis le nombre très limité de wildlife vétérinaires n’aide pas.

La nuit dernière, des coups de feu ont retenti. À chaque coup, j’avais l’impression que ma vie était suspendue. «S’il vous plaît, pas Hobo». «Le coup de feu a probablement manqué à l’animal». Des pensées au sujet des kangourous m’ont traversé l’esprit. Une partie de la population australienne, y compris un des voisins de Julia, estime que la chasse sauvage de nuit est la solution pour réglementer les animaux stupides et encombrants que sont kangourous selon eux. La solution est donc d’aller à la tombée de la nuit sur un 4 × 4 à travers la brousse et d’éclairer l’environnement avec de grands projecteurs. C’est bien connu, les kangourous s’arrêtent devant la lumière. (Normal pour un animal nocturne). Parfait pour tirer et les éliminer sans distinction. Alpha mâle, femelle, joey, tout y passe. 

Ce massacre de la population de kangourous, on n’en entend pas beaucoup parler en Australie. Ce n’est certainement pas très bon pour le tourisme d’évoquer le massacre du symbole national. Les partisans de cette pratique barbare soulignent que les kangourous envahissent les pâturages et viennent manger la nourriture des animaux de la ferme. « Ils sont une peste ». Une contradiction étant donné la nature indigène des kangourous en Australie. Alors oui, les animaux viennent brouter l’herbe des prés, mais le problème ne vient pas d’eux, il vient de nous, de la société humaine. Avec la mise en place d’un élevage intensif et la destruction d’espaces naturels, les environnements naturels sont transformés en prairies. Zones vertes et déboisées à perte de vue. Les kangourous savent qu’il est facile de se nourrir de ce grand espace vert. Et la reproduction suit. C’est pourquoi, malgré le massacre qui n’est de toute façon pas la bonne solution car inhumain, la population de kangourous ne diminue heureusement pas beaucoup.

Je regarde Melody et sa façon de bouger, légèrement inclinée du côté droit où elle peut encore distinguer certaines formes. Je regarde ses oreilles bouger en fonction des bruits, ses pattes avant sont encore si petites et je m’interroge sur les conséquences de cet assassinat sur la population de kangourous. Ces animaux vivent en bandes où beaucoup de connaissances que la plupart d’entre nous ignorons sont partagées. Éliminez une partie de ces connaissances et l’apprentissage ainsi que l’organisation de leur société deviennent instables. Quel est l’impact de l’irresponsabilité des humains sur la population des kangourous aujourd’hui ? Et cela ne se limite pas qu’aux kangourous. Partout dans le monde, les populations animales indigènes et introduites, les environnements et les océans souffrent du manque de respect et de la brutalité de l’homme. Y a t’il quelque chose que je puise faire ? 

La prochaine fois que je verrai un kangourou (ou un autre animal) sur le bord de la route, je m’arrêterai pour vérifier si un petit joey est mort seul sans aucune compassion *. La prochaine fois que quelqu’un se vantera de tuer des kangourous ou de les traiter de « peste », j’élèverais ma voix contre ce ramassis de bêtises. Et puis je continuerai à conduire lentement à l’aube et au crépuscule. Je continuerai à les traiter avec respect et émerveillement. Ce ne sont que de petites actions à l’échelle mondiale. Mais tout changement commence par de petits gestes.

* Si vous trouvez un petit joey (ou un autre animal) sur le bord de la route, placez-le dans un espace sombre (sac, boîte, etc.), ne faites pas trop de bruit, essayez de lui donner à boire, miel ou du sucre (mettez le sur votre doigt et étalez le sur ses gencives). Et contactez Wires, wildlife rescue: 1300 094 737.

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