Errances dans l’outback. Quatorze mois en Australie de Juillet 2017 à Septembre 2018.

Une saison dans les myrtilles

C’est l’hiver en Australie et la récolte des myrtilles bat son plein.
31 janvier 2018
Ferme Costa, Tumbarumba, New South Wales, Australie © Claire Blumenfeld
CARNET

J’ai passé six semaines dans les champs de myrtilles. Le temps a filé sans que je m’en rende compte. De début Décembre, me voila déjà fin Janvier. Une nouvelle année a commencé et la saison s’est finie.

Pour la première fois depuis que j’ai quitté la France, j’ai travaillé dans le « fruit-picking », la récolte de fruit. C’est un des secteurs au monde qui embauche le plus de saisonniers et c’est donc un des emplois les plus accessibles pour les voyageurs en permis vacances-travail comme moi. Myrtilles, framboises, pommes, poires, kiwi, bananes, avocat, carotte, chou-fleur, pomme de terre, poireau, etc Toute sorte de légumes et fruits sont ramassés chaque année par des milliers de petites mains venant des quatre coins du monde. Pour ma première expérience dans ce secteur, j’ai choisi la myrtille. Ce petit fruit bleu rempli de bonnes choses pour la santé. Ce petit fruit pour lequel j’ai toujours eu une attirance.

Ma première semaine de travail à Tumbarumba, je l’ai passé en tant qu’assistante-superviseur. J’aidais Carol, une dame âgée qui fait la récolte des myrtilles en tant que superviseur depuis trente ans. Notre équipe était principalement de couleur noire. La plupart des cueilleurs étaient originaires de pays Africains mais vivant en Australie depuis un bon bout de temps. Louise, Ezechiel, Kashindi, Olabire, Benard, Alice, etc, tous étaient très sympathiques. Je les ai apprécié dès le premier instant.

Travailler dans les myrtilles en Décembre-Janvier, ça veut dire travailler dans la chaleur et sous un soleil de plomb. L’hiver en Australie, c’est la saison chaude. Lorsque que je me suis inscrite en tant que cueilleuse quelques semaines plus tôt, je m’étais dit que mon objectif par jour c’était d’atteindre une récolte de 50kg. Dans le fruit-picking, les cueilleurs sont payés au poids. Donc plus le cueilleur est rapide, plus il ramassera de fruit et plus il sera payé. Inversement, plus le cueilleur est lent, moins il sera payé. 50kg correspond à une personne récoltant à un rythme normal. Pour quelqu’un qui n’a jamais fait de récolte auparavant, atteindre 50kg par jour peut-être un travail titanesque. Et encore plus sous un soleil de plomb. Je m’en suis rendue compte dès mon premier jour en tant qu’assistante-superviseuse. Tous les débutants de l’équipe avançaient très lentement. Seul un tiers de l’équipe fut capable d’atteindre ce palier. Et ceux qui en étaient capables étaient ceux qui avaient de l’expérience et participaient à la récolte chaque année ! Sous le soleil tous les jours, je ne pense pas que j’aurais survécu. Clairement je n’avais pas les yeux en face des trous le jour où je mettais dit que j’allais pouvoir ramasser 50kg sans problème dès mon premier jour. Je ne remercierais jamais assez Angeline (une des responsables de la ferme) pour m’avoir proposé le poste d’assistante-superviseur qui est lui payé à l’heure.  

À la fin de la première semaine, Nicu et Bruce, les managers de la ferme sont venus me voir pour me proposer de devenir superviseur. Ils mettaient en place deux équipes de plus et avaient donc besoin de superviseurs. Bien sûr j’ai accepté. Ma nouvelle équipe était cette fois composé exclusivement d’Asiatiques. Majoritairement des Taïwanais, quelques Coréens, un Hongkongais, une Chinoise, un Malaisien, une Indonésienne. Nous étions situés à Rosewood. La compagnie Costa à qui appartient l’exploitation de myrtilles possède deux fermes dans la région de Tumbarumba : Taradale où se situe le packing shed et Rosewood. Les champs à Rosewood se trouvent au beau milieu d’une exploitation forestière. C’est un petit ilot de tranquillité.

Ma première semaine en tant que superviseur fut un peu moins drôle que la semaine précédente. Contrairement aux Africains très chaleureux, les Asiatiques sont un peu plus distants. Mais heureusement j’avais Benjamin avec moi, mon assistant Taïwanais très sympathique, pour discuter de tout et de rien pendant la journée. Et puis les jours ont défilés et l’ambiance s’est grandement améliorée. Notre routine à Ben et à moi consistait à peser les cagettes remplies de myrtilles ramassées par les cueilleurs, noter le nombre de kilos, vérifier la qualité des fruits, s’assurer que tout le monde ramassait aux bons endroits, vérifier que les arbustes étaient bien nettoyés et assurer la bonne entente de l’équipe.

Les myrtilles en Australie ce ne sont pas les myrtilles que l’on peut trouver en France dans les montagnes ou les myrtilles sauvages qui colorent mes souvenirs d’un voyage à vélo à travers la Finlande des années auparavant. Les fruits font deux fois la taille de ce que l’on peut voir en Europe. En fait bien que la traduction anglaise de myrtilles soit « blueberry », le fruit que j’ai récolté n’est pas tout à fait une myrtille. C’est un « bleuet ». Le bleuet est un fruit de la même famille que la myrtille mais de couleur légèrement plus bleue, à la chair blanche et surtout poussant sur de petits arbustes pouvant atteindre 1 à 2 mètres de hauteur (contrairement à la myrtilles où les arbustes ne dépassent à peine les 20cm). Costa possède plusieurs exploitations de fruits et légumes à travers l’Australie. Les myrtilles poussent à Tumbarumaba (New South Wales), Corindi (New South Wales), Tolga (Queensland), Gingin (Western Australia) et Devonport (Tasmania). Des environnements variés pour un fruit qui d’ordinaire ne pousse que par climat frais et montagnard. À Tumbarumba nous avons ramassés des Blue Rose, Denise et Briggita. Chaque ferme possède des variétés de myrtilles différentes. Elles ont toutes été crées dans un laboratoire par manipulation génétique afin que les arbustes produisent de gros fruits, aux goûts différents et surtout capable de produire en grande quantité sur une courte période de temps. La saison de la récolte à Tumbarumba ne durant à peine sept semaines, les arbustes doivent être capable de suivre le rythme.

Le plus gros problème pour les producteurs de myrtilles se sont les oiseaux. Ils se font un plaisir de picorer les fruits causant de ce fait de nombreux dégâts. Il y a bien des fusils automatiques autour des plantations qui détonent toutes les cinq minutes mais cela n’effraye pas d’un poil les oiseaux. Et puis il y a la pluie qui gorge d’eau les fruits et les fait exploser ou la chaleur qui les déshydrate et les tourne en mamies couvertes de rides prématurément. Cette année, la fin de saison fut très moyenne du point de vue des producteurs. Les trois dernières semaines de Janvier ont alternées entre grosses chaleurs et pluies torrentielles rendant la qualité des fruits très moyenne. Il suffit d’une petite marque ou défaut sur une myrtille pour que le fruit soit qualifié de “second”. Cela veut dire qu’il n’est pas assez parfait pour être vendu aux consommateurs dans les supermarchés. Du grand gaspillage si vous voulez mon avis. Au moins 10% de ce que l’on récolte se retrouve étalé par terre ou écrasé sous les semelles des cueilleurs. Le reste du rebus est heureusement vendu aux locaux qui souhaitent l’acheter ou est vendu en tant que fruits congelés.

Travailler en tant que superviseur m’a appris plusieurs choses sur moi-même. Malgré le fait que je sois quelqu’un de solitaire j’aime travailler avec les autres. Avec des gens de différents pays. Avec des gens qui ont des cultures et façon de penser différentes de moi. Avec des gens qui font de l’échange une découverte et une remise en question permanente. Benjamin, Ming, Cynthia, G, Olivia, Victor, Howard, Shandi, Iris, Ken, Ran, Shuhei, Jack, Cinzia, Jill, Lesly, Thomas et tous les autres, merci de m’avoir donné un autre point de vue sur le monde. Et puis, apparemment d’après mon équipe, je suis une bonne superviseur. J’aime que les choses se déroulent sans accrochages, de façon respectueuse et positive. Du coup j’ai essayé de faire de même avec mon équipe et cela a marché. Bien que ce ne fut qu’un simple travail dont les tâches n’étaient pas très compliquées, superviser une équipe de personnes et en tirer un résultat positif m’a donné confiance en moi-même et en ce que je suis capable de faire. Même si je le savais déjà, avoir le résultat en face des yeux est peut-être ce qu’il me fallait pour me défaire complètement de la déception laissée par la fin de mon séjour à Arkaroola. Tout n’a pas été tout rose en permanence mais j’ai énormément apprécié mon séjour ici. Rire met du baume au coeur. Pour la première fois depuis longtemps j’ai eu l’impression d’être heureuse. 

Et puis la région de Tumbarumba est vraiment jolie. Collines ondulées, atmosphère montagnarde, village très agréable à vivre et tout un tas de lieux à visiter plein de surprises. Les grottes de Yarrangobilly, le superbe lac Blowering, la cascade Paddys Fall… Je n’ai pas eu le temps de tout apprécier mais les nombreux repas partagés, barbecues et balades avec mon équipe et amis ont vraiment rendu mon séjour très agréable. Le dernier jour au moment de quitter Pauline, chez qui j’ai vécu pendant les deux mois, j’ai embrassé du regard pour la centième fois la beauté du paysage s’étalant devant mes yeux. Je sentais ma gorge se nouer à l’idée de les quitter, elle et Jack, son petit chien blanc friand de caresses. Pour la première fois depuis longtemps j’avais l’impression de quitter un lieu que j’aimais vraiment. Mais l’appel du voyage s’est fait entendre. Je les ai quitté, regardant leur silhouette se dissoudre dans mon rétroviseur et laissant les derniers mots de Pauline s’ancrer dans mon coeur: « Come back any time ».

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